Le blues des jeunes: Comment les aider à recharger leurs batteries vitales?
Une séance de projection/débat à Louvain-la-Neuve du film « Tout va s’arranger (ou pas) » du réalisateur Pierre Schonbrodt, a permis à de nombreux jeunes d’exprimer le mal-être qu’ils avaient ressenti durant la pandémie de covid. Une conclusion (parmi d’autres) s’impose : c’est en se reconnectant au réel que l’on peut évacuer les tourments de la solitude et du découragement.

Jeudi 15 décembre, 19h25, Louvain-la-Neuve. On rencontre encore du monde malgré le froid glacial autour de la Grand-Place et du marché de Noël. Quelques personnes se dirigent vers l’entrée des auditoires « Studio ». Ce soir au programme, un film sur la santé mentale des jeunes. L’affiche annonce la couleur ou plutôt son absence : un décor en noir et blanc avec trois jeunes qui observent par la fenêtre une forêt en hiver, un immense ours en peluche entre eux. On peut difficilement imaginer une soirée « fun » ! Tout semble plutôt converger vers un nième épisode où on va encore parler de ce p… de covid et voir des jeunes qui ne vont pas bien, suivi d’un débat avec quelques experts. Les conditions ne sont pas optimales pour rassembler les foules… Pourtant dans la salle, près de 100 personnes, surtout des jeunes.
Le film démarre par une question « Comment tu vois la vie ? ». Suivie d’une réponse glaçante sur un écran encore noir « Plate, nulle, sans but. J’essaye de ne pas regarder le futur parce que c’est angoissant, ça n’amène que des idées noires. » Malgré des propos lourds sur leur mal-être et leur vision bouchée du futur, ces jeunes dont certains sont hospitalisés en unité de soin psychiatrique, nous montrent leurs dessins, nous font entendre un son de guitare ou nous font découvrir une libellule magique traversant leur chambre. On en suit plusieurs, mais en particulier trois adolescentes dans leur parcours de soins. Le film se termine par leur départ de l’hôpital et le rangement de tous leurs souvenirs. Elles ne vont pas bien, mais elles vont mieux. Elles ont retrouvé un peu de leur élan vital avant de retourner dans ce monde extérieur qui leur faisait tellement peur.
Chaud au cœur
Les lumières se rallument, le débat va commencer. Les deux organisateurs ont prévu des questions pour lancer les échanges. Mais ils osent d’emblée faire circuler le micro dans la salle. Une première étudiante prend la parole, « C’était très dur le covid, je pensais avoir oublié, mais les images me rappellent ce moment ». Elle se tait et elle commence à pleurer. Une autre prend le relais : « J’étais une étudiante brillante en secondaire. Je suis arrivée à l’Université quand le covid a commencé. Je n’avais plus aucune énergie, plus envie d’étudier, je ne me reconnaissais pas. » Les adultes s’expriment aussi. Une généraliste et une psychologue témoignent de leurs expériences de jeunes en détresse qui viennent toujours aussi nombreux, encore aujourd’hui, livrer leur détresse dans leurs cabinets.
La salle est de plus en plus glacée en termes de température, on est en période d’économies d’énergie. Mais en termes de chaleur subjective, le thermomètre grimpe. On commence à avoir chaud au cœur. Une étudiante prend la mesure de la gravité des expériences vécues et livre cette réflexion si importante pour éviter de reproduire les erreurs du passé. « Après la Deuxième Guerre mondiale, des gens qui avaient terriblement souffert ont voulu parler, mais leur entourage et les médias n’ont pas voulu les entendre. Ils sont restés avec leur souffrance intérieure pendant longtemps. Ce soir, j’ai pu être entendue dans mes difficultés passées et actuelles, j’ai pu entendre celles des autres. Et ça me fait du bien ! Je me sens moins seule, je me sens soulagée. Je me rends compte qu’on est nombreux à avoir vécu la même chose. J’ai de nouveau envie de me connecter aux autres. »
Sortir de chez soi
Une autre nous révèle la difficulté de la démarche de sortir de chez elle pour venir au Studio 11. « J’ai hésité à venir. En secondaire, on a vécu des suicides de copains. Ils ont laissé des messages sur leur solitude insupportable. Je me suis dit, trop la flemme de venir au Psynéma (1), si en plus c’est pour se replonger dans ces moments. Mais en fait, c’était tellement chouette de voir cette fille qui n’allait pas bien prendre sa guitare et refaire de la musique. » Le film s’appelle Tout va s’arranger (ou pas) (2). Le réalisateur, Pierre Schonbrodt, est allé à la rencontre de jeunes à travers Bruxelles et la Wallonie pendant plusieurs mois. Il a filmé des moments poignants de jeunes en décrochage, de jeunes parfois désespérés mais qui tous gardaient un morceau de sourire et une bribe d’espoir.
