Coupe du monde: pourquoi Kylian Mbappé énerve autant qu’il étonne

Pour bien entrer dans la tête de Kylian Mbappé et comprendre sa duplicité entre le formidable et exceptionnel joueur que tout le monde -ou presque- adore et sa personnalité qui en irrite beaucoup, il faut remonter le temps à l’époque où il était à l’académie de l’AS Monaco. À 15 ans, pour un devoir, il avait représenté la une du Time avec une image de lui et un titre : « Le meilleur jeune joueur au monde ». Quatre ans plus tard, il figurait pour de vrai à la une de la prestigieuse revue américaine et, incontestablement, il est devenu un des meilleurs joueurs au monde, si pas le meilleur. Et il est toujours jeune : 24 ans dans 10 jours. Kylian Mbappé est devenu ce qu’il a toujours été, plutôt que devenu ce qu’il est. Il a toujours eu cette ambition et orienté sa carrière en fonction de ce dessein, de son destin qui ne lui échappera pas. Aujourd’hui, il est là où il voulait être, mais il n’est pas encore arrivé, tant s’en faut. « Je vis la vie dont j’ai toujours rêvé », avait-il reconnu en octobre 2018 à la publication de la une du Time. Le monde l’avait découvert en Ligue des champions avec Monaco et encore plus à la Coupe du monde 2018. Sur le terrain, il avait déjà cette insolente maîtrise de la coordination entre les révolutions du ballon et son corps d’athlète hors norme, cette vitesse de transmission supérieure entre son cerveau et son corps. Au Qatar, c’est un autre Mbappé. Il contrôle toujours aussi bien, encore mieux même, toutes les facettes du jeu, mais il maîtrise aussi le Monde désormais grâce à une redoutable stratégie entrepreneuriale. Il sait que son core-business, c’est le Mbappé joueur qu’il se doit de l’élever au plus haut niveau de performance, mais le Mbappé joueur évolue dans un cadre que le Mbappé homme d’affaires a bien défini pour lui garantir un haut rendement financier. Le joueur : obsédé par la Coupe du monde...qu’il a déjà gagnée La France aborde son quart de finale avec un nouveau roi sur son trône. En ouvrant la marque contre la Pologne, au tour précédent, Olivier Giroud est devenu, avec 52 réalisations, le meilleur buteur de l’histoire des Bleus devant Thierry Henry. Mais l’Histoire est ainsi faite que chaque roi a un successeur. En France, il est déjà connu : Kylian Mbappé. Face à ces mêmes Polonais, il avait été plus royaliste que le roi en signant un doublé. Neuf buts (quatre+cinq) en une Coupe du monde et demie, autant que Lionel Messi et un de plus que Cristiano Ronaldo en quatre phases finales et demie chacun. Et Mbappé n’a pas encore fêté ses 24 ans, programmés pour le 20 décembre, soit deux jours après la finale de Doha. « Une obsession (remporter la Coupe du monde) », a-t-il confié après la qualification pour les quarts de finale. C’est a priori curieux que le joueur évoque la conquête de ce tournoi avec ce terme parce que, en vérité, la Coupe du monde, il l’a déjà gagnée. C’était il y a quatre ans en Russie. Et en étant protagoniste encore bien avec un doublé contre l’Argentine en 8e et un but en finale face à la Croatie. A 18 ans, il avait déjà réussi ce que Cristiano Ronaldo n’a toujours pas réalisé et ce que Lionel Messi vient à peine, enfin, de réussir contre l’Australie : inscrire un but dans un match à élimination directe d’un Mondial. Derrière cette obsession, il y a peut-être de la frustration pour une certaine stagnation qu’il vit mal. Avec 169 buts en 193 matches sous les couleurs de Paris, il a certainement amené son écot à la cause de son club, mais oubliant sans doute l’investissement consenti par le club (quelque 360 millions nets dans ses poches en trois ans) et malgré trois titres de champion de France, il ne retient que les échecs en Ligue des champions et, à cause d’eux, la possibilité de vraiment remporter le Ballon d’Or. Alors, son obsession, ce serait plutôt le trophée de France Football, qui le consacrerait définitivement et formellement comme le nº1, ce qu’il démontre match après match, but après but dans le grand tournoi qatarien. Et, forcément, avec une deuxième Coupe du monde, a fortiori avec ses extraordinaires prestations au Qatar, il deviendrait incontournable dans les suffrages de l’automne 2023, mais grâce à l’équipe de France, pas au PSG. Mbappé ne s’en était d’ailleurs pas caché après une victoire probante contre l’Autriche avec les « Bleus » fin septembre, justifiant sa très bonne prestation individuelle par une comparaison que le PSG et Galtier auront appréciée : « En sélection, c’est différent, je suis plus libre. En club, on me demande de faire le pivot… » Et le bougre a de la suite dans les idées car quelques semaines plus tard, il est revenu à la charge en faisant savoir qu’il voulait quitter le parc des Princes dès janvier… La rumeur fondait sa menace sur des mensualités en retard, mais il est bien plus vraisemblable que c’était pour une question de pouvoir dans le club – il avait été déçu par le recrutement estival – et sur le terrain où il n’avait pas envie de faire le pivot et d’essuyer