Louis Paillard, l’étoile mystérieuse de Houellebecq

La carte et le territoire, Houellebecq, Paillard, Flammarion, 160 p., 28,90 € Louis Paillard est architecte mais rêvait de longue date de faire de la bande dessinée. A la vue de ses premières planches, Metal Hurlant et (A Suivre) lui avaient fait comprendre qu’entre le métier d’auteur de bande dessinée et celui d’architecte, il fallait choisir. Il a bâti une Ecole des Beaux-Arts à Valenciennes, une Maison-Musée à Waterloo, un hall pour le Ministère de la Culture à Paris… sans pour autant tourner la page de sa passion pour le 9e Art. Quand Michel Houellebecq décroche le Prix Goncourt avec La carte et le territoire , il est foudroyé par ce roman dont le héros est un artiste et le père architecte… « J’ai écrit à Michel Houellebecq, qui m’a répondu le jour de l’An, à 2 heures du matin ! » se souvient Louis Paillard. « Pendant trois mois, nous avons échangé des mails à propos du rôle du point-virgule, de Dieu et de toutes sortes de choses. En ma qualité d’architecte, je l’ai aidé à acheter et rénover un appartement. Entre-temps, j’ai dessiné trois planches de bande dessinée adaptées de son Prix Goncourt. Je les lui ai montrées pour le plaisir et il m’a encouragé à poursuivre le projet. Sa seule exigence était que le héros ne soit pas petit avec des moustaches et des lunettes. Là, je me suis demandé dans quoi je m’embarquais. J’ai un cabinet d’architecte à faire tourner. J’habite en Italie. Je collectionnais les bandes dessinées mais je n’en avais jamais fait et son bouquin comptait quand même 414 pages en livre de poche. J’ai réfléchi. J’ai bloqué. Mais il m’a donné des conseils pour m’organiser. » En élève libre de toute école, Louis Paillard décide de mettre tête bêche tous les codes existants de la bande dessinée. Il dessine son adaptation comme une œuvre inclassable, hors-norme, dont la maestria esthétique et narrative fait écho au modernisme de l’écriture de Michel Houellebecq. « J’ai choisi de dessiner à l’horizontale et en grand format », nous raconte Louis Paillard. « J’ai imaginé un récit construit sous formes de doubles planches d’un seul tenant, plutôt que de planches côte à côte comme il est de tradition dans la bande dessinée classique. J’avais envie de bousculer le médium. Au final, c’est un album plein, chargé, où le lecteur a de quoi lire ! » L’aventure prendra trois ans. L’artiste architecte construit son roman graphique sans synopsis préalable, histoire de se surprendre lui-même au fur et à mesure du processus créatif. « Je me suis autorisé à changer de style, à passer de la plume au pinceau. L’expérience a été très physique. J’ai eu mal au bras, au coude, à l’épaule. Pour tenir le rythme, je me levais tôt. Je déjeunais à fond. Je faisais un peu de gym. Tout a été lettré et dessiné à la main. C’était une question de cohérence par rapport au propos du livre, qui parle, entre autres, de l’art et de l’artisanat… » Précision L’artisan Paillard adopte une approche d’entomologiste. La précision est la clé de voûte de l’œuvre de Michel Houellebecq. « La description de notre réalité participe de sa philosophie romancière », explique Louis Paillard. Qu’il s’agisse d’un parking d’hôtel, d’un bord de Seine, du portail du 36 quai des Orfèvres, du château de Vault-de-Lagny, de l’aéroport de Roissy… tout est rigoureusement documenté. Le roman graphique est aussi émaillé de références artistiques. « Nous sommes au cœur d’une histoire d’amour, de mort… et d’art », rappelle Louis Paillard. « J’ai joué avec les artistes que j’admire. Je me suis amusé, par exemple, à glisser un portrait de Houellebecq inspiré de celui du Géographe de Vermeer, un maître du Siècle d’or néerlandais. » Dans une autre scène, le héros, Jed, et son père, se promènent dans les tableaux The Enigma of the Day et Piazza d’Italia de Giorgio De Chirico. Une case vaste comme un panorama de campagne fait écho à Peter Doig, le peintre écossais post-expressionniste abstrait. « Je ne fais pas tout ça pour étaler ma culture mais pour tenir le lecteur en haleine », précise Louis Paillard, « et parce que ça fonctionne parfaitement avec le texte de Houellebecq. » Les bédéphiles débusqueront des clins d’œil stylistiques aux univers de bande dessinée du Tintin d’Hergé, de l’Incal de Moebius, du Rip Kirby de Prentice, de La Bête est morte de Calvo ou encore de Pravda la survireuse de Peellaert… Et les lecteurs les plus attentifs trouveront leur bonheur au fond des cases en découvrant, ici et là, un album de L’Etoile mystérieuse d’Hergé, une anthologie de Lovecraft, La condition humaine de Malraux ou un exemplaire d’ Aurélia, le livre inachevé de Gérard de Nerval… « J’ai semé le livre de petits indices cachés », sourit Louis Paillard. « L’Etoile mystérieuse est le Tintin préféré de Michel Houellebecq. Il a dédié son roman Contre le monde, contre la vie , à Lovecraft. L’amour absolu d’ Aurélia renvoie à la liaison impossible entre Jed et Olga dans La carte et le territoire … Et pour les puristes, j’ajoute que la couleur bleue des pages de garde de mon livre est un hommage aux pages de garde des premiers albums de Tintin… »

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