«C’est du français!»: la fabrique des mots nouveaux

En 2015, le journal Le Soir lançait l’opération du Mot Nouveau en collaboration avec Michel Francard, qui anima longtemps ces colonnes, et l’auteure de la chronique que vous êtes en train de lire. La RTBF rejoignait l’aventure en 2018. En huit éditions, 80 mots nouveaux ont été sélectionnés par le jury et proposés au vote. Les huit lauréats sont spoiler (2015), Brexit (2016), fake news (2017), malaisant (2018), chill (2019), déconfinement (2020), ultracrépidarianisme (2021) et vélotafer (2022). Intéressons-nous au top 3 de chaque édition. Comment ont été formés ces 24 néologismes ? Six sont des emprunts, à l’anglais bien sûr : Brexit, fake news, chill et spoiler, qui a été adapté afin de se conjuguer en français. Mais pas uniquement à l’anglais. Le verbe s’enjailler est emprunté au français argotique du Cameroun (par déformation de l’anglais to enjoy, lui-même emprunté à l’anglo-normand enjoier) tandis que flykskam « sentiment de honte de prendre l’avion » (prononcé <fluc-skam) est suédois. Cinq mots nouveaux sont formés par dérivation, le procédé le plus courant. Il consiste à ajouter un préfixe ou un suffixe à un mot existant, le procédé étant récursif : déradicalisation, déconfinement ou distanciel. Quatre sont des mots-valises, ou portmanteau words selon la jolie invention de Lewis Caroll. Ils sont formés de morceaux de plusieurs mots (infox, iel ou démocrature, qui possède la variante dictocratie). Egalement au nombre de quatre, les composés sont formés de plusieurs mots, dont des racines savantes : collapsologie ou vélotafer. Les autres innovations sont des locutions (écriture inclusive, gilet jaune), des acronymes (le fameux covid, formé à partir des premières lettres de corona virus disease) ou même des archaïsmes revenus dans l’usage, comme malaisant (attesté dès 1855, de l’ancien français malaiser). Mots nouveaux, nouvelles vedettes Quel a été le destin lexicographique de ces mots ? Sont-ils entrés dans le Petit Larousse ou le Petit Robert ? Sont-ils devenus de célèbres vedettes ? En lexicographie, une vedette désigne un mot détaché en gros caractères, en tête de ligne. Par glissement, une vedette désigne une entrée de dictionnaire, faisant l’objet d’un article. Sachant qu’une édition parait l’année précédant son millésime (l’édition 2023 parait en 2022), on s’en tiendra prudemment aux mots nouveaux élus entre 2015 et 2020. Sur les 18 candidats à la respectabilité normative – « Ah ! faire partie du français de référence, quel couronnement ! » – seuls deux mots sont restés sur le banc, au ban de la norme actuelle. Les mots entrent généralement dans le Petit Robert (PR) avant d’intégrer le Petit Larousse (PL). Presque tous ont fait l’objet d’un nouvel article. Quelques-uns forment une « entrée cachée » dans un des deux dictionnaires : ils se trouvent cachés dans un autre article. Ainsi, spoiler (PL) est présenté comme un équivalent de divulgâcher (forme recommandée). Déradicalisation (PR) se trouve sous déradicaliser. Distanciel (PL) complète l’entrée présentiel. Et fake news est donné comme équivalent de infox. Ce traitement caché privilégié pour les anglicismes montre qu’ils sont mis au second plan lorsqu’une forme équivalente existe en français. Cette résistance explique sans doute que chill « agréable, détendu » ne soit pas entré tel quel, mais sous une forme adaptée au français, le verbe chiller « prendre du bon temps à ne rien faire » (PR). L’autre refusé des dictionnaires est putaclic « dont le titre a un caractère racoleur », sans doute écarté pour sa diffusion plus faible ou son registre familier. Les petits Belges… L’opération du Mot Nouveau est belge. C’est l’occasion mesurer la présence des belgicismes dans les dictionnaires de référence. Ils commencent à intégrer les dictionnaires à la fin des années 1960. A l’occasion d’une refonte, près de 50 belgicismes entrent dans le Petit Robert en 2008 (barémique, brol, crollé, fancy-fair, guindailleur, taximan, zoning…), grâce au travail d’enquête mené par Michel Francard et son équipe à l’UCLouvain pour le Dictionnaire des belgicismes . Par la même occasion, quelques belgicismes surannés sortent discrètement (carte-vue, décauser). Ce mouvement se poursuit entre 2008 et 2023 pour atteindre environ 90 entrées. Il ne s’agit pas d’ajouts anecdotiques, loin de là. D’une part parce que cette ouverture à la francophonie concerne l’ensemble des régions (Québec, Afrique, Suisse… et même les régions de France). D’autre part, parce que l’intégration de mots régionaux contribue à modifier l’image du français : d’abord conçu comme reflétant la pratique de la bourgeoisie parisienne cultivée, il est aujourd’hui décrit comme une langue dotée de plusieurs centres (Bruxelles, Genève, Québec…) et donc possiblement de plusieurs normes acceptables. En 2023, sept belgicismes ont intégré le Petit Robert. Il s’agit d’expressions (après moi les mouches, son franc est tombé, faire un pas de côté), de locutions (parking de dissuasion, conducteur fantôme, monter au jeu) et d’un nom (baiser « petit four constitué de meringues soudées par de la crème au beurre », le macaron wallon en quelque sorte…). Des belgicismes pas si faciles à identifier. Nous reviendrons sur les mots entrés au cours des dernières années dans les deux dictionnaires de référence que sont le Petit Robert et le Petit Larousse. Ces mots reflètent autant qu’ils dessinent les évolutions de notre société.

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