«La traite des êtres humains a considérablement augmenté depuis le début de la guerre en Ukraine»

L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a autrefois été créée pour promouvoir le dialogue entre l’Europe de l’Est et l’Europe de l’Ouest. Sa secrétaire générale, Helga Schmid, nous explique pourquoi une exclusion de la Russie n’est pas envisageable, malgré la guerre. Un tout autre problème lui donne du fil à retordre : la traite des êtres humains. « Nous essayons de convaincre les gouvernements et les parlements de lutter de manière plus systématique contre elle », explique Helga Schmid, « d’augmenter les peines et d’obliger légalement les fournisseurs de services en ligne à supprimer les sites web qui font la promotion de la traite des êtres humains. Nous organisons des formations où les autorités judiciaires, les organisations non gouvernementales et les victimes peuvent apprendre les unes des autres. Et nous avons un représentant spécial qui effectue un travail formidable avec son équipe. L’OSCE est l’un des leaders de la lutte contre la traite des êtres humains, qui n’est rien d’autre que de l’esclavage moderne. » [scald=29788533:sdl_editor_representation] L’OSCE compte 57 Etats, qui représentent 1,3 milliard d’individus. Depuis 2022, la Russie bloque le budget. Devrez-vous bientôt cesser votre travail ? L’année dernière a été très difficile pour l’OSCE – et pas seulement à cause du budget. Nous avons toutefois réussi à mobiliser davantage de ressources extrabudgétaires, des ressources provenant de certains Etats membres. Cela garantit notre capacité de travail. Vous avez même mis en place une nouvelle mission en Ukraine. L’année dernière, la Russie ayant retiré son soutien, nous avons dû interrompre deux missions de longue date en Ukraine – dont une de supervision du cessez-le-feu dans le Donbass –, et ce, malgré le soutien apporté par tous les autres Etats et contre la volonté expresse de l’Ukraine. Cela va à l’encontre des règles de l’OSCE, selon lesquelles un Etat participant doit bénéficier d’un soutien s’il en fait la demande. Grâce à un modèle de financement extrabudgétaire innovant, nous avons toutefois pu faire en sorte que 60 membres de l’OSCE et un représentant spécial soient à nouveau actifs en Ukraine depuis le 1er novembre. Ils s’occupent de 23 projets, dont l’aide au déminage, le renforcement de la cybersécurité et le soutien aux femmes et aux enfants victimes de violences. Cela n’attise-t-il pas la colère de Moscou ? Kiev a expressément demandé à l’OSCE de poursuivre son travail. C’est pourquoi nous devons et allons continuer à soutenir l’Ukraine, ne serait-ce que pour atténuer la détresse de la population ukrainienne. Le nouveau modèle de financement ne nécessite pas non plus l’accord explicite de tous les Etats. Mais il y a un autre point important : nous pouvons nous appuyer sur une grande expérience. Cela fait en effet près de trente ans que l’OSCE mène des projets en Ukraine. Pour le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kouleba, l’OSCE évolue sur « l’autoroute de l’enfer », la Russie abusant des principes de l’organisation. Kouleba demande même l’exclusion de la Russie. Qu’en pensez-vous ? Premièrement, il est clair que la Russie a attaqué l’Ukraine et que Moscou est l’agresseur dans cette guerre. Le ministre ukrainien des Affaires étrangères a raison de dire que les principes fondamentaux de l’OSCE – tels que la souveraineté de l’Etat, l’intégrité territoriale et l’interdiction de la violence – ont été bafoués. Deuxièmement, contrairement au Conseil de l’Europe, l’OSCE ne dispose pas d’un mécanisme de suspension permettant d’exclure la Russie. Cela s’explique notamment par le fait que nous ne sommes pas une organisation de personnes partageant les mêmes idées, comme c’est le cas de l’Union européenne ou de l’Otan. L’OSCE est née de la confrontation durant la guerre froide. Elle a été fondée par des pays qui avaient des intérêts très différents, mais qui voulaient éviter une escalade. Tout cela semble très diplomatique. Garder les canaux diplomatiques ouverts ne signifie pas que l’on est d’accord. En tout cas, à l’heure actuelle, je considère qu’il est judicieux que la Russie reste membre de l’OSCE. Tous les jeudis, le Conseil permanent de l’OSCE, composé de 57 ambassadeurs, se réunit à Vienne. En 2022, la Pologne a présidé l’OSCE et mis la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine à l’ordre du jour de chaque réunion. Il n’y a pas eu de « business as usual ». S’asseoir à la même table ne signifie pas échanger des amabilités diplomatiques. Au contraire. Dès le 3 mars, par exemple, une grande majorité des pays participants a activé un mécanisme de l’OSCE permettant d’enquêter sur les violations des droits de l’Homme consécutives à l’invasion russe en Ukraine. Et un jour, nous aurons à nouveau besoin de canaux de discussion. L’OSCE est la seule organisation de sécurité où tous les acteurs clés de l’architecture de sécurité européenne se retrouvent à la même table. L’OSCE serait donc prête, le cas échéant, à superviser un cessez-le-feu entre la Russie et l’Ukraine ? Nous sommes prêts à apporter notre contribution le moment venu, comme nous l’avons fait par le passé. Reste à voir comment cela se passera concrètement. [scald=29788532:sdl_editor_representation] La traite des êtres humains constitue-t-elle également un problème dans le contexte de la guerre en Ukraine ? Malheureusement, oui. La recherche mondiale en ligne de services sexuels et d’images pornographiques de femmes et d’enfants ukrainiens a augmenté jusqu’à 600 % depuis le début de la guerre. Le trafic de femmes enceintes a lui aussi considérablement augmenté depuis février 2022. Les victimes de délits sexuels sont appâtées sur la toile à coup de fausses promesses, abusées dans des logements privés dans des pays d’accueil ou encore interceptées directement à la frontière par des trafiquants d’êtres humains travaillant sous couverture. Le crime organisé est souvent impliqué. Ces criminels sans scrupule tombent alors sur des personnes qui ont besoin d’aide, qui doivent gagner de l’argent, qui ne parlent pas la langue de leur nouveau pays et qui sont souvent traumatisées par la guerre. Derrière l’augmentation de la traite des êtres humains se cachent des situations de profonde détresse. Que peut faire votre organisation contre cela ? L’OSCE a, par exemple, lancé la campagne Be Safe, en collaboration avec Thomson Reuters. Dans le cadre de cette campagne, nous mettons les gens en garde contre les pratiques des trafiquants avant qu’ils ne quittent leur pays et proposons une ligne d’assistance téléphonique. Nous travaillons également en étroite collaboration avec les gouvernements des pays voisins sur cette question et essayons de les sensibiliser à cette thématique. Comment la traite des êtres humains évolue-t-elle à l’échelle mondiale ? Elle augmente de manière dramatique. Aujourd’hui, 25 à 27 millions de victimes sont recensées chaque année, mais seuls 10.000 cas atterrissent annuellement devant les autorités de poursuite pénale. En réalité, moins d’un pour cent des victimes peuvent être identifiées. Les auteurs de la traite des êtres humains restent donc majoritairement impunis. A quel point cette activité criminelle est-elle lucrative ? Outre l’exploitation sexuelle s’observe également une tendance de plus en plus marquée à la criminalité et à la mendicité forcées ainsi qu’aux mariages blancs. Les bénéfices annuels de la traite des êtres humains ont été multipliés par cinq au cours des quinze dernières années, pour atteindre environ 150 milliards de dollars (140 milliards d’euros) par an. Si la traite des êtres humains était un pays, elle se classerait au 55e rang mondial en termes de performance économique.

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