Laurent Pelly, éternel curieux

Eugène Onéguine, du 29 janvier au 14 février à La Monnaie. Infos : www.lamonnaie.be Depuis toujours ou presque, Laurent Pelly est un homme de scène. Celle des théâtres d’abord – qu’il foulera aussi en tant qu’acteur – puis celle des opéras. Dès la fin des années 1990, il est ainsi devenu un metteur en scène salué et demandé (il a notamment reçu le prix du « Best Director » aux International Opera Awards 2016). Spécialiste du répertoire français, mais aussi du répertoire italien, il se distingue grâce à des mises en scène à la fois réjouissantes, universelles, divertissantes et poussant à réfléchir. Que ce soit dans le Don Pasquale de Donizetti ou les œuvres d’Offenbach qui jalonnent son parcours. Artiste curieux, Laurent Pelly n’hésite pas non plus à élargir ses horizons. Après un ironique et délicieux Coq d’or de Rimski-Korsakov en 2016, on le retrouve ainsi à l’œuvre à La Monnaie en ce mois de janvier pour Eugène Onéguine de Tchaïkovski (une nouvelle fois dirigé par son complice Alain Altinoglu). Un parcours et un art qui semblent l’épanouir, peut-être plus que jamais. Et dont voici cinq périodes clé. Les années 1970 : la découverte de la scène Dans les souvenirs de Laurent Pelly, l’art est présent depuis aussi longtemps qu’il s’en souvienne. Enfant, ses parents l’emmenaient ainsi régulièrement au théâtre et au cinéma. « C’est quelque chose dont on parlait beaucoup à la maison », dit le metteur en scène français, né en 1962. « Avec mon frère (aîné) et ma sœur (cadette, aujourd’hui actrice et chanteuse avec qui il collabore toujours), on a fait beaucoup de musique (il jouait du hautbois, NDLR), nous étions dans un chœur… Le théâtre est venu très naturellement et très tôt. À 8 ans, je montais des spectacles avec ma sœur et des marionnettes. C’est finalement assez banal mais je suis tombé dans la marmite très tôt. Et qui m’a très vite obsédé. » À 11 ans, il écrit des saynètes puis à 16, met en scène son premier spectacle et a envie de partager son art avec ses copains… Les années 1980 : la naissance de sa compagnie … c’est ainsi qu’il fondera sa compagnie, Le Pélican, en 1980 (qu’il codirigera à partir de 89 avec Agathe Mélinand, avec qui il collabore toujours). « J’étais un cancre au lycée. Je ne pensais qu’à ça. J’étais assistant metteur en scène à Béthune pour gagner ma vie et très vite. Parallèlement j’avais ma compagnie. J’ai eu ma première subvention et après c’est allé relativement vite : j’ai dû monter six spectacles. J’ai un grand appétit pour le travail. Toujours maintenant. Plus j’ai de travail, plus je suis content. » Il sera ensuite, en 1997, nommé directeur du Centre dramatique national des Alpes à Grenoble. C’est là que Jean-Pierre Brossman, alors directeur de l’Opéra de Lyon, lui demande ainsi qu’à Marc Minkowski, directeur de l’orchestre de Grenoble, de faire Orphée aux Enfers à l’Opéra de Lyon. Les années 1990 : le tout premier opéra Nous sommes toujours en 1997, année qui marquera le début d’un parcours soutenu dans le monde de l’opéra. « Très tôt, j’ai mis de la musique vivante dans mes spectacles. Je trouvais ça plus intéressant que d’avoir une bande enregistrée. Mais l’opéra en lui-même est venu bien plus tard et un peu par hasard. Je dois dire que c’est beaucoup de chance. D’abord de rencontrer Marc, qui a été très important dans ma carrière, et qui m’a appris énormément de choses. Puis de rencontrer des artistes très importants. » Au casting de cet Orphée aux Enfers : Natalie Dessay et Laurent Naouri notamment, des artistes qui deviendront essentiels dans son parcours. « À partir de là, j’ai toujours monté parallèlement des spectacles de théâtre (il continuera à être jusqu’à récemment directeur de centres nationaux dramatiques, NDLR). » Les années 2000 : les premières expériences d’opéra à l’étranger Un travail collectif qui marquera toute sa carrière. « Plus que du collectif, je parlerai des collaborations. Lorsqu’on rencontre des grands artistes, c’est comme lorsqu’on rencontre des œuvres. Je dis toujours