Jourdan Serderidis, le «padre» grec du rallye

Jourdan Serderidis promène sa bouille ronde et rieuse sur les rallyes depuis une dizaine d’années. Dans un milieu qu’il a découvert sur le tard et de façon plutôt singulière… « C’était à l’hiver 2012 », se souvient-il. « J’avais organisé pour quelques membres de ma société un stage de pilotage en Suède, où nous avons appris à glisser sur des lacs gelés. Le soir, je suis tombé sur Sébastien Loeb dans le sauna de l’hôtel ! Il était en essais avec Citroën. On s’est mis à parler rallye, et quelques semaines plus tard, je disputais ma première épreuve en Belgique ; j’avais envie de voir ce que c’était… » Début d’un apprentissage à la fois laborieux, mais appliqué. Aujourd’hui encore, Jourdan Serderidis déclenche l’hilarité auprès de ceux qui ne voient dans son coup de volant pas toujours très assuré l’expression d’un « pilote friqué qui n’est pas à sa place » ! D’autres se laissent davantage attendrir par l’enthousiasme avec lequel ce Belgo-Grec de bientôt 59 ans (le 29 janvier), qui n’a rien volé à personne pour être là, est capable de décrire avec des étoiles plein les yeux chaque instant passé en Mondial des rallyes. « Je vis un rêve éveillé », s’émerveille-t-il souvent, la banane aux lèvres. « C’est comme jouer en Champion’s League » Nul doute qu’il en ira encore ainsi ce week-end, en marge du rallye Monte-Carlo dont il prendra le départ au volant de la troisième Puma Rally1 officiellement engagée par Ford. En forçant un peu le trait, on pourrait prétendre que Malcolm Wilson a préféré Jourdan Serderidis à Sébastien Loeb (à peine revenu du Dakar, il est vrai). Pour être plus juste, le patron de M-Sport a préféré arrondir son budget – ébranlé par l’engagement d’Ott Tanak – avec le concours de son… « meilleur client » ! « Si je suis au départ dans ce contexte, c’est parce que j’ai les moyens de le faire, et que c’est ma voiture », dit avec beaucoup de réalisme et sans arrogance cet ancien joueur de foot amateur (à Yvoir), dégoûté d’un milieu où il a été sollicité jusqu’à l’écœurement. « J’ai arrêté le jour où mes filles ont fait l’objet de menaces ! Plus jamais on ne m’aura dans le foot. En rallye, je suis un gentleman driver, je paie pour être là, mais je vis une aventure que je ne pourrais vivre nulle part ailleurs. Quel amateur pourrait prétendre disputer un match de la Champion’s League ? Moi, je vis cette sensation chaque fois que je prends part à un rallye mondial, en y côtoyant les plus grands ! » « Conscient de mes limites » Sa Champion’s League à lui, Jourdan Serderidis la joue plutôt entre chacune de la demi-douzaine d’épreuves qu’il s’offre par an, « pour le fun, pour la découverte des pays traversés, et en étant bien conscient de mes limites… », précise-t-il avec humilité. Né à Tirlemont en 1964, ce fils d’immigré grec a grandi à Charleroi avant d’étudier à l’Université de Liège et de créer une première, puis une deuxième société spécialisée en informatique. « Trois ans après la création de Cronos, je me suis disputé avec mes associés », dit-il. « J’ai alors créé Arhs, qui fait référence au dieu de la guerre (NDLR : Arès) dans la mythologie grecque. Cela traduisait bien l’esprit revanchard et déterminé qui était le mien quand j’ai créé cette deuxième société ; je savais que ça allait marcher ! » Deux décennies plus tard, 2.500 personnes travaillent pour cette société basée au Luxembourg et également implantée en Belgique, en France, au Portugal, en Jordanie et bien sûr en Grèce ! « Je vis mon boulot comme la compétition, avec l’envie de me surpasser et d’être le meilleur. Simplement, en rallye, je suis conscient de mes limites, alors je m’applique… », dit-il en s’excusant presque d’être là ! « Pas du tout ! Disons plutôt que je suis animé par la crainte de décrédibiliser ce sport extraordinaire. Je veux simplement y jouer le rôle que je suis capable d’y tenir. Ni plus ni moins. » Succès mondial en 2017 ! Une forme de retenue qui, en 2017, a pourtant été couronnée d’une distinction mondiale : le WRC Trophy réservé aux pilotes des voitures de l’ancienne génération de WRC, et que Serderidis a dominé en terminant six rallyes sur six, et en y glanant trois succès ! « Il y avait quelques pilotes sans doute meilleurs que moi, mais ils se sont éliminés tout seuls, ou ont jeté l’éponge faute de budget, si bien que j’ai été convié à la remise des prix de la FIA », une fois de plus au milieu des grands ! L’année suivante, le doute s’est pourtant installé… « C’était en fin de saison, après l’Australie, j’ai commencé à me demander si j’étais bien à ma place », se souvient-il. « En fait, j’étais surtout lassé des critiques qui pleuvaient à mon égard sur les réseaux sociaux, tellement destructeurs ! » Quelques mois plus tôt, l’homme pensait pourtant s’être libéré de ce type de pression en publiant un bouquin, « La Grecquification 2.0 », dans lequel il décrit le voyage incroyablement dur qu’il avait effectué pour en arriver là, « en partant de zéro, sur le tard, et sans talent », dit-il. « Je n’ai pas gagné ce WRC Trophy parce que j’étais rapide, mais bien parce que j’étais tenace et malin. Aujourd’hui, je me suis un peu amélioré ; je peux faire illusion », ose-t-il en se marrant. « Pas de cadeau, mais du respect avec Wilson » Car une fois ce coup de mou passé, l’homme a repris de plus belle, relancé notamment par Malcolm Wilson… qui a le chic pour détecter les jeunes talents, ainsi que les personnes capables de l’aider à réaliser ses ambitieux projets… « C’est vrai que c’est un redoutable homme d’affaires, pragmatique et très intelligent : il a toujours quatre longueurs d’avance sur tout le monde quand il s’agit de définir l’avenir. Il ne m’a jamais fait de cadeau et ne m’en fera jamais, mais il y a du respect entre nous… » Du respect et un savoir-faire certain pour chacun des deux dans le monde des affaires. Avec à la clef une réussite qui ne peut que susciter les convoitises… « L’argent va toujours biaiser une relation », conclut Jourdan Serderidis qui, cette saison, va prendre les allures de « padre » (grec) pour Grégoire Munster dont il va financer en grande partie la saison, comme il l’a fait auparavant avec des pilotes comme Kevin Demaerschalk, Sébastien Bedoret ou Gino Bux. « Il est très difficile de passer au-dessus de ça, alors que la plupart des personnes qui m’abordent le font avec des dollars dans les yeux. C’est comme ça. Il faut en être conscient, puis faire ce qu’on a envie de faire. Les gens qui me complimentent uniquement parce que je viens de faire un beau rallye sont très rares ! D’ailleurs, chaque fois que ça se passe, je compte le nombre de jours qui s’écoulent avant qu’ils me rappellent pour me demander quelque chose. Parfois, ça se compte en heures… »

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