«Neneh superstar»: pour qu’il y ait une génération Neneh après la génération Billy Elliot

Quand on lui parle de son film Neneh superstar, Ramzi Ben Sliman évoque une préparation au millimètre, un tournage exigeant, quatre heures maximum par jour avec les enfants et pour commencer, un casting de très longue haleine pour trouver celle qui serait Neneh sans aucun compromis. Il avoue : « La danse, c’est l’excellence. C’est une grâce tellement folle qu’elle semble hors de portée. Je transpose sans doute un rêve à travers ce film. » Vous avez trouvé une perle rare avec la jeune Oumy Bruni Garrel… Après beaucoup de temps et voyages car on avait beaucoup d’exigences pour honorer la promesse du scénario avec ce personnage. Elle devait être noire, avoir la maîtrise de la danse, avoir le poids et la taille qui la rendent crédible dans cette promotion, être capable de porter un gros travail de cinéma. On a d’abord cherché en France. On a élargi à la Belgique, la Suisse, au Luxembourg. Puis à l’Afrique francophone, au Dom-Tom, au Québec. Plus on avançait, plus on se disait que le film n’était peut-être pas possible car il n’était pas question de prendre un casting de compromis. J’ai suspendu la recherche pour me concentrer sur les filles de la promo. On a vu jusqu’à 400 petites filles et je me suis rendu compte que celles que je choisissais venaient toutes du même centre de formation et toutes me parlaient d’une fille qu’elles connaissaient et qui correspondait au scénario. C’était Oumy. Quelle réflexion suite à cette longue recherche ? Qu’il y a un plafond de verre. Je voyais des filles de 8-9 ans qui auraient pu avoir le rôle mais nous, on était dans la classe d’âge de 12-13 ans. Ce qui veut dire qu’au-delà de 8-9 ans, il n’y a plus de petites filles noires inscrites dans des parcours d’excellence dans le domaine de la danse. D’où des candidatures très fragiles et peu nombreuses. Oumy était la seule plausible dans le rôle. Ce que vous décrivez des écoles de ballet est-il le reflet de la société française ? C’est exactement ça. Je me suis appuyé sur l’Opéra de Paris comme une allégorie de la France. L’Opéra de Paris, c’est 350 ans de tradition française, des règles très précises, des normes ultra-établies. La danse, et en l’occurrence à l’Opéra de Paris, c’est un endroit où on a droit de dire : elle est trop grosse, trop petite, trop noire. La danse me permettait de mettre les pieds dans le plat et de parler frontalement. Choisir la danse, c’est aussi être dans le mouvement et offrir un divertissement familial. Il n’y a pas de mouvement de caméra. Priorité aux mouvements les plus gracieux, les plus beaux, les plus émouvants. Cela nécessite une humilité. Comment les choses évoluent-elles ? Blanche-Neige peut-elle être noire ? Ce n’est pas mon problème mais celui de l’Opéra de Paris. Par contre, je suis optimiste quand je mets en perspective le personnage de la directrice de l’école de danse jouée par Maïwenn et Neneh. La directrice a été enfant dans les années 80-90 et pour réussir, elle a dû gommer sa singularité, jusqu’à son patronyme. En 2022, comme on le voit avec Neneh, c’est tout le contraire. Il faut qu’elle impose sa singularité. C’est un grand progrès. Mon film est un parcours initiatique mais plus celui de la directrice que de Neneh. C’est Neneh qui la fait grandir. Avez-vous réalisé ce film dans l’espoir de faire bouger les lignes ? Quand j’ai travaillé sur l’Opéra de Paris pour Grand Hôtel Barbès, je me suis rendu compte que beaucoup de garçons de 35-45 ans se revendiquent de la génération Billy Elliot. Moi, j’aimerais que le film provoque une génération Neneh. Que des petites filles noires disent : Neneh nous a explosé le plafond de verre ! Les propos tenus par certains professeurs à l’égard de Neneh sont d’une grande violence… Oui, on pourrait croire que les échanges, notamment pendant les délibérations, sont trop appuyés, que c’est exagéré et pourtant, chacune des phrases prononcées a déjà été dite dans ce cadre-là. Je me suis reposé sur un formidable documentaire, Graines d’étoiles, qui suit une promo de petits rats dès 10 ans jusqu’à leur entrée à l’Opéra. On voit les coulisses et c’est saisissant. Je me suis servi des vidéos réalisées au temps où Claude Bessy était directrice. On voit la dureté. Vous pourriez dire : « Neneh, c’est moi » ? J’ai adapté ce que j’ai vécu à la danse. Oui, j’ai vécu des expressions violentes du racisme. Quand on a des parents qui viennent d’ailleurs et qu’on porte cet ailleurs dans les traits, il y a des accès (au logement, au travail, au crédit…) qui sont plus difficiles. C’est l’héritage d’un colonialisme lié à la peur. Mais comme mon père était projectionniste itinérant, le cinéma n’était pas pour moi une citadelle imprenable. C’était un artisanat. C’est sans doute pour cela que je me suis dit que c’était possible.

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