Etats-Unis: la grogne monte chez les Républicains

Grow up ! » Il est temps de grandir ! L’avertissement s’affiche en une du tabloïd conservateur New York Post, mercredi, en vain. Sous les ors de la Chambre des représentants, à Washington, un psychodrame inédit depuis un siècle se joue depuis l’inauguration du 118e Congrès des Etats-Unis, le 3 janvier. Les républicains ont remporté une courte majorité lors des élections de mi-mandat en novembre (222 sièges sur 435) mais sont incapables de s’entendre sur le nom du successeur de la démocrate Nancy Pelosi au perchoir. Le Californien Kevin McCarthy, 57 ans, se voyait déjà en « speaker » (président de la Chambre), après des années à cajoler tous les clans du GOP (Grand Old Party, conservateur) et à se prosterner devant l’ex-président Trump. [scald=29770013:sdl_editor_representation] Il s’est déjà écrasé six fois en flammes, en autant de tours de scrutin. A chaque fois, une vingtaine d’élus « insurgés », des extrémistes pro-Trump, héritiers du mouvement populiste des «Tea Parties » de 2010, absolument hostiles vis-à-vis de celui qu’ils prennent pour un « RINO » (Republican in name only) et qui, redoutent-ils, s’empressera de trouver des compromis bipartisans avec les démocrates, une fois son élection acquise. Eux refusent toute forme de rapprochement avec « l’ennemi » de gauche, auxquels ils reprochent un avilissement moral, une politique « socialiste » (terme grossier outre-Atlantique) et un blanc-seing à l’immigration clandestine. Un septième tour, jeudi à mi-journée, a donné exactement le même résultat. Suprême camouflet, l’un des rebelles, Matt Gaetz, a annoncé qu’il nominait pour speaker… Donald Trump, provoquant un rire chez sa voisine, Marjorie Taylor Greene, une édile extrémiste de Géorgie. Un huitième tour se profilait dans la foulée, sans indication d’un quelconque progrès, malgré des rumeurs annonçant de « se tenir prêt » pour un hypothétique tournant. Bientôt un record On approche doucement du record de 1923, lorsqu’il avait fallu 9 tours pour élire Frederick Gillett, du Massachusetts. Cette fois, pourtant, rien ne dit que l’issue semble proche, tant le Parti républicain affiche de graves dissensions idéologiques au grand jour. La grogne monte en interne. « En ce moment, une poignée de républicains nous a tous pris en otages et nous empêche d’accomplir notre tâche, c’est-à-dire de servir notre pays, s’émeut un représentant pro-Trump du Texas, Dan Crenshaw. Espérons qu’il y aura vite du changement et que nous allons pouvoir commencer à croiser le fer avec les démocrates, ce pourquoi nous sommes attendus ». « Cessez ce non-sens et occupez-vous plutôt de Joe Biden, renchérit Michael Goodwin, éditorialiste du New York Post. «Elisez Kevin McCarthy», a plaidé Donald Trump depuis sa résidence de Mar-a-lago en Floride, poussant l’audace d’appeler directement l’élue insurgée du Colorado Lauren Boebert, pour la convaincre de virer sa cuti. Sans effet. Boebert, une inconditionnelle de l’ancien chef de l’État, a rétorqué qu’il devrait plutôt demander à McCarthy de se désister. L’édile californien en mauvaise posture a pourtant cédé sur presque toutes les exigences des irréductibles. Il a accepté de leur confier un nombre de sièges significatif au sein de la commission des Règles de la Chambre, et consenti à laisser tout élu proposer une motion de défiance (dite vacate the chair) contre la personne du speaker, en toute occasion. Il n’a rien promis, en revanche, face à ceux qui, parmi les « conservateurs fiscaux », lui demandaient de provoquer un «shutdown » budgétaire plutôt que de relever le plafond de la dette ou laisser adopter les programmes sociaux dispendieux de l’Administration démocrate, ainsi que le plaidait le mutin de Caroline du sud, Ralph Norman. En vain, là encore. D’après ABC News, ils seraient six « Never Kevin », parmi les vingt, à refuser contre vents et marées de soutenir un jour, même du bout des lèvres, le mollasson McCarthy. Eux plébiscitent Jim Jordan, Byron Donalds, Andy Biggs, bien qu’aucun de ces derniers n’escompte jamais dépasser plus de vingt soutiens. Dans l’impasse, le Parti républicain mesure l’étendue des dégâts, depuis l’irruption dans son cercle très fermé d’un trublion nommé Donald Trump, huit ans plus tôt. Bien que celui-ci ait quitté la scène, tout en affichant sans grande conviction une déclaration de candidature pour la présidentielle 2024, les couteaux restent tirés entre ses disciples, partisans d’une mutinerie générale contre le marigot fédéral du Congrès, et les « modérés » reaganiens, une espèce en voie de disparition. L’éclatement des troupes, et l’indiscipline de vote qui ronge le GOP, met en lumière l’erreur tragique de calcul des élites républicaines, qui auraient pu se croire libérées du mauvais sort trumpien. « La faute commise par McCarthy réside dans le fait qu’il a pu se convaincre qu’un parti obsédé par la domination (et la reconquête, même partielle, du pouvoir, NDLR) accepterait de se soumettre » à son leadership, suggère Michelle Goldberg dans le New York Times. « Il n’y a plus personne à la barre. C’est le chaos total. Notre mouvement va devoir composer avec ça », soupire l’animateur de radio conservateur John Fredericks, ex-directeur de campagne pour Donald Trump en Virginie. Sans Donald Trump, mais avec l’esprit franc-tireur du mouvement populiste, xénophobe et isolationniste MAGA (Make America Great Again) né autour de sa personne. Un mouvement, dont les représentants les plus exaltés au Congrès montrent qu’il a toujours autant de mal à appréhender la chose publique et le bon fonctionnement des institutions fédérales, à l’instar de l’assaut manqué contre le Capitole, le 6 janvier 2021 (cinq morts), pour bloquer la certification de l’élection présidentielle 2020. « Les membres qui ont commencé cela ont peu d’intérêt à légiférer, résume Karl Rove, ex-stratège républicain de George W. Bush. Ils sont surtout intéressés à brûler la structure actuelle de la direction républicaine. Leur comportement montre que l’absence de pouvoir corrompt tout aussi absolument que le pouvoir. » [scald=29770014:sdl_editor_representation]

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