Mgr Harpigny: «La renonciation de Benoît XVI fut une bonne idée»

L’évêque de Tournai Guy Harpigny revient sur le parcours de Benoît XVI, décédé ce samedi. L’occasion d’évoquer certaines questions toujours sensibles au sein de l’Eglise. [scald=29756316:sdl_editor_representation] [scald=29755956:sdl_editor_representation] Votre réaction après le décès de Benoît XVI ? C’était un théologien remarquable. C’était un des rares survivants de Vatican II en tant que théologien. Ses livres et ses cours ont servi à former beaucoup de monde dans l’Eglise catholique. Pas seulement chez les Allemands, mais chez les catholiques du monde entier. Il était alors très apprécié. Une fois pape, il a rédigé des encycliques, dont on retiendra plus particulièrement celles qui ont vraiment aidé à réfléchir sur l’union entre le service que l’Eglise rend à la société et le fondement religieux de ces services. Il ne s’agissait pas d’ajouter quelque chose de plus pour plaire. C’était bien fondé théologiquement, religieusement, dans la foi. Benoît XVI est parti du concept de la charité et de l’amour. C’était remarquable. On lui doit cela. C’était aussi un homme d’une immense culture francophone. Le français était sa deuxième langue quant à sa manière d’être. Il le parlait parfaitement. Il avait lu la littérature française de son temps. Il lisait les théologiens français. Il parlait également l’anglais et l’espagnol. Il avait une vision universelle de ce qu’est l’inculturation de l’évangile selon les langues et les pays. On l’a souvent qualifié de « conservateur » dès lors qu’il est devenu préfet de la Congrégation de la Doctrine de la foi sous Jean-Paul II. C’est un qualificatif qui lui correspondait bien, selon vous ? Oui, on peut le dire. Comme toujours, des théologiens tout aussi remarquables ont essayé d’ouvrir des portes dans le dialogue interreligieux ainsi que dans d’autres domaines. Et là, il était assez strict. Je crois qu’il n’y a pas eu alors beaucoup de condamnations. Mais des gens ont beaucoup souffert, tel le père jésuite Jacques Dupuis qui a consacré sa vie à la réflexion sur le dialogue interreligieux. Joseph Ratzinger était un homme très pieux, un homme de foi. Mais une fois qu’il a eu des responsabilités dans le domaine de la doctrine, il s’est montré assez strict. Benoît XVI a pointé les problèmes de pédocriminalité au sein de l’Eglise. Mais on lui reproche de ne pas avoir osé combattre ce fléau jusqu’au bout. C’est exact. Sous Jean-Paul II, Joseph Ratzinger avait déjà alerté le pape. Mais celui-ci n’écoutait pas. Une fois qu’il est devenu pape lui-même, il a vu l’ampleur (NDLR : des abus) mais ce n’était pas encore identifié au niveau mondial. Il était alors question de quelques pays où Benoît XVI était intervenu de manière ferme, mais comme les autres pays n’en parlaient pas… Je ne dirais pas qu’il n’a pas osé, mais en tout cas il a laissé faire le temps. Le pape François a mis un coup d’accélérateur. [scald=29756154:sdl_editor_representation] Ce qui est perceptible dans le dernier rapport de l’Eglise catholique belge où un certain nombre d’affaires d’abus sexuels présumés sont pointées et présentées à la justice. Oui. [scald=29756153:sdl_editor_representation] Le fait que Benoît XVI ait renoncé en 2013 à la fonction papale ouvre-t-il vraiment de nouvelles perspectives pour celle-ci. C’était une surprise. Mais c’est aussi une bonne idée. Durant ses dernières années, le pape Léon XIII mort en 1903 était déposé dans un fauteuil. Les gens défilaient devant lui. Il ne disait rien. Une telle situation ne doit plus exister. Jean-Paul II, à la fin de sa vie, n’avait plus de force pour diriger. Benoît XVI s’est sans doute rendu compte qu’il avait beaucoup de difficultés à gouverner. Les Vaticanleaks ont éclaté… Il s’est dit qu’il fallait passer la main. Le pape actuel est de cette trempe-là aussi. Il a dit récemment que, dès qu’il avait été élu, il a donné au secrétaire d’Etat de l’époque une lettre disant : « Si je ne suis plus bien, si je perds la tête, je renonce. » Le pape prend des décisions parfois difficiles, après un long temps de discernement, avec de nombreux collaborateurs autour de lui. Ça prend du temps et de l’énergie. Il doit être capable de taper du poing sur la table. [scald=29756141:sdl_editor_representation] Le pape actuel est quelqu’un qui gouverne. Il est au courant de beaucoup de choses. Quand il faut prendre une décision, il la prend sans attendre des mois. L’Eglise catholique de Belgique apparaît souvent plus progressiste que Rome. Ses dignitaires se montrent plus souples en paroles sur l’IVG, les couples homosexuels, etc. De ce côté-là, vous ne devez rien à Benoît XVI… Il est difficile de faire une synthèse sur de telles questions. Au niveau de la théologie morale, tous les évêques du monde sont démunis. Nous ne disposons pas de quelque chose qui vienne de la raison ou des sciences humaines en quoi nous aurions spontanément confiance. Nous restons dans le discours théologique basé sur le discours de dieu, la révélation… et cela est évidemment juste. Mais il faut aussi (prendre en compte) certaines situations qui sont quand même nouvelles, comme l’union des homosexuels, etc. Jusqu’au XIXe siècle, dans certains pays, ces personnes étaient mises en prison. Les mentalités ont changé. Les sciences humaines se sont intéressées à ces modes de vie et je crois qu’il faut bien écouter ce qu’on y dit et faire confiance. Dès lors, il faut avoir l’audace de changer un peu le regard. Mais nous ne sommes qu’au début. Et nous – je veux dire moi – n’avons pas toujours les théologiens qui nous aident en la matière car ils sont très peu nombreux. Car on est peut-être prudent. Trop prudent. [scald=29756090:sdl_editor_representation] François peut-il faire progresser cette réflexion ? Le pape actuel est un jésuite, donc il a une excellente connaissance de ce qu’on appelle le discernement. L’objectif à atteindre est de correspondre à une proposition que Dieu fait pour vivre selon l’Evangile. On n’arrive pas à cela directement, il y a des étapes à franchir. Amoris Laetitia, l’exhortation apostolique de François, parle de situations dites « irrégulières ». Mais en même temps, le pape demande de réfléchir et de voir comment ces situations dites « irrégulières » peuvent progresser. Ce n’est pas un jugement de condamnation. Le but de faire progresser. Mais à quoi doit-on aboutir ? C’est un long processus. Le pape espère que le discernement pourra progresser en la matière au sein de l’Eglise, c’est-à-dire dans le monde entier. François ouvre des pistes. Mais la science théologique, depuis qu’elle existe, avance avec une génération et recule avec la suivante, etc. C’est très lent. Et je crois qu’un des rôles du pape dans de telles situations est de faire en sorte que tout le monde s’y retrouve, qu’il n’y ait pas de schismes à l’intérieur de l’Eglise. [scald=29756091:sdl_editor_representation] [scald=29756019:sdl_editor_representation]

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