On a tous fini la soirée convaincus que tout va effectivement s’arranger.
Retisser des liens sociaux
Mais quand et comment ? D’abord, nos liens sociaux ont besoin d’être retissés pas à pas. Le film de Pierre Schonbrodt peut se regarder en ligne depuis son ordinateur, tout seul chez soi. Il vous touchera sans aucun doute, que vous soyez jeune ou adulte. Mais sa vertu thérapeutique va bien au-delà. Tentez l’expérience de regarder ce film avec d’autres amis ou d’organiser une projection dans une école ou un centre culturel. Rallumez les lumières et laissez les paroles venir. Elles surgiront toutes seules, elles parleront de désespoir et d’espoir, d’inégalités et de justice, de musique et de cacophonie, de rêves et de cauchemars.
Si votre projection a lieu en plein hiver, faites attention à votre température corporelle, vous passerez à coup sûr du chaud au froid pendant la projection. Mais surprenez-vous pendant les échanges à y prêter attention, sentez la chaleur bienfaisante d’un groupe composé simplement d’autres personnes, connues et inconnues. Elles parlent de cette expérience du covid qui reste incroyable, au premier sens du terme, de nos vies bouleversées pendant la pandémie. Une tentation serait d’enfouir au plus profond de nous, ces moments où nous ne pouvions plus sortir, plus inviter personne à la maison, où nous devions rentrer à 22h, où nous craignions d’infecter nos grands-parents et tous nos proches fragiles, ce moment où nos libertés que l’on pensait éternelles ont été restreintes.
Non, n’enfouissez pas ces souvenirs au plus profond de vous ! Osez reparler de ce passé, mais ensemble, en sortant de chez vous pour retisser le lien qui nous a tellement manqué.
Retrouver tout ce qui fait notre humanité
Après trois ans où le virtuel a dominé nos relations, une soirée comme le Psynéma, c’est revoir de vrais visages qui sourient et qui pleurent, de vraies voix qui s’indignent et qui tremblent. Bien sûr, la guerre en Ukraine n’est pas finie, la crise énergétique est une nouvelle limite à nos libertés et l’avenir climatique n’est pas rose.
Pourtant, tous les participants de Louvain-la-Neuve ont non seulement passé une soirée dont ils se souviendront longtemps. Mais surtout, ils sont redevenus ces humains qu’ils avaient un peu oublié qu’ils étaient. Leurs batteries vitales se sont rechargées, comme l’a si bien dit une étudiante en quittant le studio 11.
Si chaque jour d’autres jeunes se retrouvent pour parler autour de Tout va s’arranger (ou pas), leurs batteries vitales vont se recharger partout en Belgique et l’envie de connexion en réel ne fera que grandir. Leur vie retrouvera du sens, ils en ont grandement besoin et nous aussi.
(1) Le Psynéma est une nouvelle initiative de la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education de l’UCLouvain. Les prochaines séances sont programmées une fois par mois à partir de février 2023 (coordination : Damien Brevers et Jochem Willemsen).
(2) La bande-annonce, la présentation et les responsables du projet.
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Tous ces experts autoproclamés chercheurs à ne rien trouver dans leur tour d'ivoire de l'entre-soi de l'université et de l'académie feraient bien d'arrêter avec leur business de l'angoisse pour se mettre en avant. Les familles et les jeunes n'ont pas besoin de tous ces charlatans. Clairement pas éclairé ce Luminet.