Avec «Emily in Paris», Netflix invente la série-caddie

En 1633, Théophraste Renaudot invente la publicité. En 1957, James Vicary glisse dans un film pendant 0,03 seconde les toutes premières images subliminales, « Drink Coca-Cola » et « Eat pop-corn ». En 2023, tout ce qu’on voit, tout ce qu’on aime, tout ce qu’on like, s’achète. See it, love it, buy it. Telle est la devise du site américain Shop The Scenes qui, grâce à des collaborations avec les stylistes et décorateurs/trices des séries, permet d’acheter les objets et vêtements vus dans des productions. L’exemple-phare : la série Emily in Paris dont la saison 3 a été lancée fin décembre sur Netflix. L’intrigue se prête à merveille au placement de produits – ce qui est d’ailleurs annoncé clairement dès le générique – puisqu’elle met en scène une jeune Américaine qui travaille à Paris dans une agence de marketing de luxe. Son quotidien (outre emballer le mec de sa meilleure amie et assortir ses chaussures à son sac) : trouver des idées pour mettre les marques en valeur. [scald=29799443:sdl_editor_representation] Vous la sentez pointer son nez, la mise en abyme de folie ? La série dont l’héroïne met les marques en valeur met, elle aussi, les marques en valeur, à tel point que ce sont désormais les marques elles-mêmes qui appellent Netflix pour faire affaire. Comme McDonald’s qui, dans la fiction, se glamourise en lançant son McBaguette et, pour 13,35 euros (avec une boisson, des frites et deux macarons chocolat-framboise), le sort aussi dans la vraie vie ! Redéfinir le commerce du divertissement Si la pratique du merchandising n’est pas une nouveauté dans la fiction – Disney maîtrise le concept depuis longtemps, Netflix a son propre Netflix Shop où trouver des produits issus des univers de Stranger Things, Squid Game ou de La Chronique des Bridgerton –, elle « redéfinit le commerce du divertissement », comme le précise le site Shop The Scenes. A sa tête : la New-Yorkaise Jill Martin, personnalité de la télévision américaine spécialisée dans le divertissement, le sport, la mode et primée aux Emmy Awards. « Certains personnages transcendent l’écran, affirme-t-elle sur sa plateforme d’e-commerce. Leurs styles et leurs personnalités résonnent en vous longtemps après le générique. C’est pourquoi nous sommes déterminés à donner aux fans un accès inégalé aux expériences et aux produits présentés et inspirés par leurs personnages préférés. » [scald=29799441:sdl_editor_representation] Au choix : du vrai faux champagne Champère qui n’existe que dans le monde d’Emily in Paris, de vrais couteaux du faux restaurant Chez Lavaux, de vraies pièces du faux créateur de mode français Pierre Cadault, également client de l’agence, dont la fameuse valise à roulettes (produite pour de faux par la vraie marque Rimowa dans la série), du parfum Pierre Cadault, des mugs, des coussins, etc. Shop The Scenes affirme travailler avec 24 séries et films pour étoffer son offre d’ici 2024. Un impact médiatique de 88 millions d’euros Pourquoi une telle folie autour de cette série ? Comment expliquer que les ventes et les recherches liées aux marques qui y font une apparition se mettent à grimper en flèche ? La valeur de l’impact médiatique – cet algorithme qui calcule l’impact des placements et des mentions d’une marque sur les différents canaux de communication – de la saison 2 est estimée à 96 millions de dollars, soit plus de 88 millions d’euros… C’est qu’Emily in Paris est l’œuvre d’un scénariste et producteur qui change tout ce qu’il touche en or : l’Américain Darren Star, créateur de séries à succès comme Beverly Hills 90210, Melrose Place ou Sex and the City est le maître incontesté de l’identification. Quelle jeune fille n’a pas craqué pour la coupe de Kelly dans les années 1990 ? Quelle autre n’a pas rêvé de marcher dans les rues de New York comme Carrie Bradshaw, en Louboutin avec un latte à la main ? On retrouve chez Emily la même élégance extravagante et désinvolte, concoctée ici par un duo de costumières de choc – l’Américaine Patricia Field qui officiait déjà sur Sex and the City et la Française Marylin Fitoussi – dont le rôle assumé est de « faire flasher les jeunes qui regardent la série sur leur smartphone ». [scald=29799442:sdl_editor_representation] Pauvres jeunes. Le Daily Mail a publié une étude sur le niveau de vie de la plus américaine des Parisiennes : sa garde-robe lui coûterait 76.795 dollars par an (70.950 euros), soit près du double de son salaire annuel, estimé à 44.324 euros. Allez, on se contentera du trolley à 182 euros. Personne ne saura qu’il n’y a rien dedans.

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