En Tanzanie, le pari de l’agroécologie face au changement climatique

Un nuage de poussière, rouge et opaque, s’élève et engloutit pour quelques secondes tout sur son passage. « C’est parce qu’il fait très sec », lance le chauffeur du quatre-quatre blanc qui file sur les pistes accidentées du nord de la Tanzanie. Dans le district de Karatu, non loin de la grande ville d’Arusha, le paysage est désertique, marqué par cette poussière écarlate, où rien ne pousse. Nous sommes pourtant le 9 novembre, en plein milieu de la petite saison des pluies qui se manifeste généralement entre octobre et décembre. Jusqu’alors, l’eau n’a pas encore coulé. Cela fait quelques années que ces saisons des pluies ont du retard ou se raccourcissent. Le quatre-quatre s’engouffre dans un village. Au bord de la route, on croise des passants qui se couvrent le visage à l’arrivée du nuage de poussière. Au bout du chemin, la ferme de Florian Edito et sa famille. On s’y active pour le rituel matinal : la prière est suivie du lavage des dents et du nettoyage de la propriété. Le porridge avalé, les enfants partent à l’école et Florian fait le tour de sa ferme. Un potager, une pépinière, un champ de maïs, de patates douces, quelques chèvres, des poules, une vache, deux cochons… voilà tout ce que Florian a pu développer chez lui grâce à l’aide de l’ONG belge Iles de paix (IDP). L’organisation forme les paysans volontaires à passer à l’agroécologie et au petit élevage. Ce type d’agriculture, plus durable, se concrétise notamment par la mise en place de méthodes de culture sans pesticides, une attention à la diversification des cultures et à la bonne gestion des ressources et des sols. Ludovic Joly, directeur d’Iles de paix Tanzanie, est sur place depuis sept ans et la création de la branche tanzanienne de l’ONG. Selon lui, une agriculture conventionnelle qui repose essentiellement sur les produits chimiques n’est pas viable et c’est le moment parfait pour agir dans ce pays. « En Tanzanie, la résilience est forte », explique-t-il. « C’est plus facile de changer les habitudes ici qu’en Europe. Ici, on est dans une agriculture à mi-chemin entre le traditionnel (les méthodes d’agriculture qui se transmettent de génération en génération, NDLR) et le conventionnel (les méthodes d’agriculture intensive avec un usage massif de produits chimiques, NDLR). Il est encore temps de changer les mentalités et de passer à l’agroécologie. Par ailleurs, on voit qu’en Europe, on revient de plus en plus à ce type d’agriculture aussi. » [scald=29760959:sdl_editor_representation] [scald=29771577:sdl_editor_representation] Florian fait partie d’un groupe d’une vingtaine d’agriculteurs du village à avoir suivi les formations d’Iles de paix. Avant d’entrer dans ce programme, il ne cultivait que du maïs. Il fallait se déplacer dans un autre village pour obtenir des bananes. « Aujourd’hui, tout le village a des bananes. Et je cultive des patates douces qui me rapportent de l’argent », explique Florian. « Avant, je ne savais pas que je pouvais cultiver ça ici. Financièrement, une parcelle de patates douces me rapporte la même chose que dix parcelles de maïs. » Autre nouveauté, Florian récupère désormais tout ce qui peut être utile ailleurs dans sa ferme. Les déchets de maïs, par exemple, sont séchés, stockés et utilisés pour nourrir ses animaux. Le fumier lui, sera utilisé comme fertilisant pour les sols et mélangé à d’autres composants naturels, il fera office de pesticide. « L’agroécologie a des bienfaits sociaux, et environnementaux, mais aussi économiques », renchérit Ludovic Joly. « On produit moins que dans l’agriculture conventionnelle, mais on dépense moins en produits chimiques, semences… donc c’est rentable. » Tout en protégeant les sols et la santé des consommateurs en évitant les produits chimiques, l’agroécologie permet aux petits producteurs de s’y retrouver financièrement. [scald=29760960:sdl_editor_representation] De trop longues périodes de sécheresse Derrière sa maison, Florian nous emmène dans un petit îlot de verdure : sa pépinière. Arbres fruitiers : goyaves, avocats, etc., arbres fourragers (pour le bétail) ou d’autres encore comme l’Acacia utilisé pour le bois… le maître de maison fait fièrement le tour du propriétaire alors que son fils s’applique à arroser les précieux petits plants d’arbres. Cet espace vert est étonnant au milieu du paysage rouge et sec. Un des plus grands défis du moment, est, en effet, le manque d’eau. Les petits agriculteurs tanzaniens dépendent largement de la pluie. Or ici, le changement climatique se fait ressentir dans le dérèglement des saisons de pluies. Les précipitations excessives et les périodes de sécheresse prolongées contribuent à l’augmentation de la présence de nuisibles et de maladies qui peuvent toucher le bétail. Un rapport commandé par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et l’organisation World Food Programme (WFP) couvrant la période de novembre 2021 à septembre 2022 révèle qu’il est estimé que 49,5 % des petits agriculteurs tanzaniens ont perdu 0 à 30 % de leurs cultures à cause de périodes prolongées de sécheresse et les nuisibles qu’elles apportent. [scald=29760958:sdl_editor_representation] [scald=29760961:sdl_editor_representation] « On reçoit de l’eau de distribution qui arrive par camion une fois tous les trois jours », explique Florian. « Cette eau est normalement réservée à la consommation humaine, mais j’ai obtenu un accord du gouvernement pour arroser mes arbres. J’ai emprunté un réservoir à un voisin pour en conserver. » C’est sur les conseils d’Iles de paix que Florian a développé sa propre pépinière. Son activité fonctionne bien et il est le seul à vendre des plants d’arbres dans le village. C’est pourquoi il a obtenu une autorisation pour utiliser de l’eau et continuer son entreprise. La sécheresse a tout de même des conséquences sur sa production : « J’ai du mal à trouver un équilibre entre le prix de mes plants et le manque d’eau. Il faudrait que je vende plus cher, mais j’ai peur de perdre des clients. Cette année, j’ai environ 300 plants alors que j’en ai vendu 800 l’année dernière. » [scald=29760975:sdl_editor_representation] On observe dans la pépinière de Florian quelques astuces enseignées par IDP pour mieux utiliser et conserver l’eau. « On leur apprend à creuser un trou dans lequel planter leurs bananiers », explique Ludovic Joly. « Lorsqu’il pleut, l’eau va ruisseler et stagner dans ces trous, ce qui va apporter plus d’eau aux arbres. Il est aussi important de laisser le sol couvert. Cela permet de diminuer l’évaporation, donc une meilleure rétention et infiltration de l’eau dans le sol. » D’autre part, la diversification des cultures, un principe de l’agroécologie encouragé par IDP, permet aussi de s’en sortir en cas de manque d’eau. Si une culture ne pousse pas, il est parfois possible de se rattraper grâce à une autre parcelle. Une récente étude réalisée par des chercheurs de l’université de Newcastle révèle que l’agroécologie a un impact positif sur le bien-être des petits agriculteurs tanzaniens. Ce sont la sécurité alimentaire et la sécurité économique, induites par ces pratiques agricoles durables, qui ont un effet bénéfique sur le bien-être des familles. Des pratiques que Ludovic et son équipe font germer dans les habitudes des agriculteurs, qui ensuite partagent eux-mêmes leurs connaissances aux autres fermiers de leurs villages.

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