Gaëlle Nohant: au service de la mémoire

Le bureau d’éclaircissement des destins, Gaëlle Nohant, Grasset, 410 p., 23 €, ebook 15,99 € Après avoir publié un très beau roman inspiré par la vie, la mort et l’œuvre de Robert Desnos (Légende d’un dormeur éveillé, 2017), Gaëlle Nohant a été mise sur la piste d’archives qui, à Arolsen, conservaient des traces de la déportation du poète. Le centre de documentation a été installé, après la Seconde Guerre mondiale, en Allemagne où il conserve la mémoire des victimes des crimes nazis. Et des objets retrouvés dont Irène, une des employées de l’International Tracing Service, cherche à retrouver les héritiers légitimes. Le bureau d’éclaircissement des destins, ainsi désigné par le titre du roman, est le point de départ d’aventures humaines bouleversantes. Irène s’y investit au-delà du raisonnable, mais comment faire autrement quand vous savez être en possession d’une partie du passé dont des familles ont souffert et, peut-être, souffrent encore ? La méconnaissance des détails étant, souvent, à l’origine de cruelles questions sans réponses. « Un fonds d’archives, […] c’est un peu comme une collection de grenades dégoupillées », fait observer avec justesse Antoine, le meilleur ami d’Irène. On tire un fil, on ne sait pas quel genre de poisson sera accroché à l’hameçon… Parfois, d’insoutenables histoires personnelles remontent ainsi du passé, brûlant encore des silences, des mensonges sur lesquels des vies entières se sont bâties, fragiles et menacées. Irène porte une lourde responsabilité Vaut-il mieux rester à jamais dans l’ignorance ou apprendre la vérité au risque de nouvelles blessures ? Sabina, une rescapée de Ravensbrück, a rédigé ses souvenirs, non sans effroi : « Elle aspirait à l’oubli autant qu’elle le redoutait. » Et Irène, est-elle légitime dans sa volonté de rapprocher des personnes qui ne lui ont rien demandé ? « Elle se sentait vaine et insuffisante. De quel droit prétendait-elle raccommoder ces vies déchirées ? Elle ne pouvait rien réparer. Pas même les dommages qu’elle causait dans la sienne. » Car les douleurs des autres rejaillissent sur l’enquêtrice. Elle prend sur elle une partie des fautes anciennes, une partie du poids que représentent des histoires personnelles auxquelles l’Histoire, la grande et tragique Histoire, a donné des trajectoires imprévisibles. Au cœur des drames peut surgir, comme un soudain rayon de lumière, une belle romance. Irène le découvrira, encore lui restera-t-il à comprendre, intuitivement, comment elle peut l’utiliser pour soigner les âmes. La romancière offre à son personnage principal un rôle formidable : elle tient entre ses mains les lignes de vie de différents êtres humains que le temps a éloignés les uns des autres. En échange, Irène porte une lourde responsabilité, car il s’agit, au fond, de savoir s’il est utile de raviver la mémoire des morts pour bousculer les vivants. Le bureau d’éclaircissement des destins est un livre déchirant à travers lequel se transmettent jusqu’à nous des souffrances que nous aurions pu préférer éviter. Mais à travers un passage difficile se dessine la possibilité d’une reconstruction sur des bases plus solides. Et les larmes de pure émotion qui brouillent la vue un instant dans certaines pages deviennent les larmes d’une délivrance bienvenue. La puissance du roman est à la mesure de la hauteur des montagnes russes sur lesquelles il nous entraîne.

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