Au Maroc, cette jeunesse qui brise les tabous

Un constat « d’urgence » qui a poussé à « passer à l’action ». Soufiane Hennani, 30 ans, en est persuadé : le combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes, au Maroc, passe par « revendiquer une masculinité plurielle et déconstruire les concepts de domination et de virilité ». Ce docteur en biologie médicale et militant est à l’initiative de Machi Rojola (« Ce n’est pas de la masculinité », en darija, le dialecte marocain), un podcast sur les violences sexistes qui veut amorcer une déconstruction de comportements masculins nocifs. [scald=29779564:sdl_editor_representation] Comme lui, une nouvelle génération d’activistes marocains s’est saisie des réseaux sociaux et de nouveaux formats pour alerter sur des sujets encore tabous. Des nouveaux médias qui ouvrent la discussion « entre jeunes et pour les jeunes », juge Soufiane Hennani : « Une partie de la jeunesse qui se pose des questions sur des discours et s’intéresse davantage au féminisme ou à la sexualité… Ces formats permettent de vulgariser certains concepts, les penser selon notre réalité et donner l’accès à certains discours. » L’un des plus récents épisodes revient sur les « masculinités prisonnières » avec le regard de Ghassan El Hakim, metteur en scène de Kabaret Cheikhats, une troupe d’hommes qui s’habillent et chantent comme les « Cheikhats », des chanteuses populaires à la fois adulées et méprisées. « Conditionnés par la “hchouma” » Rendre visible, c’est la démarche adoptée par Ghali Eden, 28 ans et fondateur de Moroccan transmen community. Fille à la naissance, ce dernier a documenté sa transition sur son compte Instagram après avoir « réalisé qu’il n’y avait aucune information, en arabe » sur les étapes de la démarche. « Je me suis donc retrouvé comme le premier homme transgenre africain à partager publiquement sa transition », sourit ce désormais Bruxellois qui étudie la psychologie. [scald=29779563:sdl_editor_representation] Sur son compte, il aborde la transidentité, tant l’acceptation de soi que le lien avec la religion, la foi. Il se fait aussi l’écho des témoignages qu’on lui transmet, comme une caisse de résonance à une communauté qui en a bien besoin. Une manière de contribuer à un changement de mentalité ? « Partager mon expérience, et ma souffrance surtout, ça a créé un déclic chez certains, dont beaucoup de parents », explique-t-il. « La souffrance est une expérience universelle, c’est ce qui touche les gens et amorce un changement de mentalités aussi. » Les libertés d’opinion, de disposer de son corps, ou le refus des inégalités sociales gagnent une partie de la jeunesse, davantage connectée que les générations précédentes. Une façon de repousser les murs d’un triptyque souvent évoqué au Maroc : hchouma (« honte », en darija), haram (« péché ») et hogra (« oppression »). « Au Maroc, on grandit conditionné par cette hchouma, qui met des barrières sur tout et n’importe quoi. On se retrouve vite dans des situations où on nous explique que ceci est tabou, qu’il ne faut pas parler de telle autre chose », argue Mehdi, à l’initiative du compte No.Hchouma. Fédérer plutôt que changer Sur son compte, il ouvre le débat sur la lutte contre la pédocriminalité, le cyberharcèlement, les droits LGBTQIA+… sans forcément aspirer à un consensus total. En février 2021, il publie une série de visuels qui épinglent un faux gynécologue qui proposait gratuitement des consultations à des jeunes femmes, sur les réseaux sociaux, pour ensuite leur soutirer des photos intimes ou les inciter à des faveurs sexuelles. Lui préfère « fédérer » et « écouter » plutôt que « changer les choses ». Une manière de combler un vide ? « Ce qui me désole et m’affecte le plus, c’est cette impression d’être la seule échappatoire pour des personnes dans des situations délicates », détaille-t-il. Et d’ajouter : « Certaines se sentent délaissées par la communauté et en viennent à demander de l’aide aux réseaux sociaux alors qu’elles devraient être aidées avant. » [scald=29779565:sdl_editor_representation] Pour Sarah Benmoussa, 26 ans, « je ne dirais pas qu’on comble un vide, mais plutôt qu’on accompagne un manque de ressources humaines ». Cette activiste est l’une des fondatrices du mouvement #7achak – expression pour s’excuser de parler d’un sujet tabou, vulgaire. Elle a figuré en première ligne lors de l’affaire « Sexe contre bonnes notes » qui a dénoncé, l’année dernière, des faits de harcèlement sexuel dans l’enseignement supérieur au Maroc. Un scandale qui a fait trembler le pays. Avec d’autres militantes féministes, elle a recueilli et relayé des dizaines de récits jusqu’à ce que les autorités de tutelle et la justice s’en saisissent. De quoi libérer la parole. « Nous avons pu avoir un poids politique parce que nous avons réussi à travailler avec des journalistes et des parlementaires », détaille-t-elle. Depuis, elle dit recevoir des témoignages similaires : « L’idée de donner une écoute aux victimes permet de les mettre en confiance. Elles se sentent plus à l’aise pour raconter ce qu’elles ont vécu et pousser d’autres femmes à le faire. »

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