«Au Louvre-Lens, la médiation est vraiment notre marque de fabrique»

Des groupes scolaires en train de déjeuner dans le parc, des visiteurs un peu partout, des ateliers en cours dans divers espaces… Il n’est pas simple de trouver un endroit calme pour s’entretenir avec Marie Lavandier, directrice du Louvre-Lens depuis 6 ans. Et cela ne peut que réjouir cette dernière qui, depuis toujours, défend une ouverture la plus large possible de son institution. Alors qu’on vient d’en fêter les dix ans, elle évoque l’avenir d’un musée que beaucoup regardent comme un modèle pour les années à venir. Comment fonctionne l’équipe scientifique du musée aujourd’hui ? Nous sommes deux conservateurs, Hélène Bouillon qui est égyptologue et moi-même. Moi je dois aussi diriger le musée et Hélène dirige le service qui gère toute la production des expositions et la conservation des collections. Donc l’apport des conservateurs du Louvre est totalement indispensable en matière d’apport scientifique. Faut-il pour autant renforcer l’équipe ici ? Quand je suis arrivée, les chiffres n’étaient pas bons et il n’y avait pas encore vraiment d’expositions tenant compte du caractère particulier du Louvre-Lens. Mais j’ai découvert ce site immense et une équipe géniale. Je me suis dit que si on voulait réussir à l’échelle où on nous attend, il nous fallait des alliés. J’ai décidé qu’on allait partager avec des partenaires qui peuvent apporter des choses et pas uniquement être notre relais. Ce qui peut tuer un établissement comme celui-ci, c’est de jouer les propriétaires. Il faut reconnaître de la compétence à d’autres partenaires. On s’ouvre à tous les publics mais aussi à des partenaires qui peuvent avoir un regard pas moins compétent que le nôtre mais très différent. Sur les collections par exemple. Mais il faut quand même une équipe solide à l’intérieur… En fait, il y a toujours eu plein d’historiens d’art dans l’équipe. Parmi les médiateurs notamment. Des gens qui ont un très haut niveau qui leur permettrait de diriger des musées au niveau des collectivités locales. Qu’est-ce que je fais de toutes ces compétences en interne ? Mon approche a été de les mobiliser pour certaines expositions. Par exemple, sur Soleil Noir, il y avait Luc Piralla qui était mon adjoint et puis Juliette Guepratte qui est directrice de la stratégie mais qui est aussi historienne d’art. Pour une exposition qu’on prépare sur Les mondes souterrains, j’ai contacté un monsieur qui s’appelle Jean-Jacques Terrin et qui a écrit un petit livre sur ce sujet que plusieurs amis m’ont offert à mon arrivée. On y a adjoint Gautier Verbeke qui est directeur de la médiation chez nous et Alexandre Estaquet-Legrand qui a été médiateur ici, qui a travaillé sur plusieurs de nos expositions comme Tables du pouvoir et Homère et qui est maintenant conservateur du MuDo à Beauvais. Quelle est la place des artistes dans ce fonctionnement ? A la faveur de la crise du covid, je me suis dit qu’il fallait repenser des choses même par rapport à un projet aussi jeune que celui-ci. On a besoin de repenser le monde en ce moment et il me semble que les artistes sont des ressources merveilleuses à cet égard. Pas forcément pour présenter une œuvre ou deux dans une expo mais pour réfléchir avec nous. Dès le printemps prochain, on va inviter des artistes à penser le musée, l’histoire de l’art, l’exposition, le rapport au public. On a Laurent Pernot qui est un plasticien qui travaille beaucoup sur l’environnement, le paysage et la nature. Il a accepté la direction artistique de l’exposition Paysages qui va ouvrir au printemps. Il a choisi d’intervenir à plusieurs niveaux : sur les contenus mais aussi sur la forme même du parcours qui sera comme une installation géante. On parle beaucoup de réalité augmentée. Ce qui se joue ici, c’est une expérience de musée augmenté. Et c’est par le biais des artistes qu’on peut le faire comme quand Anne Teresa De Keersmaeker et ses danseurs proposent une performance dans la Galerie du Temps. La médiation est un