Excuses ou regrets pour le passé colonial?
La Commission « Passé colonial » est à un tournant. Le blocage politique sur la proposition de son président Wouter De Vriendt est déplorable. Présenter des excuses aux peuples anciennement colonisés serait pourtant un acte digne et honorable de la part de la Belgique.

Après deux ans et demi d’un travail remarquable qui fait honneur à notre pays, la Commission sur le passé colonial de la Belgique est face à une impasse : faut-il présenter aux anciennes colonies des excuses pour ce passé ou se contenter d’exprimer de profonds regrets à cet égard ?
Tout « en gardant à l’esprit que de nombreux Belges de l’époque ont donné le meilleur d’eux-mêmes lorsqu’ils étaient au Congo, au Burundi et au Rwanda », le député Wouter De Vriendt, président de la Commission, propose que la Belgique « présente ses excuses aux peuples congolais, burundais et rwandais pour la domination et l’exploitation coloniales, les violences et les atrocités, les violations individuelles et collectives des droits humains durant cette période, ainsi que le racisme et la discrimination qui les ont accompagnées. » Ses recommandations précisent aussitôt : « Cette reconnaissance du rôle de la Belgique est sincère et nécessaire. Elle n’implique toutefois aucune responsabilité juridique et ne peut dès lors donner lieu à une réparation financière. » Malgré ces précisions indispensables, et juridiquement correctes, cette formule suscite une vive opposition, les partis politiques se divisant selon des lignes idéologiques bien connues. Cela est profondément regrettable.
Un acte digne et honorable
Présenter des excuses pour notre passé colonial est en effet un acte digne et honorable qui grandirait notre démocratie et notre identité nationale. Penser que les peuples congolais, burundais et rwandais ne méritent que de profonds regrets de notre part, c’est faire du passé colonial notre chose à nous seulement, alors qu’il est une chose commune fondée sur une relation inégale faite de domination et d’exploitation ; c’est considérer que ces peuples ne méritent pas d’excuses ; c’est faire passer notre dignité avant la leur. Exprimer des regrets, c’est se regarder dans le miroir. Présenter des excuses, c’est se regarder dans le miroir et puis tendre la main. On ne s’excuse pas pour s’autoflageller ; on s’excuse parce que l’on a de l’estime pour celles et ceux auxquelles les excuses sont présentées, et parce qu’on reconnaît qu’ils les méritent. On s’excuse parce que l’on veut signifier à ces peuples que leur amitié nous est précieuse, aujourd’hui et demain, tout en comprenant combien il est difficile de faire grandir une amitié lorsqu’elle commença par une domination qui n’aurait pas dû être. Regretter, ce n’est pas tendre la main, c’est refuser de la tendre.
Le seul argument raisonnable qui sous-tend le refus de présenter des excuses est qu’elles seraient dangereuses juridiquement et pourraient déboucher sur de coûteuses réparations. Cette inquiétude mérite assurément qu’on s’y arrête, mais elle n’est pas fondée.
Comme j’ai eu l’occasion de l’expliquer à la Commission parlementaire lors d’une audition, le colonialisme ne peut se comprendre sans rappeler qu’il était parfaitement conforme au droit international de l’époque. Selon la Cour internationale de Justice, ce n’est qu’à partir de décembre 1960 que le maintien d’une domination coloniale devint internationalement illicite. Avant cela, la colonisation n’était source d’aucune responsabilité internationale. Cela peut paraître choquant aujourd’hui, mais ignorer cet élément contextuel fondamental revient à ne rien comprendre de ce que fut la colonisation. S’excuser pour la colonisation en tant que telle, ce n’est donc pas reconnaître l’illicéité d’un fait passé puisqu’il n’a pas existé en tant que fait illicite, ni même accepter rétroactivement une responsabilité juridique pour un fait qui n’était pas illicite – et cela d’autant moins si, comme la prudence le dicte, on le précise expressément. Certes, durant la colonisation, des exactions furent commises. Si elles étaient déjà illicites au moment où elles survinrent, s’excuser n’ajoute rien à la responsabilité qui en découle, en supposant qu’elle puisse encore être invoquée aujourd’hui. Bien au contraire, des excuses amoindrissent une éventuelle responsabilité, voire y mettent fin si elles sont acceptées. Pour le reste, il est parfaitement illusoire de penser que se contenter de regrets permettrait d’échapper à une responsabilité juridique pour certaines exactions passées, en supposant à nouveau que cette responsabilité existait à l’époque et qu’elle puisse encore être invoquée.
Un tournant historique
On s’interroge donc en vain sur les raisons véritables qui sous-tendent le refus de s’excuser pour la colonisation. Il faut espérer que ce refus ne tient pas à l’opinion selon laquelle on n’aurait rien à se reprocher ou que les peuples anciennement colonisés ne seraient pas dignes de nos excuses.
Nous sommes face à un tournant historique susceptible de redéfinir les termes d’une relation complexe qui n’en finit pas d’être obscurcie par un déni de réalité où certains bienfaits servent de paravent à une misère racialisée. Le comprendre suppose d’être capable d’une certaine hauteur de vue, et aller au-delà des regrets exige du leadership. Choisissons ce qui nous grandit collectivement, faisons la seule chose digne et honorable : présentons des excuses sincères aux peuples dont les ancêtres ont été assujettis par les nôtres.
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Posté par Baeyens Remi, mardi 13 décembre 2022, 12:44
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Posté par collin liliane, mardi 13 décembre 2022, 11:38
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Posté par ONCKELINX DANIEL, jeudi 15 décembre 2022, 9:20
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Posté par Moriaux Raymond, mardi 13 décembre 2022, 9:06
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Posté par Z pour Zorglub, lundi 12 décembre 2022, 20:29
Plus de commentairesJ'ai vécu comme ado au R-U et en ituri de 1952 à 1960. Mon père travaillait pour la Regideso pour le FBI (fonds du bien-être indigène) procurant une eau saine et de qualité pour tous.Je ne vois pas pourquoi il y aurait à s'en excuser. En 1960, en Ituri, les congolais nous demandaient 'Vous n'allez pas partir ?. Nous voyons ce qu'il en reste aujourd'hui.
Un procès uniquement à charge, alors que l'Afrique noire a tout appris de l'Occident: concepts, sciences (notamment médicales) , techniques... Le jour où les bien-pensants penseront à remplir les deux plateaux de la balance, on échanger volontiers nos excuses contre des remerciements.
Votre discours est colonialiste ainsi les habitants de es endroits n'avaient aucune histoire aucune culture. Bien sûr ils avaient un passé. Votre raisonnement s'il était, il l'est trop souvent, appliqué à l'Europe nord occidentale nous dirait qu'avant le milieu du premier siècle avant JC nous étions des barbares. Et bien non intéressez vous à la culture celte. Un exemple les pythagoriciens coïncideraient les druides comme leurs égaux.
"....certains bienfaits servent de paravent à une misère racialisée. Le comprendre suppose d’être capable d’une certaine hauteur de vue. ...". C'est bien ça le problème.
Les conséquences de cette différence sont elles morales ou financières ? Là est une partie de la réponse.