Design: la boutique, ce lieu de presque vie

Ah le shopping ! Expérience métaphysique dans un monde fermé à l’éclairage cru, un univers climatisé de rayons, d’étagères, de cabines d’essayage, allées, comptoirs, escalators, étiquettes de prix et coin des bonnes affaires. Qui n’a jamais songé à se laisser enfermer dans un magasin pour une nuit ? Au calme, sans personne pour vous bousculer, tenter de vous dépasser dans la file ou se planter juste devant ce que vous étiez en train de regarder ? Le Design Museum exauce ce souhait dans son exposition On Display, dédiée à la boutique dans toute sa splendeur : laboratoire d’expérimentation, formidable terrain de jeu pour les architectes, les designers et les architectes d’intérieur qui se disputent pour meubler et structurer ses petits espaces inhabités, elle leur offre un joyeux contraste avec la permanence de l’architecture domestique. Son caractère éphémère et sa petite échelle permettent toutes les audaces. On y teste des technologies récentes, des théories architecturales, on y développe de nouveaux matériaux, du mobilier et des objets inédits. Comme les petites lampes Azimut (1969) du Français Christian Girard, luminaires articulés, basse tension et hyperlumineux inspirés de la scénographie théâtrale. Comme ce terrazzo créé par le designer japonais Shiro Kuramata en 1983 : ses éclats de verre coloré mixés dans un ciment synthétique poli ont tellement plu au couturier Issey Miyake qu’il en a fait la signature de toutes ses boutiques à Tokyo, du sol au plafond. Un supplément émotionnel A l’aide de plans, de maquettes, de documents d’archives, de meubles, de photos d’aménagements intérieurs et de supports publicitaires – des collections prêtées notamment par le CIVA à Bruxelles ou le Musée national d’art moderne à Paris –, l’expo imaginée par le commissaire Benjamin Stoz montre comment l’histoire des boutiques est intimement liée à l’évolution de nos sociétés. Alors qu’au Moyen-Âge, la plupart des échanges s’effectuaient à l’extérieur, le déplacement de la vente au cœur d’un bâtiment constitue une transformation majeure. [scald=29707814:sdl_editor_representation] On part du plan. Celui de boutiques parisiennes du début du XIXe qui se réfèrent aux canons du style Empire (les lions ailés, les médaillons à l’antique, les chapiteaux corinthiens…), véritables petits temples de la vente, richement décorés pour exposer la réussite du ou de la propriétaire et signifier le statut social de la clientèle. On traverse la Révolution industrielle, la grosse vague consommatrice qu’elle engendre avec cette nouvelle bourgeoisie avide de faire comme l’aristocratie ; on découvre avec angoisse ou euphorie, dans la seconde moitié du XIXe siècle, ces nouveaux modèles commerciaux que sont les grands magasins face à qui, pour survivre, la boutique devra miser sur son caractère de spécialisation, de qualité, d’authenticité et d’exclusivité… [scald=29707811:sdl_editor_representation] Au XXe, on se met à jouer sur les codes sociaux, les références culturelles. A cibler les groupes de consommateurs et consommatrices. Objectif : fidéliser, rassembler, créer un lien en mettant en scène un style de vie, un répertoire de goût associé à une image de marque. L’achat ? Quel achat ? On commence ici à parler d’expérience, de divertissement, de supplément émotionnel et culturel. Et ça fonctionne. Ces lieux de passage éphémère deviennent des lieux de vie. Ou semblent l’être. Quel bonheur ça serait d’habiter les fabuleux showrooms Olivetti des années 50 et 60 ! De lire un livre sous la Pipistrello lamp de la grande architecte d’intérieur italienne Gae Aulenti, de rédiger une lettre sur la machine à écrire Praxis 48 d’Ettore Sotsass, de prendre le thé dans les boutiques Habitat du britannique Terence Conran, l’un des tout premiers à se baser sur la psychologie des gens pour la conception de ses surfaces commerciales… [scald=29707812:sdl_editor_representation] Un modèle sans cesse réinventé Quand tout a fermé pendant la pandémie, on a pensé qu’elles ne survivraient pas. Mais la fièvre acheteuse est plus coriace que le covid et la foule est revenue dans les boutiques. Il n’empêche, les modèles commerciaux mis en place durant le XXe siècle ont été chamboulés. Le Design Museum donne l’exemple du flagship store londonien Oki-ni « qui apparaît comme l’extension physique de son site internet. La boutique n’est pas un lieu de vente directe mais un lieu d’exposition confortable où le ou la client.e peut entrer en contact avec le vêtement, feuilleter un magazine commandé en ligne et socialiser avec sa communauté. » Un jour, c’est certain, on y dormira, on les louera au mois, on y vivra et peut-être bien qu’on y mourra. On Display, quand le design investit la boutique jusqu’au 05 mars 2023 au Design Museum, 1 Place de Belgique, 1020 Bruxelles. Du lundi au dimanche de 11 à 19h. www.designmuseum.brussels/

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