La reprise économique en 2023 ? Tout dépendra du prix du gaz

L’Ires, l’Institut de conjoncture de l’UCLouvain, a actualisé, il y a quelques jours, ses prévisions 2023. Selon les conjoncturistes néolouvanistes, le PIB en volume se contracterait à nouveau, mais modérément, durant le premier trimestre, ainsi qu’il l’a fait au quatrième trimestre de 2022. Et si le rebond intervenait dès le deuxième trimestre, la croissance annuelle moyenne, évaluée à 3,1 % en 2022, n’atteindrait qu’un maigre 0,2 % cette année. Au contraire, la Banque nationale (BNB), qui avait dévoilé ses projections à la mi-décembre, n’envisage pas un recul du PIB en volume au premier trimestre et table sur une croissance annuelle moyenne de 0,6 %. [scald=29802090:sdl_editor_representation] En apparence, nous aurions donc deux scénarios assez différents – en particulier si l’on considère que dans le second, celui de la BNB, la Belgique échappe à la récession, définie comme deux trimestres consécutifs de recul du PIB en volume et souvent qualifiée de « technique » (sans qu’on sache très bien ce que ce qualificatif recouvre). En réalité, les deux institutions retiennent, comme prévision centrale, un scénario très similaire. Et la question « récession ou pas récession ? » est, dans le cas présent, sinon un miroir aux alouettes, du moins une problématique secondaire, reposant sur une certaine définition de la récession qui, il faut le souligner, ne fait pas l’unanimité – ni le NBER (National Bureau of Economic Research), aux Etats-Unis, ni le CEPR (Centre for Economic Policy Research), en Europe, ne l’utilisent pour dater les cycles économiques (1). « Nos difficultés économiques découlent du “choc énergétique” provoqué, au deuxième trimestre de 2021, par la vigueur inattendue de la reprise post-confinement, puis amplifié par l’invasion russe de l’Ukraine, en février dernier, qui s’est accompagnée également d’une forte augmentation des prix des biens agricoles, étant donné le rôle crucial que jouent la Russie et l’Ukraine sur le marché alimentaire mondial », rappelle Vincent Bodart, le directeur du service de conjoncture de l’Ires. Conséquence : l’inflation, le rythme de hausse des prix à la consommation, s’est envolée à des niveaux qu’on n’avait plus connus depuis quarante ans, mettant en branle une dynamique affaiblissant la croissance économique au niveau mondial. « D’une part, les prix élevés de l’énergie et le renchérissement de nombreux autres biens et services grèvent le pouvoir d’achat des ménages et affectent également la situation financière des entreprises. D’autre part, les durcissements monétaires opérés par de nombreuses banques centrales pour contrer la hausse de l’inflation ralentissent la croissance économique. » [scald=29802307:sdl_editor_representation] Une différence de chiffrage Pour les conjoncturistes, la question fondamentale est donc la suivante : comment les prix de l’énergie, qui ont fortement baissé ces derniers mois, vont-ils évoluer en 2023 ? « Vont-ils à nouveau s’envoler ? Cela paraît relativement peu probable. Les éléments dont on dispose aujourd’hui suggèrent que l’on doit s’attendre à une stabilisation des prix de l’énergie aux alentours du niveau atteint à la fin de l’année, un niveau certes élevé, nettement supérieur à leur niveau des années antérieures, mais bien moindre qu’à l’été dernier. De sorte que les effets du choc énergétique vont dès lors progressivement se dissiper », explique Vincent Bodart. La Banque nationale et la Banque centrale européenne (BCE), pour ses prévisions de croissance en zone euro, font la même hypothèse pour l’année courante – et s’attendent à une décrue des prix de l’énergie en 2024 et 2025. « Cependant, le rythme de hausse des prix à la consommation, s’il devrait dès lors ralentir, restera élevé ; et le durcissement de la politique monétaire devrait se poursuivre en 2023. Voilà les éléments principaux sur lesquels se fonde notre scénario central, qui est similaire à celui de la BNB et la BCE », poursuit Vincent Bodart. Considérant que « de nombreux freins à la croissance persistent – inflation élevée, resserrement des conditions de financement, faible confiance et incertitude élevée, ralentissement de la croissance économique mondiale… –, nous pensons cependant que l’activité économique belge devrait continuer à se contracter au début de l’année courante. Mais, à nos yeux, la récession serait de toute manière de courte durée », précise le directeur de l’Ires. Autrement dit : l’écart n’est pas très large relativement aux projections de la BNB, comme le montre notre