Katherine Longly au Bota: le corps et ses aliments

C’est une gamine mignonne, un peu boulotte sur une vieille photo de famille. A 18 ans, inscrite à l’académie des beaux-arts, la gamine devenue grande réalise en sculpture un autoportrait sans complaisance : un corps assis où les bourrelets se superposent. « J’ai forcé le trait » sourit Katherine Longly devant son œuvre de jeunesse. Mais à l’époque, je me sentais vraiment grosse. La perception qu’on a de soi-même se construit dès l’enfance tout comme notre rapport à la nourriture. » Présente quotidiennement dans notre vie plusieurs fois par jour, élément central de milliers de livres, d’émissions culinaires et autres programmes de régime, la nourriture et la manière dont nous la consommons en disent long sur chacun de nous. Pour en parler, Katherine Longly est partie d’elle-même et de plusieurs résidences au Japon. « Lors de ma première résidence, j’ai rencontré différentes personnes, notamment un groupe de J Pop dont tous les membres étaient de petites grosses, des filles travaillant dans un café concept où toutes les serveuses sont obèses, des travailleurs d’associations s’occupant de troubles de l’alimentation… Finalement, je me suis rendu compte que le plus intéressant, dans le cadre de mon travail, c’était les témoignages personnels. » Du japonais à l’universel Dans l’exposition qu’elle présente au Botanique, on en retrouve dix qui figuraient auparavant dans un beau livre d’artiste réalisé au Japon et exposé en début de parcours. On passe ensuite d’un témoignage à l’autre avec, chaque fois, une scénographie propre à la personne concernée. « J’ai réalisé des interviews de 2 à 3 heures avec chaque personne à propos de leur rapport à la nourriture et au corps. Certaines ont des problèmes du type anorexie ou boulimie, d’autres pas du tout. Huit sont japonais et deux habitent simplement au Japon. C’est donc fortement ancré dans le contexte japonais pourtant, au final, on se rend compte que le sujet et les problèmes qui y sont liés sont universels. » [scald=29825336:sdl_editor_representation] Après les interviews, chaque personne a été invitée à réaliser une série de photos en lien avec le sujet évoqué. « Il était important que chacun évoque lui-même son rapport à la nourriture et au corps à travers des images. Pour cela, je leur ai fourni des appareils jetables qu’ils me renvoyaient ensuite sans avoir vu le résultat. C’était indispensable pour éviter la tentation d’éliminer certaines images au préalable. Ensuite, bien sûr, j’ai été constamment en dialogue avec chacun, je leur ai montré les photos, les textes… Et j’ai ajouté des éléments de contexte que j’avais moi-même récolté à gauche et à droite pour mieux situer les choses. » Photos et porte-clés Le résultat est à la fois étonnant, instructif, éclairant, bouleversant parfois. Luca a été anorexique mais explique dans ses échanges de courrier avec l’artiste belge que désormais tout est normal. La série de photos de ses repas quotidiens interroge malgré tout, tant elle semble manger quasiment la même chose jour après jour. Ren, 35 ans, était une enfant rondouillette. On la surnommait « Little Sumo ». A l’école, elle prolongeait ses repas durant des heures, s’attirant les foudres des professeurs. A côté de boîtes bento préparées comme de véritables œuvres d’art par les mamans, on découvre les images de l’école de son enfance. Mina, née en Belgique de parents japonais, est repartie vivre à Tokyo où elle joue de sa double identité culinaire, préparant aussi bien des plats locaux que d’impressionnants montages de speculoos pour ses amis tokyoïtes. Un moyen aussi de se connecter avec ses frères restés en Belgique et sa mère disparue. [scald=29825337:sdl_editor_representation] Tomoko, 64 ans, fait partie de la génération de femmes qui abandonnaient toute occupation extérieure pour s’occuper de leur famille. Peu douée pour la cuisine à la base, elle a fini par y trouver un espace de créativité exceptionnel, mitonnant les plats les plus variés et emmenant toute sa famille à la découverte des cuisines du monde. Kenichi, 56 ans, est l’un des premiers personnages découverts par Katherine Longly qui le suivait sur les réseaux sociaux où il publie des photos de tout ce qu’il mange. A travers sa série d’images d’apparence anodine, c’est en fait sa vie qu’on découvre… [scald=29825338:sdl_editor_representation] Au beau milieu de ces témoignages écrits (tous les textes sont anglais mais un petit guide résume chacun en français) et photographiques, on découvre l’impressionnante collection de porte-clés japonais de l’artiste. Tous reproduisent des aliments les plus divers : crevettes sous vide, sachet de bonbon, camembert local, sushis de formes et compositions variées, gâteaux, brochettes et même une petite fiole d’huile de soja en forme de poisson (classique) pouvant aussi faire office de lampe de poche. Une illustration de plus de l’importance de la nourriture dans notre vie. Katherine Longly, « To tell my real intentions, I want to eat only haze like a hermit », jusqu’au 5 mars à la Galerie du Botanique, www.botanique.be

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