Olga Malinkiewicz, la découvreuse polonaise dont Elon Musk lorgne les employés

Chaque jour, aux quatre coins de la Pologne, grâce à leurs connaissances, à leur ténacité, à leur sens de l’innovation et à leur dévouement, des passionnés, des inventeurs, des chercheurs font l’histoire et façonnent le futur. La Docteure Olga Malinkiewicz est l’une d’eux. Elle est l’héroïne de la production Great Little Stories, à voir prochainement sur la chaîne National Geographic. « En se consacrant à sa passion, à ses rêves, on peut faire de grandes choses », confie-t-elle. « J’espère qu’en partageant mon expérience, je pourrai inciter d’autres personnes à suivre leur propre voie, envers et contre tout. Et peut-être à essayer de rendre le monde meilleur. » [scald=29731467:sdl_editor_representation] Votre entreprise, Saule Technologies, porte le nom de la déesse balte du soleil. Est-ce que vous faites des miracles ? Je suis quelqu’un de très terre à terre, mais un peu de romantisme n’a jamais fait de mal à personne, n’est-ce pas ? Tout à fait. D’ailleurs, les pérovskites semblent aussi avoir quelque chose de magique, comme les horcruxes de Harry Potter ou les palantírs, ces cristaux magiques du « Seigneur des anneaux ». Sont-ils magiques ? [Rires] Ils peuvent en donner l’impression, en effet. Je pense que s’ils avaient été inventés il y a cent ou deux cents ans, j’aurais sûrement été accusée de pratiquer la magie noire. Pourriez-vous nous expliquer de quoi il s’agit et en quoi ils sont si innovants ? Mais de manière à ce qu’une personne lambda puisse comprendre. Les panneaux solaires en silicium ont déjà près de 70 ans, et ils sont commercialisés depuis une cinquantaine d’années. Pourtant, ils sont toujours tels qu’ils étaient à l’époque de leur invention. C’est un peu inquiétant. Regardez l’évolution des téléviseurs, des téléphones ou des voitures au cours des 50 dernières années. Tout a fait un bond en avant, sauf les panneaux solaires : en silicium hier, en silicium aujourd’hui. Gros, lourds, fragiles. C’est là qu’intervient notre technologie. Le silicium est un semi-conducteur ; la pérovskite aussi. Mais les panneaux en silicium doivent être portés à haute température, puis découpés, après quoi on y ajoute des adjuvants chimiques… et ce processus de production crée beaucoup de déchets. Avec les pérovskites, on prend un morceau de film, on le coupe au laser en forme de modules, puis il passe dans une imprimante à encre ordinaire, sauf qu’à la place de l’encre, la cartouche contient une formule spéciale qui est imprimée sur le film. Quand il sèche, elle cristallise et une couche de pérovskite se crée. Pas de processus complexe, seulement un laminage à la fin, pour que la pérovskite ne risque pas d’être égratignée. Et on obtient un panneau tout prêt, en état de marche. Les coûts de production sont inférieurs, et il y a moins de déchets, parce qu’on utilise cette « encre » à 100 %. Leur rendement est comparable à celui des panneaux en silicium, mais ceux en pérovskite sont fins et souples. Et en plus, ils sont efficaces même à la lumière artificielle. Actuellement, on travaille sur des systèmes permettant d’intégrer ces films à la carrosserie de voitures électriques pour qu’elles puissent faire plus de kilomètres, ou à des structures légères destinées à la construction de halles et d’entrepôts, qui ne peuvent pas supporter de lourds panneaux en silicium. Constantin Fahlberg a découvert la saccharine en ne se lavant pas les mains après le travail et en mettant du charbon sur des petits pains que sa femme lui avait préparés. Alfred Nobel a renversé par hasard de la nitroglycérine sur du sable, inventant ainsi la dynamite. Comment avez-vous eu l’idée d’utiliser des pérovskites pour faire des cellules photovoltaïques ? Il n’y a pas eu d’accident de ce genre. C’était plutôt intentionnel. Mais c’était pendant des « expérimentations du dimanche », puisque je m’occupais de ces cellules à mes heures perdues, comme un passe-temps, alors que je travaillais et écrivais ma thèse à l’université de Valence. Je connaissais la technique de production de cellules photovoltaïques de nouvelle génération, mais tous les matériaux qui me passaient entre les mains donnaient de piètres résultats. J’arrivais à un rendement de 1 % (c’est-à-dire qu’ils ne transformaient que 1 % de l’énergie des rayons du soleil qui leur parvenait). Quand j’arrivais à 3 %, c’était déjà dingue. C’est alors que j’ai découvert les pérovskites. J’ai pensé : « Bon sang ! Mais moi aussi, je peux le faire ! » J’ai demandé de l’aide à mon directeur de thèse, un Hollandais, car à l’époque, tout le monde n’avait pas accès aux pérovskites. Il a rechigné. « Pour quoi faire ? Tu es déjà en train de finir ton doctorat. » Mais j’ai insisté. Henk a obtenu les pérovskites, mais il a dit qu’il ne voyait pas comment on pourrait