Haïti: un naufrage sous silence
Janvier 2010, nos voix s’élevaient pour soutenir Haïti confronté à l’un des séismes les plus ravageurs de l’époque contemporaine. Douze ans plus tard, l’attention accordée à cette île des Antilles s’est presque entièrement éteinte. Entre eldorado de l’impunité et politique du déni, Haïti a rejoint le rang des crises et conflits oubliés, au même titre que la Palestine, le Yémen ou encore l’est du Congo.

Par-delà les catastrophes naturelles et les épidémies, la corruption (qu’on pense à l’affaire des fonds PetroCaribe, véritable révélateur des maux du pays) et les violences quotidiennes n’ont cessé d’appauvrir et de dévaster l’île. La descente aux enfers, amorcée des années plus tôt, prend un nouvel élan en 2018, lorsque des voix s’élèvent, toujours plus nombreuses, pour dénoncer la hausse du prix du carburant, avec ses conséquences économiques, sociales et humanitaires. Dans une démarche de survie, la population haïtienne n’avait alors pas hésité à descendre dans les rues de Port-au-Prince, la capitale, pour manifester contre le gouvernement. Tout le pays se retrouva alors rapidement gangrené par des bandes armées dont la violence n’a fait que croître jusqu’à ce jour.
Déployées en 2018 pour endiguer les manifestations, ces milices vont peu à peu s’étendre pour devenir incontrôlables. Les 13 et 14 novembre 2018 à La Saline, un bidonville de Port-au-Prince, plusieurs milices massacrent au moins 71 civils, détruisent plus de 400 maisons et violent une dizaine de femmes. C’est le début d’une interminable série d’exactions et d’abus. Face aux gangs, et pour lutter contre l’insécurité grandissante, l’État décide alors de solliciter l’aide de forces armées spécialisées. Depuis lors, les violences meurtrières n’ont pas cessé, tant s’en faut, et derrière les victimes, il y a un État complice. Car nombre d’acteurs politiques financent et nourrissent cette gangstérisation dont ils tirent profit. La réalité est sans appel : Haïti se trouve désormais à la merci de plus de 200 gangs qui opèrent sous le regard silencieux et complaisant tant des dirigeants du pays que des observateurs internationaux.
À petite cause…
Tout compte fait, les événements de 2018 représentent surtout une énième expression de l’exaspération et du désespoir de la population haïtienne confrontée à l’indifférence du pouvoir étatique. Pour sa part, la communauté internationale, sous la houlette des États-Unis et du Canada, contribue au statu quo de cette crise, sans égard pour les valeurs d’humanité qui devraient prévaloir.
Comme souvent, les règles changent quand les scandales éclatent… Justement, en novembre dernier, afin de dénoncer l’ingérence armée et la corruption, le Canada a décidé de sanctionner un grand nombre de personnalités politiques haïtiennes engagées dans le financement des gangs – y compris au sommet de l’État. Est-ce là un réel souffle d’espoir ou une simple ruse pour calmer les esprits ? En effet, force est de constater que la population haïtienne a développé un sentiment majeur de rejet à l’égard de toutes les interventions intérieures et extérieures qui feignent de l’aider à reconstruire un État de droit.
Grands effets ?
Dans un contexte d’extrême violence où les gangs sont systématiquement utilisés pour réprimer toute contestation sociale, le récit glorieux de la nation haïtienne – indépendante depuis 1804 – vient donner du sens aux luttes populaires d’hier et d’aujourd’hui ; des luttes qui brûlent dans un rêve d’espoir. Il faut bien reconnaître que cette île des Caraïbes s’est toujours accrochée pour ne jamais faiblir ni se résigner. Le combat pour la vie n’y est pas un vain mot, c’est une nécessité quotidienne. Selon les estimations de l’ONU, plus de cinq millions de civils sont en insécurité alimentaire, tandis que 50 % de la population de la capitale est directement touchée par des actes de violence ainsi que par une restriction de ses libertés fondamentales. Au reste, par-delà les chiffres, la population d’Haïti voit chaque jour ses conditions de vie se détériorer dans un silence quasiment absolu.
Peut-être une lueur d’espoir
Haïti ne sera plus le pays des ONG ! Cette phrase pourrait faire écho au sentiment des signataires de l’Accord de Montana du 30 août 2021. À cette occasion, les représentants de la société civile (issus des églises, syndicats, organisations de jeunes et des droits humains, mouvements paysans et de femmes, organisations non gouvernementales, etc.) ont choisi de relever un défi audacieux, celui d’une rupture radicale avec l’état d’insécurité endémique dans leur pays.
Contre l’actuel gouvernement jugé illégitime – avec Ariel Henry à sa tête depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse –, l’Accord de Montana entend mettre un terme au cercle vicieux d’impunité et conduire à des élections en bonne et due forme. Ignoré par la communauté internationale qui continue d’appuyer Ariel Henry au mépris des aspirations de la population, espérons que cet accord soit un premier pas vers un avenir plus juste et moins douloureux pour Haïti.
* Ce texte a été rédigé avec Madiya Ida Bomolo, diplômée d’un master en administration publique de l’UCLouvain, dans le cadre de son stage à La Chambre.
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