de vos points forts… La médiation, c’est vraiment notre marque de fabrique. En arrivant, j’ai beaucoup dit qu’il fallait passer d’une logique de fréquentation à des logiques de relation. Ça ne veut pas dire que je me fiche de la fréquentation. D’ailleurs, elle a fortement augmenté. On a regagné 200.000 entrées en 6 ans. C’est énorme. Et c’est en partie dû au fait qu’on agit pour que chacun trouve sa place ici. La médiation, c’est une trentaine de personnes. Des gens qui ont déjà un solide bagage mais qu’on forme aussi plus spécifiquement pour le Louvre-Lens à travers des contacts avec nos partenaires, les enseignants, les métiers de la petite enfance, les pédopsychiatres, les personnels des maisons de retraite… Ça peut paraître anecdotique mais on a par exemple des médiateurs qui ont fait l’expérience de porter des lunettes qui déforment la vision pour voir ce que signifie vraiment avoir 90 ans quand on vient dans un musée. On essaie de croiser les compétences et les formations. Une autre facette de ce travail, c’est « l’aller vers » : toutes les actions à l’extérieur du musée, dans l’espace public, les centres commerciaux. Comme par exemple l’Egyptobus qui circule dans tout le département dans un car podium du style Tour de France… Quand il est arrivé ici les premiers jours, plein de gamins venaient voir. Il faut trouver des formes qui n’intimident pas les gens et le car podium, c’est formidable. Les gens savent qu’il est là pour eux et ils viennent d’eux-mêmes. Que peut-on attendre durant les prochains mois ? On va avoir un cycle d’expositions assez différent de ce qu’on a montré récemment. Notre principe d’alternance a été un peu bousculé par le covid et, pour les dix ans, on s’est retrouvé avec un bloc très « Louvre » où se sont succédé Rome et Champollion. On va se retrouver maintenant avec un bloc très « Louvre-Lens ». D’abord une exposition sur l’histoire du paysage. On y découvrira l’histoire de la peinture de paysage à travers le point de vue de l’artiste comme créateur de mondes. Ensuite, on aura à l’automne une exposition Animaux Fantastiques, portée par Hélène Bouillon, autour de cette question de l’animal fantastique, depuis la préhistoire et surtout l’antiquité et jusqu’à la pop culture, comme incarnant les peurs, les espoirs, les rêves, les désirs de marge de l’humanité. Dans ces deux expositions, on trouvera le thème de la nature et de l’hybride. Et on continuera avec les Mondes souterrains, formée sur des couples d’opposition entre tout ce noir, ces enfers, ces abysses et d’autre part, cette puissance de vie, cet imaginaire dans une région marquée par la mine, les guerres, etc. Là aussi on explorera les réalités et les imaginaires des mondes souterrains agis par les artistes, les architectes, les poètes… De l’histoire de l’art mais vécue comme une promenade dans plein de dimensions différentes. Et puis enfin une exposition qui, à ce jour, s’appelle Être végétal sur l’intelligence et l’individu végétal. Donc ce n’est pas le végétal comme source d’inspiration mais plutôt une exploration de cette idée du végétal traité par les artistes comme nos égaux et parfois même comme des êtres supérieurs ou en avance sur le temps. Et puis on va aussi travailler sur une nouvelle Galerie du Temps, toujours sur le même concept d’espace totalement ouvert et permettant de traverser toutes les époques de l’histoire de l’art, mais avec un renouvellement complet de la sélection d’œuvres. On doit aussi retravailler sur les coulisses, rendre les réserves du Louvre visibles ici, aller plus loin dans le parachèvement du parc… Et continuer à développer nos relations de plus en plus nombreuses avec les musées belges : les Musées royaux des Beaux-Arts, les musées de la ville de Liège, le Grand Hornu… L’idée n’est pas nécessairement de faire des expos communes mais d’échanger les expériences, les innovations, etc. L’exposition « Champollion » est encore visible jusqu’au dimanche 22 janvier, www.louvrelens.fr

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