Brésil: une marée rouge pour le retour de Lula

C’est une investiture totalement inédite que le Brésil a connue ce dimanche pour le troisième mandat de Luiz Inacio Lula da Silva dit Lula. L’absence du président sortant, Jair Bolsonaro, qui s’était envolé vendredi 30 décembre pour les Etats-Unis, a changé le protocole : ce sont plusieurs représentants de la société civile, dont un enfant, une femme noire, un ouvrier, un handicapé et le célèbre cacique Raoni qui ont passé l’écharpe présidentielle au leader de la gauche, donnant de suite des couleurs à l’événement, et montrant clairement au monde que la gauche était bien de retour aux affaires au Brésil. La présence de l’extrême droite était pourtant forte justifiant l’imposant dispositif de sécurité qui a dû être déployé pour faire face aux menaces des bolsonaristes. Le cœur de Brasilia – la place des Trois pouvoirs, qui abrite le palais présidentiel, le Congrès et la Cour suprême – a été totalement bouclé. Les militaires gardaient chaque entrée de l’Esplanade des ministères, les hélicoptères tournaient constamment et des snipers ont veillé tout le long du parcours emprunté par le président élu et son épouse. Le couple présidentiel a finalement bien défilé dans la Rolls Royce décapotable, utilisée traditionnellement pour ces cérémonies depuis 1953 et non dans une voiture blindée comme les forces de police l’avaient au départ demandé. Seules 40.000 personnes ont pu assister à cette cérémonie, en arrivant à pied avant midi, et après une fouille minutieuse au corps et via des détecteurs de métaux. Mais une marée rouge a envahi la pelouse de l’Esplanade des ministères, longue de plusieurs kilomètres, pour suivre la cérémonie sur des écrans géants. On estime que près de 300.000 personnes étaient sur l’Esplanade, des familles, heureuses, qui se prenaient dans les bras, mais aussi de très nombreux représentants des mouvements sociaux, arrivés par caravane depuis quelques jours. Victoria, venue de l’état du Ceara et qui milite pour la question de l’eau, était très émue : « Vous ne savez pas la sensation de liberté que l’on ressent, après quatre ans de cauchemar. On a tellement eu peur que Bolsonaro gagne à nouveau car il avait mis toute la machine publique à son service, sans parler des fake news qu’il n’a cessé de répéter. C’est pour cela qu’il était si important qu’on soit là aujourd’hui. » « J’ai demandé à ma mère de ne pas venir » Simão, a ses côtés, complète : ce jeune électricien syndicaliste a même voulu renoncer à un moment à venir à cette investiture, par crainte de violence : « Bien sûr que j’ai eu peur. J’ai demandé à ma mère de ne pas m’accompagner aujourd’hui. Les bolsonaristes sont ultra-violents et frustrés. Ils ont déjà préparé des actes violents dans leur campement de Brasilia. » Il cite les bus et voitures incendiés à Brasilia le 12 décembre lors de la cérémonie de certification de Lula par le Tribunal supérieur électoral. Mais il fait surtout référence à l’attentat manqué le 24 décembre dernier, où une bombe artisanale avait été placée dans un camion-citerne près de l’aéroport de Brasilia. Le suspect Georges Washington Oliveira Sousa a confessé à la police que l’attentat avait été conçu au sein du campement bolsonariste de Brasilia. Depuis la victoire de la gauche, le 30 octobre dernier, les partisans de Jair Bolsonaro, campent devant les casernes militaires dans tout le pays pour exiger une intervention militaire contre une élection qu’ils considèrent illégale. Le campement de Brasilia, devant le quartier général de l’Armée est le plus important de tous. A l’arrière, des tentes sont installées à côté des cuisines collectives qui ne désemplissent guère. Au premier plan, une scène a été grossièrement montée avec des enceintes protégées par du plastique. On pourrait se croire dans une mobilisation de la gauche latino, sauf qu’ici on chante l’hymne national, debout, la main sur le cœur et on prie bruyamment « les forces armées de nous délivrer du communisme ». « Nous n’allons jamais accepter Lula » Chaque semaine, des autobus arrivent de tout le pays pour renforcer les troupes ; « ici nous sommes des patriotes et on se bat contre le mal », explique João Hamilton, la cinquantaine, un des rares à donner son nom et accepter de parler avec la presse. « Les médias ne sont pas bienvenus », prévient-il, « ils dénigrent notre mouvement et notre président ». Autour de lui, près de 2.000 personnes arborent des habits aux couleurs (jaune et vert) du Brésil. Tous les jours, après le travail, João vient au campement avec sa chaise pliante pour discuter politique : « Nous n’allons jamais accepter Lula comme président, il devrait être en prison », assure ce commerçant. Dans son discours au Congrès, Lula a promis une nouvelle fois de « gouverner pour tous les Brésiliens, sans esprit de revanche », une phrase bien sûr destinée à ces adversaires. Mais il a aussi assuré qu’il allait révoquer cette semaine les décrets de son prédécesseur sur la libéralisation des armes. Un premier pas indispensable selon les spécialistes pour contenir la violence de l’opposition qui en quatre ans, a radicalement changé le Brésil. [scald=29759512:sdl_editor_representation] Le nouveau ministre de la Justice, Flavio Dino, veut lui démanteler les campements : « ces installations “patriotiques” se sont transformées en incubateurs de terroristes. Ce n’est pas un fait pittoresque, c’est un mal qui ne peut être banalisé », a déclaré le ministre lors d’une interview sur la chaîne Globonews. Mais cet ancien magistrat n’ignore pas que la police et les forces armées les ont jusqu’à présent défendus. « C’est la première fois depuis le retour de la démocratie que nous avons au Brésil une opposition d’extrême droite violente et armée. Ce sera un défi pour le nouveau gouvernement, d’autant plus qu’il devra aussi combattre la radicalisation dans les forces armées et la police », estime le politologue Mauricio Santoro, de l’Université de Rio de Janeiro. La cérémonie d’investiture a choisi de faire passer un tout autre message que celui de la violence : la présence plurielle des représentants de la société brésilienne restera comme le symbole le plus fort. Lula a promis - reprenant le thème de sa campagne électorale - « de gouverner pour tous, mais les pauvres en premier ».