que je suis d’abord et avant tout au service des œuvres. Ce qui a guidé ma vie, c’est l’amour des œuvres. La passion de ça et de le transmettre. Quand on rencontre des gens passionnés, des chefs, des chanteurs, des acteurs, des scénographes, c’est ça qui fait la collaboration. Que ce soit avant ou pendant les répétitions, je suis complètement amoureux des œuvres. Et en vieillissant, ça ne cesse pas. Mon modeste travail de metteur en scène est de transmettre cette passion et d’essayer d’être le plus honnête possible avec l’œuvre pour la faire entendre aujourd’hui. » C’est une autre collaboration, avec José van Dam cette fois, qui le mènera jusqu’à La Monnaie. « José était dans ma première mise en scène à l’étranger : L’Heure espagnole et Gianni Schicchi au Japon en 2003 avec Ozawa Seiji. Je devais avoir fait quatre mises en scène d’opéra avant ça. Ça a été une expérience merveilleuse. Ça s’est très bien passé. Et c’est José qui a proposé à Peter de Caluwe, qui me connaissait puisqu’on avait déjà travaillé ensemble, de m’engager pour mettre en scène Don Quichotte pour ses adieux. J’étais très flatté et très touché. » Janvier 2023 : « Eugène Onéguine » à La Monnaie Après un premier spectacle, Parlez-moi d’amour avec Felicity Lott en 2007, Laurent Pelly mettra donc en scène Don Quichotte de Jules Massenet en 2010 avec José van Dam à La Monnaie, puis Cendrillon l’année suivante avant Le Coq d’or (2016) et Don Pasquale (2018). Aujourd’hui reconnu à travers le monde, Pelly a mis en scène au Met de New York, à la Scala, au Wiener Staatsoper… « C’est très impressionnant mais ce ne sont pas les moments les plus importants. C’est génial d’être au Met mais ce n’est pas forcément ce que je préfère. C’est une maison de répertoire. Et ce qui m’importe le plus, ce sont les collaborations. Notamment avec les maisons, comme avec Madrid où je travaille beaucoup, avec le festival de Glyndebourne ou celui de Santa Fe ou ici à La Monnaie. Ce sont des maisons où on travaille finalement de manière artisanale, amicale. Puis ce sont des rencontres avec des artistes. » Un environnement qui lui permet de prendre des risques et de s’essayer à de nouveaux répertoires, comme avec cet Eugène Onéguine de Tchaïkovski. « Je pense qu’on ne peut pas tout faire et en même temps je suis toujours curieux d’aborder de nouveaux répertoires. Onéguine est particulier. C’est d’abord un roman extraordinaire de Pouchkine. Je ne l’avais pas lu et ça a été le choc de ces cinq dernières années. C’est un roman universel, qui parle de tout, de tout ce qui touche à l’humanité, de l’amour, de la mort, de la vie, du temps qui passe, avec beaucoup d’humour et de légèreté. Là où l’opéra est un peu trompeur, c’est que Tchaïkovski a mis tout son mal-être à l’intérieur de cette pièce. Et avec ce spectacle, j’essaie de mêler les deux. On ne peut pas lutter contre la musique de Tchaïkovski, mais j’essaie de faire entendre ce qu’il y a chez Pouchkine de dérisoire, de léger, de méchant, de comique aussi. Même si l’histoire est pathétique plutôt que tragique. » Aimant trouver « le théâtre dans la musique », Pelly fait ici aussi face au défi de la langue. « C’est toujours difficile. Un peu frustrant. Surtout avec une langue, le russe, que je ne parle pas du tout. Mais comme pour Le Coq d’or, ce qui est formidable c’est que je travaille avec deux personnes merveilleuses, une traductrice et une cheffe de chant qui est russe, qui m’aident beaucoup pour le sens. C’est sûr que je préfère travailler en français. Mais je ne peux pas m’y limiter. Une chose que j’adore faire, c’est travailler en français à l’étranger, et apporter ma pierre au travail des chanteurs et les aider. Pour moi, mon travail se situe aussi très souvent là : aider les chanteurs à interpréter et essayer d’enlever la peur et l’appréhension. » Prochain défi : Les maîtres chanteurs de Wagner à Madrid. « Le défi, c’est de rencontrer de grandes œuvres et de pouvoir les mettre en scène. C’est une chance inouïe. »

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