faire ça dans notre laboratoire, parce que nous n’avions ni les fours, ni les oxydes nécessaires. Il y a un dicton qui dit : « La contrainte est le moteur de l’innovation ». C’est tout à fait ce qui s’est passé en 2013 à Valence. Pour produire des cellules à base de pérovskites, j’ai dû utiliser des matériaux complètement différents de ceux utilisés jusqu’alors pour ce type de cellules, parce que je n’en disposais tout simplement pas. Ma première cellule avait un rendement d’à peine 5 % : je me suis dit que c’était un échec. Mais Henk était scié. Il s’est exclamé : « Olga, comment tu as fait ça ? Sans four, sans rien ! C’est une découverte majeure, il faut la faire breveter, la publier dans Nature ! » On a commencé à se préparer à cette perspective. A ce moment-là, j’ai même battu mon record en montant à 10 %. J’étais de plus en plus confiante. Mais il y avait un problème. Normalement, on ne s’occupait pas de cellules photovoltaïques. Donc on n’avait pas d’appareils de mesure professionnels. Personne n’aurait cru à ces 10 %. On a donc envoyé mes cellules en Suisse, à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, pour qu’ils confirment mes mesures. Et ils nous ont répondu : « Elles ne marchent pas. » Elles ne marchaient pas ? Non. J’étais sidérée : « Comment ça, elles ne marchent pas ? » Les grands maîtres de la mesure en avaient jugé ainsi, point. Henk était partagé, il disait que je m’étais peut-être trompée quelque part. Mais j’étais sûre de moi. Il a fallu que j’insiste pendant trois mois pour qu’il accepte de m’envoyer en Suisse. Sur place, on exhume mes cellules expérimentales d’un placard où elles étaient restées pendant tout ce temps. Un étudiant commence à mesurer leur rendement. Ça ne marche pas. Je lui demande : « Et vous avez essayé d’inverser les pôles ? De mettre le plus à la place du moins ? » Mon architecture était nouvelle, et eux, ils avaient tout branché de manière classique. Et là, ça a fait des étincelles ! En plus, normalement, ce genre de cellule expérimentale avait une surface de 0,1 cm², 0,2 cm² pour les plus grandes, mais les miennes faisaient 1 cm² ! Ils n’en revenaient pas. Tous les profs de l’école ont débarqué sur-le-champ. Des fois, ça vaut la peine de s’entêter. [scald=29731468:sdl_editor_representation] Vous dites qu’il était difficile d’obtenir ces pérovskites. C’est un matériau rare ? Comme l’épice de « Dune » ? [Rires] Les pérovskites sont des matériaux de synthèse. C’est un groupe de matériaux très large, et les cellules photovoltaïques sont faites de l’un des sous-groupes, assez restreint. En 2013, il fallait avoir une recette chimique et mélanger plusieurs ingrédients dans les bonnes proportions. Aujourd’hui, il y a eu tellement de publications à ce sujet que tout un chacun peut en produire. Mais à l’époque, c’était plus compliqué. Et puis, il fallait maîtriser quelques notions scientifiques pour savoir exactement comment les accommoder… Depuis, huit années ont passé, au cours desquelles j’ai dû quitter l’Espagne pour m’installer en Pologne, y créer une société, monter un laboratoire, rassembler une équipe, construire et mettre en marche une usine, trouver des investisseurs. L’usine se trouve près de Wrocław et est la première de ce type dans le monde. Mais pour l’instant, elle ne peut produire que 40.000 m² de panneaux par an, et des clients débarquent en disant qu’il leur en faut 200.000 ! Une seconde usine est en cours de conception. Et on cherche des capitaux. Mais la technologie est brevetée ? Oui, mais nous vivons une époque où les brevets sont souvent contournés, et il y a des pays qui ne les respectent pas du tout. Il ne faut pas rêver, un bout de papier ne va pas retenir grand monde. Le brevet me donne surtout la garantie qu’aucun gros bonnet ne pourra venir m’interdire de faire ce que je fais. En parlant de gros bonnets… C’est vrai qu’Elon Musk vous siphonne vos employés ? [Rires] D’où tenez-vous cette information ? C’est vrai que Tesla nous a récemment pris un employé. C’était un excellent élément, mais je n’étais pas en mesure de lui faire une contre-proposition suffisamment intéressante pour qu’il reste. Il ne travaillait pas sur les pérovskites, mais sur l’électronique. Et malheureusement, l’oiseau rare s’est envolé. En ce qui concerne les grosses entreprises de notre secteur, je n’ai pas d’illusions, mais je ne souhaite pas non plus qu’on soit les seuls sur le marché. Parce que les besoins dans ce domaine sont tellement énormes qu’un seul producteur, même de taille supérieure, ne serait pas en mesure de les satisfaire. Cette technologie va dominer le marché, je n’ai aucun doute à ce sujet, mais j’espère que notre entreprise et notre activité seront à la pointe, que nous serons les leaders. Parce que le premier arrivé a un avantage.

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