Votre compte

Brésil: une marée rouge pour le retour de Lula

Découvrez la suite, 1€ pour 1 mois (sans engagement)

Avec cette offre, profitez de :

Le fil info

0 Commentaire

Aussi en Amériques

Jusqu’à -78ºC ressentis: les images glaçantes du vortex polaire aux Etats-Unis et au Canada

Vortex polaire aux Etats-Unis et au Canada: nouveau record de -78ºC en température ressentie

L’armée colombienne a repéré un objet dans le ciel ressemblant à un ballon espion

Ballon «espion» abattu par les Etats-Unis: Pékin critique une réaction «excessive»

Feux de forêts au Chili: le bilan monte à 22 morts (photos)

Allez au-delà de l'actualité

À la Une

Bruxelles: la police recherche des suspects armés dans le quartier européen

Séisme en Turquie et en Syrie: le bilan provisoire s’alourdit à plus de 3.800 morts et plus de 15.000 blessés

Le «big one», ce tremblement de terre hors norme qui va bientôt toucher Istanbul

Volodymyr Zelensky à Bruxelles jeudi

TVA en baisse, accises en hausse et fin du tarif social élargi: voici les mesures «énergie»

Un astéroïde de la taille du Colisée de Rome détecté par le télescope James Webb

30 années au service d’une passion : le métier d’infirmière

Des soins intensifs polyvalents et à la pointe des technologies

L’indemnité vélo pour tous les travailleurs belges dès le mois de mai

Les sections du site

Les services

Groupe Rossel