Trop de musique nuit-il à la musique?

M usique Non-Stop. Avec le streaming, cette ritournelle de Kraftwerk est devenue réalité. Nous sommes entrés dans l’ère de l’abondance musicale. Chaque jour, plus de 70.000 nouvelles chansons sont ajoutées sur Spotify, le leader mondial de la musique en ligne avec 195 millions d’abonnés. Ça fait environ 500.000 titres par semaine. Qu’il faut ajouter à tout le catalogue de la musique enregistrée depuis les années 20. En clair, il n’y a jamais eu autant de musique disponible. Dans ces conditions, comment choisir ? [scald=29811958:sdl_editor_representation] Un élément de réponse est venu des Etats-Unis où les auditeurs, de plus en plus, se rabattent sur les vieux tubes. Seuls 5 % du nombre total de streams est dû aux nouveautés. Concrètement, la « vieille » musique est devenue plus rentable que la « nouvelle » musique. C’est nouveau. La croissance du marché de la musique enregistrée n’est plus tirée par les nouveautés, mais par les vieux tubes. Résultat, l’industrie se tourne de plus en plus vers le passé, plutôt que de chercher à propulser des artistes émergents. Le fait est que le grand bénéficiaire du streaming est le « back catalogue » : à savoir, techniquement, les titres qui ont plus de 18 mois. Ce qui pourrait nuancer le propos. Mais, en réalité, ce sont surtout les tubes d’il y a dix, 20, 30 ou 40 ans qui ont le vent en poupe – Kate Bush l’a prouvé cet été en dégotant le tube de l’été avec un titre sorti en 1985. C’est une concurrence en plus pour les jeunes musiciens qui essaient de s’en sortir. Et n’est-ce pas un problème pour la musique elle-même, qui risque dès lors de tourner en rond ? [scald=29811954:sdl_editor_representation] L’ère des niches musicales « Le streaming est un modèle d’un genre nouveau, qui n’est ni la radio, ni le CD », dit Bruno Crolot, directeur de Spotify France et Benelux. Il se situe quelque part entre ces deux pôles. C’est aussi un champ de bataille où des millions d’artistes, dans tous les genres, essaient de se faire une place. A l’ère de l’abondance musicale, les anciennes distinctions entre commercial et underground ne tiennent plus. [scald=29811959:sdl_editor_representation] « L’underground, ça avait du sens quand il y avait le mainstream, on se positionnait en opposition à ce qui passait à la radio et dans les médias », dit Rebeka Warrior, figure de… l’underground français. « Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’il y a autant de projets musicaux que de gens sur Terre. Et grâce à internet, tout le monde a la possibilité de faire connaître son truc. Chaque “niche” musicale a sa communauté de fans, qui peut grandir, mais reste en cercles plus ou moins fermés. » Dans le monde d’avant, il était nécessaire de signer avec une maison de disques pour exister. Désormais, les artistes émergents peuvent développer eux-mêmes leur fan base grâce aux réseaux sociaux, s’entourer d’une équipe de confiance pour lui permettre de grandir et, seulement quand le projet est mûr, les maisons de disques viennent frapper à leur porte pour les aider à atteindre le prochain palier. C’est la voie qu’a suivie Angèle, avec le succès qu’on sait. Mais combien restent confinés dans leur niche ? Comment faire le tri ? Dans le monde d’avant, pour découvrir des nouveautés, il y avait un canal privilégié : la radio (à laquelle on ajoutera la presse). Aujourd’hui, les canaux se sont multipliés. « YouTube, Spotify, Instagram, Facebook, tout est lié », dit Sophian Fanen, journaliste et auteur de l’ouvrage Boulevard du stream. « Le streaming est un modèle de volume d’écoutes et d’attention. » Pour un artiste, il faut sans cesse montrer qu’on est présent. Pour le public, les portes d’entrée sont nombreuses. La base, désormais, ce sont les algorithmes