infographie. [scald=29802305:sdl_editor_representation] « Là où il y a une différence qui peut sembler significative, reconnaît Vincent Bodart, c’est dans le chiffrage, notamment s’agissant de l’évolution du pouvoir d’achat. Nous nous attendons à une croissance plus faible du revenu disponible des ménages que la BNB. De sorte que, dans nos prévisions, cela se traduit par une croissance plus faible de la consommation privée et, partant, du PIB », dans un contexte où, aussi bien pour l’Ires que pour la BNB, le commerce extérieur ne devrait pas soutenir l’activité en Belgique. De même, les deux institutions s’attendent, dans un contexte où l’incertitude est élevée, à un recul de l’investissement des entreprises, mais à une résilience sur le marché du travail. « Le marché du travail reste dynamique – c’est un phénomène qui n’est pas propre à la Belgique et, il faut l’avouer, que nous ne comprenons pas encore très bien. Malgré l’affaiblissement de la croissance, les créations nettes d’emplois sont restées élevées l’an passé (NDLR : 87.000, selon les estimations de l’Ires, 105.000 pour la BNB) ; et, pour 2023, nous nous attendons à des créations d’emplois certes nettement moins nombreuses, mais toujours positives, de l’ordre de 11.000 unités » – contre 26.000 pour la BNB. Un scénario défavorable « Le chiffrage est toujours quelque chose de délicat dans un exercice de conjoncture », insiste Vincent Bodart. « Ce qui importe surtout, c’est le scénario, à savoir la mise en évidence des facteurs importants qui détermineront la dynamique de l’activité économique sur la période de projection ». Pour la prévision 2023, une hypothèse est donc cruciale : la stabilisation des prix de l’énergie. « Quand la Russie a envahi l’Ukraine, compte tenu de la forte dépendance au gaz russe, on a pu penser que l’Europe était dans l’impasse. Mais une partie de stocks avait déjà été reconstituée et Moscou n’a pas immédiatement usé de l’arme du gaz. Via également des achats de gaz liquéfié (GNL), les pays européens ont pu reconstituer leurs stocks en prévision de cet hiver, certes à un prix élevé. Mais la question se pose à nouveau : pourrons-nous reconstituer des stocks suffisants pour pouvoir affronter l’hiver 2023-2024 ? Si les marchés venaient à en douter, on ne peut pas exclure une nouvelle envolée des prix de l’énergie », prévient le directeur de l’Ires. [scald=29802306:sdl_editor_representation] L’impact serait très négatif pour les économies européennes, notamment la Belgique. La BCE, dans ses prévisions de décembre, a ainsi élaboré un scénario alternatif, supposant des pénuries d’approvisionnement en gaz vers la fin de l’hiver et tout au long de l’hiver prochain, dans l’hypothèse d’une cessation totale des livraisons russes et d’une possibilité de substitution par des approvisionnements en provenance d’autres pays beaucoup plus limitée. Ce scénario « défavorable » ou « pessimiste » impliquerait une contraction de l’activité économique de la zone euro en 2023 (- 0,6 %, contre + 0,5 % dans le scénario de base) et une croissance nettement plus faible en 2024 (0,2 %, contre 1,9 %). L’Ires n’élabore pas de scénario alternatif. L’institut de conjoncture néo-louvaniste pointe les facteurs de risque susceptible de faire dérailler son scénario de base, épinglant, outre une nouvelle envolée des prix de l’énergie et des matières premières, une hausse trop rapide des taux d’intérêt dans un contexte où l’endettement des entreprises est élevé ou une forte reprise des contaminations de covid y en Chine et dans le reste du monde. De manière plus originale, l’Ires tente aussi d’évaluer la probabilité associée à son scénario de base. « Nous pensons qu’il a un peu moins d’une chance sur deux de se vérifier, que la croissance pourrait être plus solide avec une chance sur quatre, mais qu’il y a également une chance sur quatre qu’elle soit plus faible. Ce qui n’est que le reflet de la grande incertitude qui entoure aujourd’hui les perspectives économiques en Belgique, en Europe et dans le reste du monde… », conclut Vincent Bodart. (1) Le National Bureau of Economic Research (NBER) définit une récession comme « une baisse importante de l’activité qui s’étend à l’ensemble de l’économie et qui dure plus de quelques mois » et prend en compte une batterie d’indicateurs économiques plus large que le seul PIB en volume (revenus hors transferts, emploi salarié non agricole, dépenses réelles de consommation personnelle, ventes en gros et au détail corrigées des variations de prix, production industrielle…).

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