Axel Kuborn et Alexandre Ponchon (Silversquare) : «Le coworking est une réponse à de nombreux défis de notre société»

Affichant une croissance de son chiffre d’affaires de l’ordre de 60 %, à 16,5 millions d’euros, l’an dernier, le spécialiste belge du coworking, Silversquare, a le vent en poupe. Deux nouveaux espaces, à Anvers et Louvain-la-Neuve, vont garnir une offre qui atteint désormais dix emplacements sur près de 50.000 mètres carrés. Le point sur cet engouement, reflet de nos nouveaux modes de travail, avec Axel Kuborn et Alexandre Ponchon, qui ont cofondé l’entreprise il y a déjà 15 ans. Comment expliquez-vous cette croissance ? Axel Kuborn (A.K) Nous avons toujours grandi très vite, et ce, depuis notre création il y a 15 ans. L’offre que nous proposions alors répondait aux besoins des starts-ups, des indépendants, des solo-entrepreneurs. C’est toujours le cas, mais nous rencontrons désormais aussi les besoins de structures plus grandes, essentiellement en recherche de flexibilité. On aurait pu croire que l’explosion du télétravail allait vous affecter. Ce n’est pas le cas ? Alexandre Ponchon (A.P.) Nous avons évidemment tremblé au début de la crise sanitaire, en voyant les employés quitter les bureaux en ville pour rentrer travailler chez eux. Mais la réalité est que cette crise, par le mouvement de fond qu’elle a généré, constitue un profond soutien à notre activité. Pourquoi ? A.K. D’une part, parce que le télétravail ne convient pas à tout le monde. C’est peut-être très bien pour une personne qui habite à la campagne avec un jardin mais beaucoup moins agréable pour une jeune personne qui vit en coloc ou de jeunes parents qui habitent dans un appartement. D’autre part, du côté des entreprises, on a certes constaté que le homeworking fonctionne très bien techniquement, mais on a aussi rapidement compris les limites du système, raison pour laquelle elles se battent pour faire revenir les gens. Les « accidents créatifs de la machine à café », cela existe, tout comme plus simplement le besoin de se rencontrer, de discuter, de travailler en équipe. Mais revenir au bureau, ce n’est pas travailler en coworking… A.P. Ce sont les deux faces d’une même pièce : le besoin de travailler ensemble, qui ne se concrétise plus de la même manière. Avec la généralisation du télétravail, il est devenu beaucoup plus compliqué pour un employeur de cerner la réalité de ses besoins en espaces de bureaux. Le mardi, 80 % de ses collaborateurs sont peut-être présents, mais seulement de 50 %, voire peut-être moins le mercredi… et cela fluctue tous les jours de la semaine, voire de semaine en semaine. Quand on additionne le loyer, les charges, les taxes, cela fait beaucoup d’argent pour des locaux qui ne sont peut-être plus occupés, en moyenne, qu’à 40 %. Du point de vue de l’employeur, il y a donc une logique à vouloir diminuer ce volume fixe et faire passer une partie du besoin coûts variables. Et ce, en permettant aux collaborateurs d’accéder à des espaces accueillants qui répondent aussi à leur souhait de travailler davantage de manière flexible, où et quand ils le souhaitent. Est-ce aussi le sens de l’ouverture de nouveaux espaces en dehors de Bruxelles, à Anvers, Liège ou Louvain-la-Neuve, par exemple ? A.P. C’est effectivement apprécié par les employés qui ne sont pas proches de Bruxelles. Nous avons aussi constaté que proposer pareil accès en dehors de Bruxelles était un atout pour les entreprises qui ont du mal à recruter. Parfois, en effet, la compétence n’est pas proche du siège central, dans la capitale, mais bel et bien à Liège ou à Gand… où l’entreprise ne dispose pas de bureau. Dans une logique classique, en pareil cas, la personne sera réticente à l’idée d’accumuler les kilomètres et refusera le job qu’on lui propose. Avec le coworking, elle peut travailler en s’installant à sa meilleure convenance dans nos espaces décentralisés. Aviez-vous pressenti pareille évolution il y a 15 ans ? A.K. Le besoin que nous avions identifié était alors lié au développement de la start-up économie : des entrepreneurs, de petites entreprises qui se lançaient mais ne trouvaient pas d’endroits accessibles de manière flexible, peu onéreuse et leur permettant de rencontrer d’autres personnes partageant la même philosophie. Nous avons évidemment dû convaincre, au début, mais finalement la croissance est venue assez vite. Ce serait sans doute plus compliqué de se lancer aujourd’hui, car le marché est plus mature et parce qu’il y a la concurrence de grands acteurs internationaux. Qu’est-ce qui vous distingue, précisément, de ces grands acteurs ? A.P. Notre caractère local, en bénéficiant du soutien de Befimmo (le spécialiste belge de l’immobilier de bureau qui a acquis Silversquare en 2018, NDLR). Au contraire de grands groupes qui privilégient parfois une offre standardisée à l’échelle internationale, nous créons des espaces qui sont à chaque fois différents, fruits d’un projet développé avec un directeur artistique. Nous voulons être les plus attractifs sur notre marché, la Belgique et le Luxembourg, et nous sommes assez fiers d’y être désormais le numéro deux, en dépassant prochainement les 50.000 mètres carrés, en accueillant près de 5.000 membres et plus de 1.500 entreprises. Cela étant, il n’est pas impossible que notre croissance accélère encore, en fonction de ce que souhaitera le fonds canadien Brookfield qui détient désormais Befimmo (depuis le mois de juillet dernier, NDLR). Les attentes de vos clients ont-elles évolué pendant ces années ? A.K. La demande, forte, est de pouvoir travailler dans des espaces inspirants et nous avons toujours accordé beaucoup d’attention à cela. Bien évidemment, les besoins en technologie, en ergonomie, ont beaucoup évolué, de même que la manière de travailler. Nous proposons désormais une plus grande diversité d’espaces de travail ou de réunion, y compris des alcôves qui permettent de s’isoler et de se concentrer, par exemple. Mais notre métier, c’est aussi d’animer tout cela en proposant aussi le cas échéant de la restauration, des événements, avec nos partenaires tels que Sparks ou Bambino. Fondamentalement, les espaces de coworking sont des lieux de vie tout autant que de travail et c’est aussi cela que les gens recherchent. Notre histoire fourmille d’exemples de personnes en provenance d’horizons différents qui se sont rencontrées chez nous, ont créé des projets ensemble… Quelque part, nous ne faisons que souffler sur des braises. Nous avons beaucoup évoqué les soutiens à la croissance du coworking. Mais qu’est-ce qui pourrait l’entraver à l’avenir ? A.K. Toute activité est risquée, par définition, mais les projections sont objectivement positives. Certaines d’entre elles anticipent une superficie consacrée au coworking pouvant atteindre jusqu’à 30 % de l’immobilier de bureau dans les grandes villes à l’horizon 2030. Franchement, toutes les tendances sociétales actuelles sont plutôt de nature à soutenir notre activité : le souhait des entreprises et des collaborateurs de pouvoir travailler en mode flexible tout en conservant des rapports sociaux, de la créativité, mais aussi le besoin de répondre aux défis environnementaux et de mobilité en redynamisant les centres-villes, au plus près des nœuds de communication. Nous pensons vraiment faire partie des solutions à nombre des défis que traversent nos sociétés.

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