des plateformes qui proposent à l’auditeur de la musique dans le style de ce qu’il écoute déjà. Une sorte de DJ qui connaîtrait nos goûts musicaux mieux que nous. Mais les algorithmes ont aussi tendance à nous enfermer. Si on veut être surpris, on peut toujours s’appuyer sur les outils classiques : presse spécialisée, radio, festivals ou discussions entre copains. Sinon, l’appli Shazam, qui détecte tout ce qui passe, que ce soit dans un bar, un film ou une série Netflix, les playlists fomentées par Spotify & co peuvent également ouvrir des portes, les podcasts… La liste est longue. Aujourd’hui, la musique est un vaste écosystème où tout est connecté. Les réseaux sociaux y ont une importance grandissante, notamment TikTok. Car c’est bien l’appli chinoise qui, contre toute attente, est à la source de bien des découvertes. Et des tubes. « On ne peut pas nier qu’aujourd’hui, TikTok soit devenu très important. Nous pouvons y sentir très vite si une tendance se développe et s’il y a le potentiel qu’une chanson devienne virale », disait il y a un an au Soir Annelies Zoetardt du pôle marketing de Sony Music Belgium. [scald=29811955:sdl_editor_representation] Trop is te veel ? Et donc, c’était mieux avant ? Quand on devait fouiller les bacs à CD pour dégoter la perle rare en import US ? L’abondance musicale pose quelques questions. Pour commencer, il est certain que les artistes les moins exposés (l’immense majorité) ont plus de difficultés à percer dans un milieu aussi concurrentiel. Ou, plus exactement, si les premiers pas sont plus aisés, le grand défi est aujourd’hui de se faire remarquer dans la masse. De sortir de sa niche musicale. De plus, l’abondance pousse au zapping plutôt qu’à l’écoute répétée et religieuse. D’ailleurs, les playlists d’ambiance des plateformes tendent à faire de la musique une sorte de papier-peint sonore. Des chansons qu’on entend au loin sans y faire attention. Ou de « la musique d’ameublement », selon le mot d’Erik Satie. Le pianiste parisien l’a prédit dès le début du XXe siècle, Spotify l’a fait ! Pas forcément une mise en valeur de l’art musical… [scald=29811956:sdl_editor_representation] Il se pourrait aussi que les nouveaux tubes n’aient pas l’impact culturel de leurs glorieux aînés. « Le succès a toujours été de courte durée dans l’industrie musicale, mais désormais, même les nouveautés qui cartonnent peuvent passer complètement inaperçues par la majorité de la population », dit l’auteur Ted Gioia dans un article de The Atlantic. L’exemple de Bad Bunny, artiste le plus écouté dans le monde, mais assez peu connu chez nous, saute aux oreilles. Mais il faut aussi laisser faire le temps. Dans 15 ans, les tubes d’aujourd’hui seront peut-être éternels. [scald=29811957:sdl_editor_representation] Et si on s’attardait un peu sur les bienfaits du streaming, pour changer ? Le fait est que nous n’avons jamais eu autant la possibilité de découvrir de nouvelles sonorités. En une journée, on peut passer d’Oum Kalthoum à Kendrick Lamar, enchaîner sur Bach, les Beatles et la K-pop de BTS, découvrir l’influence du gamelan de Java sur la techno et terminer la soirée avec le Concierto de Aranjuez en comparant les versions de Paco De Lucia et Miles Davis. C’est un voyage d’une richesse culturelle inégalée dans l’Histoire qui était encore impensable il y a 15 ans. Les frontières culturelles et les barrières de genres sont tombées et cela ne peut que stimuler la créativité. A l’industrie musicale de suivre, désormais, et de faire en sorte que chacun y trouve son compte. Quant à savoir comment la musique des années 2020 sera perçue d’ici 20 ou 30 ans… Il suffira de montrer l’image de la Tour de Babel. [scald=29811960:sdl_editor_representation]

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