L’auteure de «Junk Food»: «Les personnages dont je parle sont dans la perte de contrôle»

Artiste belgo-mexicaine, Emilie Gleason a été révélée par le Festival d’Angoulême, en 2019, avec Ted, drôle de coco , un roman graphique au trait survolté sur la vie de son frère, diagnostiqué Asperger. Dans une overdose cartoonesque d’aplats de couleurs, son nouveau livre, Junk Food , est un réquisitoire drôlement documenté sur la malbouffe. L’autrice dresse des portraits hors de contrôle d’authentiques « food addict ». Ils ont des prénoms improbables et des silhouettes de dessin animé. Ce qui leur arrive est au-delà de l’inimaginable mais pourtant rigoureusement exact. Emilie Gleason dessine le quotidien de ces intoxiqués de la société de consommation pour nous faire ouvrir les yeux sur l’addiction du siècle, celle au sucre, au gras et au sel. La « junk food » est aussi addictive que l’alcool, le tabac ou la drogue ? Absolument ! Au Mexique, on meurt plus de diabète de type 2 que de drogues classiques. On a tendance à assimiler ou réduire les phénomènes d’addiction aux images du vieil ivrogne ou de l’héroïnomane qui traîne dans la rue. C’est plus compliqué que ça. Le glucose et le fructose, nous en avons besoin pour vivre, mais les industriels de l’alimentaire ont réussi à les rendre addictifs au possible, pour des questions de profit, au détriment de la santé des gens. Pourquoi avoir choisi un dessin cartoonesque alors que le sujet est des plus sérieux ? J’ai entièrement pensé le livre, depuis la couverture, selon les mêmes codes que ceux du marketing des multinationales de l’alimentaire. Il me semblait nécessaire d’avoir un dessin cartoonesque pour traiter ce sujet terrible, mal compris, et qui touche pourtant 10 % de la population. Je recours à des métaphores visuelles pour traduire la violence des émotions. Quand je parle de quelqu’un qui mange pendant 48 heures non-stop et prend 5 kilos en deux jours, ou d’une personne qui va jusqu’à avaler compulsivement le contenu de ses poubelles, ce sont des images fortes. Tout ce que je raconte est strictement vrai, mais j’avais besoin d’un sourire pour le dire. J’ai d’abord essayé de le faire de manière didactique mais ça donnait une impression trop scolaire. Il fallait que je m’éclate à fond pour raconter ces tranches de vie. D’autre part, les personnages dont je parle sont dans la perte de contrôle. La liberté du dessin illustre ça aussi. Enfin, je voulais que les personnages soient le plus anonyme possible. Avec le scénariste Arthur Croque, on a fabriqué des prénoms et des physiques. Il fallait romancer le tout pour permettre au lecteur et à la lectrice de rentrer dans le sujet. Votre récit met indirectement en cause la responsabilité de grandes marques comme Nutella, McDo, Haribo, Coca-Cola, Pepsi, Dunkin’Donuts, Starbucks… Vous les avez interpellées ? On a tenté, en vain, de contacter les multinationales de la malbouffe. Nous avons fait un boulot de recherche énorme. Ces industries ont pléthore de moyens pour financer des recherches et n’en retiennent que les éléments qui peuvent servir leurs intérêts. On se sent vraiment comme le petit orteil de David contre Goliath dans ce combat… J’ai préféré laisser la parole aux victimes. Ce sont elles que l’on n’entend jamais. L’addiction à la nourriture s’ancre dès l’enfance, avec les fêtes, les anniversaires, où on nous gave de sucre. On récompense les enfants avec des bonbons, des biscuits… C’est le principe de la consommation « hédonique » : on n’apporte rien de bon au plan nutritionnel, on peut s’en passer. C’est juste du réconfort ou du plaisir. Pourtant, en consommer trop est devenu une question de vie ou de mort pour 10 % de la population mondiale. Comment démonter les mécanismes de culpabilité à l’égard des addictions alimentaires ? Un chercheur a mis au point scientifiquement le point de félicité. Il s’agit de la recette magique « gras + sel + sucre ». Combinés, ces ingrédients activent directement notre circuit de récompense dans le cerveau, sans pour autant saturer nos papilles gustatives. Du coup, sans nous en rendre compte, nous perdons entièrement le contrôle sur ce qu’on mange. On bascule ainsi dans la compulsion totale, sans réfléchir, en avalant une boîte entière de Ferrero à Noël, par exemple ! Le produit a été pensé pour. Ce n’est pas de notre faute ! Il n’y a aucune raison de culpabiliser. Les témoins qui ont nourri vos personnages sont membres de « Food Addicts in Recovery Anonymous ». En quoi consiste cette association ? A la base, ils ont pris la bible des alcooliques anonymes, barré le mot alcool, et l’ont remplacé par les mots sucre et farine. Chaque membre a une marraine ou un parrain, qui appellent tous les jours la personne dépendante à la nourriture pour s’assurer du respect des repas qu’elle prend chaque jour et dont les ingrédients figurent dans une liste dont on ne peut s’écarter. Il est hors de question de sortir des prescriptions car on peut brutalement rechuter. Toucher à une simple barre de KitKat est aussi dangereux pour un « food addict », que de reprendre un verre pour un alcoolique. L’addiction à la nourriture n’est toujours pas reconnue comme une maladie. Ce livre est un pavé dans la mare pour faire bouger les choses. C’est facile de dire arrêter le sucre, mais l’industrie alimentaire en met partout !

Votre compte

L’auteure de «Junk Food»: «Les personnages dont je parle sont dans la perte de contrôle»

Découvrez la suite, 1€ pour 1 mois (sans engagement)

Avec cette offre, profitez de :

Le fil info

0 Commentaire

Aussi en Livres

Entretien Hanif Kureishi: «Etre totalement dépendant des autres est vraiment humiliant»

«Fastwalkers», le premier album de BD d’une intelligence artificielle

Au Festival d’Angoulême, la BD avait l’ivresse du saké

Festival d’Angoulême: le Suisse Martin Panchaud remporte le Fauve d’Or

Humeur Colette, toujours jeune à 150 ans

Allez au-delà de l'actualité

À la Une

Analyse Mercato d’Anderlecht: Islam Slimani pour sauver la face d’une journée décevante

Portrait Domenico Tedesco, un vent de modernité à la tête des Diables rouges (vidéos)

La centrale nucléaire de Tihange 2 a été définitivement mise à l’arrêt mardi soir

Prix énergie, SNCB, banque…: tout ce qui change ce mercredi 1er février

Budget de Liège: des finances toujours plus dans le rouge

Attaque au couteau à Schuman: le suspect est placé sous mandat d’arrêt

L’indemnité vélo pour tous les travailleurs belges dès le mois de mai

Quels sont les avantages du travail intérimaire ?

Comprendre l'indexation des salaires en Belgique

Les sections du site

Les services

Groupe Rossel