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Accoucher d’une crèche dans la douleur

Les obstacles sont légion pour ouvrir un milieu d’accueil non subventionné. Les fermetures sont nombreuses aussi. Témoignage.

Journaliste au service Société Temps de lecture: 5 min

O n mange les pissenlits par la racine, là ! C’est simple, cela fait des mois que je ne me paye pas et le mois prochain, je ne sais plus payer le loyer ! » Maïté et Laura sont à bout. Cela fait maintenant plus de neuf mois qu’elles ont entamé les démarches pour ouvrir une crèche privée, ou « maison d’enfants », selon la terminologie de l’ONE. Loin d’être un jeu d’enfant, l’ouverture d’un milieu d’accueil non subventionné est un véritable parcours du combattant, entre les exigences de l’urbanisme, de la commune, de l’ONE, des pompiers, etc. « Cela fait plus de deux ans que je mûris ce projet, à la demande de ma clientèle qui se plaignait du manque de places », explique Maïté Goffins, recruteur de personnel indépendante et future gestionnaire de la crèche. Maïté entame alors une analyse de marché et rencontre Laura Colens, jeune femme diplômée dans le domaine de la petite enfance qui, à trente ans, a déjà ouvert une crèche privée dont elle a été co-directrice. Le duo fonctionne directement. Maïté, le caractère bien trempé et la voix forte, en impose ; Laura, plus frêle et effacée, n’en est cependant pas mois déterminée. Assises dans la cuisine qui jouxte la grande pièce à jeux de leur crèche, elles racontent.

© René Breny.
© René Breny. -

Première étape ? Une séance d’informations à l’ONE. « La première chose que l’on vous dit, c’est “votre mari est riche ?”, “Est-ce que vous avez bien conscience de ce dans quoi vous vous lancez ?” On fait tout pour vous dégoûter », déplore Maïté.

Établir un business plan et trouver une maison constituent la seconde étape. « Rien qu’en matos neuf et à cause des normes, on est à 15, 20.000 euros, chiffre Maïté. En tout, il faut quasiment avancer 35.000 euros d’entrée de jeu.  » Les banques ont été difficiles à convaincre. « Un des arguments avancés est que les gens ne sauraient jamais payer ces tarifs-là ! On a fait nos calculs, avec les normes ONE (en matière de sécurité mais aussi de salaires des puéricultrices et du nombre d’encadrantes par enfant, NDLR), une crèche doit être à 850 euros par mois par enfant pour être à l’équilibre… » En juillet 2014, soit il y a presque un an, elles trouvent la maison idéale… et le propriétaire parfait ! Car l’ouverture d’une crèche effraie tant les propriétaires que le voisinage. «  Nous avons eu la chance que la fille du propriétaire était enceinte…  », glisse Laura. Après des travaux d’aménagement, les associées reçoivent les clés en décembre, date à partir de laquelle elles payent un loyer.

Entre-temps, les dossiers destinés à l’ONE, à la commune et aux pompiers sont remis entre septembre et octobre. S’en suit une foule de démarches administratives, régulièrement retardées, et qui frôlent parfois l’absurde. Ainsi, les pompiers exigent un avis d’entretien de la chaudière… qui est neuve ! L’urbanisme demande pour sa part que les murs soient isolés de 10 cm d’épaisseur. « J’ouvre une crèche, pas une discothèque », plaisante Maïté, qui rit de plus en plus jaune. Ici, un document se perd. Un dimanche soir, Maïté reçoit un courriel à 19h30, la veille d’une décision, qui lui signale qu’un document manque et que leur cas sera donc évalué lors de la prochaine réunion… un mois plus tard. Les retards s’accumulent et les mois défilent. Laura a refusé un CDI, espérant ouvrir prochainement. Cela fait sept mois qu’elle est sans emploi : «  C’est une situation criminelle !, s’insurge la jeune femme. A côté de cela, on n’arrête pas de dire qu’il faut ouvrir des places en crèches, qu’on va nous aider… On nous aide surtout à garder la tête sous l’eau ! »

© René Breny.
© René Breny. -

Les deux jeunes femmes reçoivent finalement l’accord de l’ONE le 4 mai dernier, après une visite peu enthousiaste. « Ils veulent tout inspecter, on ne vous fait confiance sur rien !  » Les deux jeunes femmes reconnaissent toutefois que les relations diffèrent fortement selon les conseillers ONE, qui interprètent les normes de façon plus ou moins pointilleuse. La référente de Laura et Maïté a par exemple déduit l’épaisseur des murs de la superficie des pièces afin de calculer combien d’enfants leur crèche peut accueillir… Elles n’ont donc droit qu’à 19 enfants, au lieu des 21 demandés.

Maïté et Laura attendent désormais le feu vert de l’urbanisme. Reste qu’une fois l’avis d’urbanisme délivré, sur recours – il devrait tomber dans le courant du mois de juin – il faut attendre 30 jours pour que le gouvernement bruxellois valide… ou non le changement d’affectation.

Quand Maïté et Laura ont annoncé l’ouverture prochaine de leur crèche à Uccle, elles ont eu 40 réservations en deux semaines… Mais les parents se désistent un à un, ne voyant pas la maison d’enfants ouvrir ses portes. Neuf mois de démarches. 35.000 euros investis. Un loyer de 1.800 euros par mois payé depuis décembre. « On attend. Mais on est persuadées qu’on va encore avoir des ennuis. On ne sait plus quoi faire. Nous sommes une structure privée, c’est vrai, mais d’utilité publique ! » Un conseil pour ceux qui voudraient, malgré tout, se lancer ? « Il faut avoir les reins solides », souffle Maïté.

 

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