Comment Adidas se débat pour effacer une année noire

Difficile d’imaginer la déchéance de Kanye West – star du rap, icône de la pop culture, mari de Kim Kardashian, désormais plus rien de tout ça après avoir tenu des propos antisémites, entre autres dérapages – avoir des répercussions jusque dans une vallée reculée de la Bavière. Pourtant, à Herzogenaurach, à une vingtaine de kilomètres au nord de Nuremberg, c’est tout un écosystème qui a été chamboulé. Ici, c’est un peu la Vérone de Shakespeare, les culottes de peau en plus. Deux clans s’affrontent sur fond de querelle familiale, au point de diviser la ville. Adidas et Puma, les deux géants de l’équipement sportif, respectivement numéros deux et trois mondiaux derrière le leader américain Nike, y ont leur siège social. C’est là la conséquence d’une fâcherie ancestrale, lorsque, en 1949, les frères Dassler se disputèrent pour chacun créer leur marque : Adidas (contraction de Adi Dassler) et Ruda (contraction de Rudi Dassler), qui prit rapidement le nom de Puma. Depuis, les quelque 23.000 habitants de la ville vivent au quotidien cette rivalité. Un engagement éthique payé au prix fort Alors, lorsqu’une pointure passe d’une marque à l’autre, on ne parle pas de transfert, mais de trahison. Depuis le 2 janvier, Björn Gulden est le nouveau directeur général d’Adidas. Recruté chez Puma pour redresser la marque aux trois bandes (montant du transfert inconnu), coup retentissant sur le mercato : les marchés financiers applaudissent. Son prédécesseur, le Danois Kasper Rorsted, venu du lessivier Henkel, a été remercié en août, trois ans avant la fin de son contrat. Dans un contexte ultra-concurrentiel, les mauvaises performances d’Adidas lui ont coûté son poste. A trois reprises l’an passé, Adidas a abaissé ses prévisions de résultats : en mai, en juillet puis encore en octobre. De janvier à fin septembre, le résultat net a fondu de 41,2 % à 1,1 milliard d’euros. A cause de la guerre en Ukraine, Adidas a tiré un trait sur le marché russe début 2022. Une décision éthique qui a amputé le deuxième trimestre 2022 de plus de 100 millions d’euros, et d’environ autant le troisième. A cela s’ajoute la dégringolade des ventes en Chine (– 27 % entre juillet et septembre 2022) : Adidas a été boycotté par les consommateurs chinois, après avoir décidé de ne plus utiliser de coton de la province de Xinjiang face aux accusations de travail forcé des Ouïgours. C’était sans compter la déflagration Kanye West. Avant le scandale planétaire et la rupture de contrat y relative, ils avaient ensemble développé la marque Yeezy, dont les baskets lifestyle ont connu un succès phénoménal. Lancée en 2014, leur collaboration a été l’une des plus juteuses du monde de la mode. Yeezy était devenue la poule aux œufs d’or d’Adidas : à elle seule, elle aurait représenté 7 % des ventes annuelles, selon le quotidien britannique Financial Times. Une collaboration dans laquelle l’ancienne direction d’Adidas se serait entêtée malgré les caprices réguliers de la star, incapable de tenir des délais par exemple. La fin de cette incroyable aventure aura un impact négatif allant jusqu’à 250 millions d’euros sur le résultat net de 2022. En plus de devoir trouver comment la remplacer, il faudra gérer les stocks, dont le montant dépasserait 500 millions de dollars. « En une année, Adidas a perdu trois centres de profits importants », pointe du doigt un manager d’Adidas, toujours dans le Financial Times, plaidant une accumulation de contrecoups et la faute à pas de chance. Alors quoi de mieux qu’un débauchage en bonne et due forme pour inverser la tendance ? Et si Puma l’a mauvaise, ce n’est pas pour rien. Lorsque Björn Gulden débarque au chevet du félin au printemps 2013, le chiffre d’affaires de l’entreprise est d’environ trois milliards d’euros. Le gros chat n’est pas vraiment dans le vent. Gulden, alors âgé de 47 ans, après avoir réhabilité le fabricant de bijoux Pandora en un temps record, a pour mission de le faire ronronner à nouveau. Et il réussit. Moins de dix ans plus tard, le chiffre d’affaires sur un marché pourtant hyperconcurrentiel a plus que doublé pour atteindre 6,8 milliards d’euros. « Nous sommes ravis d’accueillir Björn Gulden », a expliqué Thomas Rabe, président du conseil d’administration d’Adidas. « Il apporte son expérience de presque trente ans dans l’équipement sportif et l’industrie du football. Il a conduit Puma à des résultats record ». Messi pour redresser la barre Pour se refaire la cerise, Adidas compte encore des valeurs sûres dans son portefeuille. A commencer par la Coupe du monde de football, dont l’équipementier reste le partenaire exclusif, avec notamment les revenus liés aux ventes de ballons. Mais à la fin de l’année 2022, c’est surtout la victoire de l’Argentine qui est venue redresser les trois bandes de la marque. Le partenariat historique avec Lionel Messi, largement exploité à des fins de marketing, tout comme les maillots de l’Albiceleste avec la troisième étoile sur le cœur promettent de doper les ventes. Sur les plateformes officielles, c’est la rupture de stock jusqu’au mois d’avril. Néanmoins, « Adidas devra sûrement repenser l’ensemble de son offre », prédit Thomas Chauvet, analyste à la Citi, dans une note à ses clients. Car la déchéance d’Adidas, bien qu’exacerbée en 2022, ne date pas de cette année. Depuis le début de la pandémie, ses concurrents lui ont mangé les plus grandes parts du gâteau. Il faudra plus que quelques buts de Lionel Messi pour inverser la tendance.

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