«Déjà vu»: En Amérique, les archives du pouvoir appartiennent au peuple

Une dizaine de documents classifiés empruntés par Joe Biden à l’époque où il était vice-président des États-Unis ont été découverts à Washington, dans un bureau qu’il utilisa de 2017 à 2020 comme lieu de travail. Ses avocats les ont remis à la National Archives and Records Administration, chargée de conserver ce type d’actes en lieu sûr. CNN croit savoir que ces papiers comprennent des notes de renseignement et des documents d’information sur l’Ukraine, l’Iran et le Royaume-Uni. Un procureur a été chargé de les passer en revue tandis que le FBI a ouvert une enquête sur cette négligence, qui pourrait tomber sous le coup d’une loi fédérale sur l’espionnage punissant « la collecte, la transmission ou la perte d’informations de défense ». Cette affaire est d’autant plus embarrassante pour Joe Biden qu’en août dernier, il n’avait pas manqué de stigmatiser son prédécesseur Donald Trump, dont on venait d’apprendre, suite à une perquisition, qu’il avait conservé par-devers lui des liasses de documents officiels après avoir quitté la Maison-Blanche, dont 60 estampillés « secret-défense ». « Quand le FBI va-t-il perquisitionner les nombreuses résidences de Joe Biden, voire même la Maison-Blanche ? », n’a pas manqué de réagir le milliardaire républicain…[scald=29788235:sdl_editor_representation] On ne plaisante pas avec les documents officiels aux États-Unis ! S’il semble assez logique qu’une fois sortis de charge, présidents et vice-présidents ne puissent emporter des rapports classifiés, ils ne sont même plus autorisés à disposer à leur guise de leurs propres archives « froides ». Une victoire obtenue de haute lutte par le Congrès contre Richard Nixon. La propriété du peuple Durant les deux premiers siècles de l’histoire américaine, les documents accumulés durant leur mandat étaient considérés comme la propriété personnelle des présidents – et vice-présidents. Ainsi, certains ont laissé très peu de traces écrites tandis que d’autres, comme Thomas Jefferson par exemple, ont fait dresser des catalogues exhaustifs de leurs papiers… tout en prenant soin de les expurger de certaines pièces moins flatteuses pour leur postérité. Non seulement, chaque président disposait de ses archives mais avant Franklin Roosevelt – mort en fonction en 1945 – il n’existait pas de bibliothèques présidentielles où elles pouvaient être déposées et éventuellement mises à disposition des chercheurs. Tout cela changea radicalement au milieu des années 70, avec le scandale du Watergate. Dans cette affaire d’espionnage du parti Démocrate, de lourds soupçons pesaient sur Richard Nixon. Il était donc de la plus haute importance pour la commission d’enquête sénatoriale chargée de faire la lumière sur le scandale de pouvoir consulter certains documents personnels du président, et en particulier des enregistrements effectués incognito au Bureau ovale – dont les sénateurs avaient appris l’existence. Nixon refusa d’obtempérer, s’abritant derrière le « privilège de l’exécutif » : une jurisprudence qui permet au président de garder secrètes les conversations et notes échangées avec ses conseillers. Dans la procédure de destitution (impeachment) lancée contre lui huit jours avant sa démission, il fut dès lors ajouté « outrage au Congrès » aux charges d’« obstruction à la justice » et « abus de pouvoir ». La polémique remonta jusqu’à la Cour suprême. Dans l’arrêt United States versus Nixon de 1974, les juges confirmèrent le principe du « privilège de l’exécutif » mais estimèrent que celui-ci n’était invocable que lorsque les communications présidentielles étaient liées à l’élaboration de décisions publiques, et à la condition qu’un autre intérêt public fondamental ne puisse lui être opposé. Après la démission de Nixon, profitant de l’affaiblissement du pouvoir présidentiel, le Congrès adopta le Presidential Recording and Materials Preservation Act (PRMPA), qui impose au président et au vice-président de remettre aux Archives nationales tous les documents officiels relatifs à l’exercice de leurs fonctions – ceci afin que les historiens puissent ultérieurement écrire la chronique de leur « règne ». Ces archives deviennent alors propriété du peuple américain, mais peuvent faire l’objet d’un calendrier d’accès échelonné. Richard Nixon saisit une nouvelle fois la Cour suprême. Il exigea que ses archives soient transférées en Californie, où il en aurait contrôlé l’accès, ceci, officiellement, afin de pouvoir rédiger ses Mémoires. Mais en 1977, dans leur arrêt Nixon versus Administrator of General Services, les juges affirmèrent la constitutionnalité du PRMPA. Les papiers de Nixon demeurèrent donc à Washington, mais en libre accès pour leur ancien propriétaire. Un fâcheux précédent Tous les hôtes de la Maison-Blanche doivent donc désormais abandonner leurs dossiers lorsqu’ils quittent leurs fonctions. Mais après le départ chaotique de Donald Trump, certaines pièces étaient introuvables par les Archives nationales.[scald=29788236:sdl_editor_representation] Un ancien collaborateur du président témoigna que celui-ci avait l’habitude d’en emporter chez lui ; c’est pour tenter de les récupérer qu’un juge fédéral autorisa la spectaculaire perquisition de sa résidence de Floride – une première pour un ancien chef de l’État. Et dans la paperasse saisie, figuraient des notes classifiées… Comme s’est empressé de le souligner cette semaine le conseiller juridique de Joe Biden, à la différence des documents saisis l’été dernier à Mar-a-Lago, ceux escamotés en son temps par l’actuel président n’avaient fait l’objet d’aucune demande de restitution et ils ont été remis spontanément aux Archives nationales. Il n’empêche : quelles que soient les suites que la Justice réservera à cette affaire, Joe the blunderer (« Joe-le-gaffeur ») a offert un précieux précédent à la défense de son meilleur ennemi.

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