«Le Silence et la Colère»: en 1952, un village s’oppose à un barrage

Le Silence et la Colère, Pierre Lemaitre, Calmann-Lévy, 592 p., 23,90 €, ebook 16,99 €. En librairie le 10 janvier Pour Pierre Lemaitre, l’année commence comme la précédente : avec un nouveau roman, le deuxième dans la tétralogie avec laquelle il compte traverser les Trente Glorieuses. Le Grand Monde se déroulait en 1948, Le Silence et la Colère nous envoie en 1952. Cette année-là se terminait le barrage de Tignes, devenu ici celui de Chevrigny. Françoise Giroud venait de publier dans Elle une retentissante enquête sur la propreté des Françaises. Et l’avortement était un crime autant pour les femmes que pour les médecins, associés dans ce choix interdit. « Si l’avortement était une affaire de femmes, sa répression restait principalement une affaire d’hommes. » Les trois sujets sont présents dans le roman, à divers titres. Ils sont réunis autour d’Hélène Pelletier, apprentie journaliste – et en compétition, sur ce terrain, avec son frère François – à qui est confiée, au Journal du soir, la série d’articles sur l’hygiène avant qu’elle soit envoyée à Chevrigny – François, encore lui, avait été à l’origine du reportage – et qu’elle se découvre porteuse d’un embryon dont elle veut se débarrasser. Passons sur l’imbroglio sentimental à l’origine de sa grossesse, il suffit de savoir qu’il est directement lié à sa situation professionnelle. La famille Pelletier est un tissu de contradictions Hélène est l’héroïne positive du livre. Elle n’est pas sans défauts mais ses qualités et sa volonté la portent parfois au-delà d’elle-même, jusqu’à la transformer en porte-drapeau d’une cause qui pourtant la dépasse : le combat des habitants de Chevrigny contre le barrage et leurs petits arrangements avec la réalité tels que les mettra en évidence le malfaisant Destouches, chargé d’ouvrir le robinet malgré les obstacles. A l’opposé d’Hélène, Geneviève, l’épouse acariâtre de Jean Pelletier. Mère indigne d’une petite Colette qu’elle traite d’enfant difficile mais dont elle considère les imprudences, celles d’une enfant de trois ans, avec une curiosité gourmande sans aucune envie de lui éviter les accidents, Geneviève est à nouveau enceinte. De qui ? Son mari ne l’approche plus depuis longtemps. Nous le saurons à Beyrouth, berceau de la famille où vivent toujours les parents et où le père Pelletier se passionne pour l’aventure pugilistique d’un de ses employés. On n’épuisera pas en un article la pelote de fils que Pierre Lemaitre dévide en y faisant des nœuds aux meilleurs moments. Il nous expliquait, à la parution du Grand Monde, qu’il passait son temps à faire des plans qui devenaient « une horlogerie assez fine ». On serait curieux de voir le plan de ce volume-ci : probablement une œuvre d’art en soi tant les enchevêtrements y sont calculés avec précision. Un mot, quand même, avant de vous abandonner à ces presque 600 pages, de Jean Pelletier, en train d’ouvrir un grand magasin parisien promis au succès ou à la ruine (dans son cas, c’est plus souvent la ruine, mais on verra) en raison des prix cassés qu’il y pratique. On l’avait découvert, dans le précédent volume, soumis à de soudains accès criminels auxquels il était incapable de se soustraire. Il n’a pas changé. Ce qui a changé, c’est que François enquête sur des meurtres de femmes dont il ignore bien entendu que le coupable est si proche de lui. La famille Pelletier est un tissu de contradictions riche de possibilités narratives : « Il y aurait eu un roman à écrire sur les pensées des uns et des autres. Une vie de famille. » Ce roman, le voici. Et il est formidable. [scald=29769911:sdl_editor_representation]

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