plâtres et coups pour la gloire de Neymar et Messi… Cette promesse non tenue aurait tendu la relation entre Mbappé et son président. Sa menace de départ ne serait donc qu’une pression sur le club pour embaucher au prochain mercato. Évidemment, s’il remporte la Coupe du monde au Qatar, ça contribuera à détendre l’atmosphère entre les deux hommes… Quoi qu’il en soit, ce nouveau revirement avait poussé la presse espagnole à féliciter le Real Madrid d’avoir échoué à le recruter car « ce mec est une véritable bombe à retardement. Il n’est jamais content, même avec un salaire de 120 millions d’euros. » Après, techniquement, le Real aurait même préféré l’avoir dans son effectif, et ce n’est pas son rendement 5 étoiles au Qatar qui va adoucir son regret… Soit dit en passant, Paul Pogba peut franchement demander le remboursement à son marabout : les sorts, c’est bien Mbappé qui les jette à ses adversaires… Le businessman : une affaire d’Etat et un chef d’entreprise Ce n’était donc pas une boutade, à un moment de la transaction entre Kylian Mbappé et le Real Madrid, le président de la République est personnellement intervenu pour le persuader de rester au PSG. En pleine guerre d’Ukraine, entre deux entretiens avec Vladimir Poutine, Emmanuel Macron a intercalé une conversation avec Mbappé. Sa permanence sous la tour Eiffel était bien une affaire d’état et lui-même un « trésor national ». La preuve que Mbappé a franchi la ligne de démarcation entre un personnage et une personnalité. Pour le situer, avant lui, seuls Pelé et Maradona avaient fait l’objet d’une même prière d’un chef d’état. Tout aussi précoce que lui, en 1958 en Suède, Pelé avait reçu la même demande, enfin un ordre incontournable, vu que celle-ci émanait de la dictature en place au Brésil, de ne pas quitter le pays. Et pour bien blinder son propos, le régime l’avait classé « patrimoine national ». En 1979, José María Minguella, émissaire du FC Barcelone pour ramener Maradona depuis Buenos Aires, avait été reçu par l’amiral Carlos Lacoste dans une grande bâtisse transformée en antichambre de la mort pour les opposants à la junte militaire au pouvoir, revolver sur la table, le bras droit taché de sang du général Videla lui avait fait gentiment comprendre que le « Pelusa » resterait en Argentine. Et que l’intervention de Macron ait été prépondérante ou purement électoraliste n’a aucune importance. La démarche a existé et détermine l’influence sur le monde du joueur. Oui, du joueur. Par inclination romantique, on aurait voulu dissocier le joueur du personnage, de la personnalité. Or, au fil du temps, l’un et l’autre se mélangent jusqu’à la contradiction qui laisse le public perplexe. Il s’enthousiasme pour ses irrésistibles actions autant techniques qu’athlétiques tandis qu’il se désole de ses intempérances quand le ballon s’arrête de rouler. En réalité, le public peine à l’aimer totalement car il ne le comprend qu’à moitié. Mbappé s’exprime plus comme un chef d’entreprise que comme un joueur. Quand Mauricio Pochettino, l’ancien entraîneur du PSG, déclare que « Mbappé se cherche encore tandis que Messi et Neymar savent qui ils sont et ce qu’ils veulent », il ne semble avoir considéré que le joueur et ignoré la personnalité. Quand le même Pochettino le définit comme un « animal », sa comparaison est anachronique. En Russie, oui, Mbappé n’était rien d’autre qu’instinct et spontanéité. Quatre ans plus tard, c’est un autre, plus spéculateur, perverti sans doute par le contact prolongé avec ce football moderne corrompu à l’argent. Les journalistes n’ont plus en face d’eux un interlocuteur affable et généreux. Mbappé dit ce qu’il faut désormais. Il s’occupe de ses affaires et raisonne comme un vrai chef d’entreprise. Cette autorité rejaillit sur le terrain ou dans ses pourtours. Le ballon disputé à Neymar pour l’exécution d’un penalty en août, son refus de poser avec l’équipe de France pour une question de droits à l’image, ce n’est pas de l’égoïsme, de la vanité, mais du business. Quand il veut une équipe construite autour de lui, c’est encore du business pour augmenter son rendement et donc sa valeur commerciale. On y revient : Emmanuel Petit, équipier de Didier Deschamps et buteur en finale en 1998, lui a reproché de se placer au-dessus de l’institution avec son comportement. Et si Mbappé était lui-même une institution ? Un état dans l’état ? Les bons offices de Macron pour qu’il reste plaident en ce sens en tout cas. Pour autant, Mbappé refuse de parler politique, même sur les thèmes plus discutés comme le réchauffement climatique. Quand Christophe Galtier, son entraîneur, a tourné en dérision la question d’un journaliste sur les déplacements insensés du PSG en avion, Mbappé a été pris d’un fou rire. Spontané ? Pas sûr qu’il ne se soit pas agi d’une pirouette pour éviter d’être interpellé à son tour et se retrouver entre deux chaises, soumis à l’interdiction expresse du Qatar, son employeur, d’aborder toute question politique…

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