Simon Mignolet: un Soulier d’or qui lui va comme un gant

Les petites histoires du foot sont truffées de reculs dans le jeu : des attaquants reconvertis en médians ou des médians qui reculent en défense. Attaquant de formation, Simon Mignolet a, lui, effectué un aller simple insolite en troquant un rectangle pour l’autre. Dont, sur le long terme, il ne s’attendait pas à devenir l’inamovible sentinelle. « Quand il s’est mis en tête de devenir gardien de but, nos parties de foot dans le jardin après l’école se sont mises à changer de physionomie », se souvient son frère Wouter aujourd’hui son complice dans leur business commun. « Il se prenait pour Michel Preud’homme, à qui il a succédé au palmarès 33 ans plus tard. » Parti seul à l’assaut de la Premier League à 22 ans, Simon Mignolet est passé sans transition du confort cossu de la maison familiale de Brustem à une vie de célibataire qu’il a choisi d’assumer pleinement là où d’autres footballeurs auraient opté pour un assistanat garanti par contrat. Sunderland, c’est l’assurance d’un fameux retour sur soi, loin de Jasmien Claes, son amour de teenager encore aux études à l’Université de Louvain et qu’il épousera en 2015. « J’ai appris à ne pas acheter n’importe quoi, à cuisiner sainement, à m’occuper de mes lessives, à déplier une planche à repasser et à ne pas me brûler avec le fer », s’amusait cette petite fée du logis lors de son premier retour en équipe nationale en provenance de son nouveau club, Sunderland, qui, en juillet 2010, venait de dépenser 2,4 millions d’euros pour transférer le gardien belge de l’année avec Saint-Trond. Dans l’ombre de Courtois Au Stadium of Light, il a pleinement profité de cette mise en lumière, malgré la rivalité avec l’Écossais Craig Gordon, coté à l’époque comme le gardien transféré pour la plus grosse somme en Premier League (10,8 millions). Trois ans après sa traversée de la Manche et une grosse frayeur sous la forme d’une fracture du combo nez-mâchoire-pommette, Anfield ouvrait les portes du temple à celui que toute la ville ne tarda pas à appeler « Big Si ». Une consécration pour celui qui devint, jusqu’au transfert de Thibaut Courtois de Chelsea au Real Madrid (35 millions), le gardien belge le plus cher de l’Histoire (10,6 millions + commissions). La quête du Graal survient dans la foulée avec la reconnaissance éternelle de la communauté des Reds après la mise en vitrine d’une 6e Ligue des champions – vécue depuis le banc concernant le Belge – face à Tottenham (2-0). Parallèlement à ses neuf saisons en Premier League où, sans être une superstar, son talent fut plus que largement reconnu, Mignolet a vécu une autre vie, dans l’ombre d’une exception comme la Belgique en a pratiquement connu lors de chaque décennie : Thibaut Courtois. Son cadet de trois ans, mais de la trempe des Jean Nicolay, Christian Piot, Jean-Marie Pfaff et Michel Preud’homme, keepers de format planétaire. « Simon et Thibaut ne sont pas des amis, mais ils travaillent de manière professionnelle. Mais n’allez pas les opposer : si c’était la guerre, ils n’auraient jamais tenu plus de dix ans en équipe nationale », explique l’ancien sélectionneur Marc Wilmots. « Les rôles sont clairs depuis longtemps mais cela n’empêche pas Simon de pousser Thibaut sans cesse plus loin dans ses retranchements. C’est une présence de nº2 qui, malgré le statut de Courtois au Real, l’empêche de se reposer sur ses lauriers. Et constitue une sorte d’assurance-vie pour la sélection en cas de blessure ou de suspension du titulaire. » Nico Vaesen : « Klopp ne voulait pas le lâcher » « La grande force de Mignolet réside dans sa faculté d’auto-analyse très largement au-dessus de la moyenne », enchérit Philippe Vande Walle, l’ancien préparateur des gardiens chez les Diables qui l’a eu sous ses ordres pendant trois ans et demi. « Il était en poste quand Thibaut Courtois est arrivé. Plus âgé, il jouait déjà à Sunderland. La passation de pouvoir s’est faite sans heurts, dans une suite logique de la progression de Courtois. Simon a eu l’intelligence et la maturité pour accepter très vite la présence d’un véritable extraterrestre. D’autres auraient peut-être sombré psychologiquement, mais son équilibre de vie et son intelligence lui ont permis de relativiser cette concurrence impossible à soutenir, tout en poursuivant brillamment sa carrière internationale. On dit souvent que Simon serait titulaire dans 90 % des sélections du monde, mais c’est vraiment vrai ! » Considéré en Angleterre comme un véritable maniaque du contrôle, le keeper limbourgeois avait été précédé de cette réputation sur sa terre natale. Jos Beckx, son premier entraîneur professionnel en D2 à Saint-Trond, se souvient : « Je l’avais visionné pour le compte de Genk et j’avais déjà été frappé par sa minutie au travail », explique-t-il. « Un scout du PSV, qui le suivait à l’époque, m’avait lui aussi fait la remarque. Ses charges d’entraînement sont volontairement lourdes. Là où un gardien hoche la tête quand vous lui proposez d’enchaîner trois exercices, il les fait chacun quatre fois. Une vraie bénédiction pour un entraîneur ! Son approche du métier et sa force de caractère lui permettent aussi de corriger le tir à chaud. Je me souviens d’un match où Sunderland était venu le visionner : il avait commis une petite erreur et avait immédiatement tourné le bouton pour réaliser une excellente prestation. Là où beaucoup auraient baissé la tête, lui la garde toujours haute. » Le leader qui manquait au FC Bruges À bientôt 35 ans (le 6 mars), le gardien brugeois est une des chevilles ouvrières du triplé brugeois en championnat. « Lorsque Bruges a tâté le terrain à Liverpool, sa direction m’avait confié qu’elle cherchait non seulement ce keeper d’envergure qui lui avait fait défaut depuis la reprise du Club en 2011, mais aussi et avant tout, un leader juste derrière sa défense », se souvient l’agent Nico Vaesen, au cœur du deal entre Bruges et Liverpool. « Jürgen Klopp ne voulait pas le lâcher. À la fois sur sa valeur de doublure d’Alisson Becker, mais aussi pour son influence dans le groupe. » « Après la première conversation au début du mois d’août 2019, Bart Verhaeghe et moi avions compris que nous tenions encore plus qu’un simple keeper de niveau international : le vrai leader du vestiaire aux côtés de Ruud Vormer », explique Vincent Mannaert, le CEO du Club. « Dans notre philosophie de travail, qui consiste à encadrer nos jeunes talents par de l’expérience mais sans les étouffer, nous avions tapé dans le mille ! Simon est plus qu’un simple footballeur et qu’un gardien : c’est un socle sur lequel on construit. » Patron de ses seize mètres et du spelershome de Westkapelle, Simon Mignolet l’est aussi de sa vie hors des terrains. Ses investissements, il les suit personnellement, avec l’aide de son frère Wouter : « Je n’ai jamais considéré que je pouvais vivre hors sol sous prétexte que je gagnais très bien ma vie », affirme le 69e Soulier d’Or. « Quand je faisais construire des appartements dans ma région natale, je me souviens avoir eu l’architecte tous les jours depuis Sunderland. Au club, je voyais arriver des joueurs ne sachant pas quoi faire avec leur facture d’électricité, de téléphone ou leur abonnement TV. Ils les déposaient à la personne qui gérait l’administratif pour les joueurs et ils partaient s’entraîner. Moi, pas question de m’extraire de la vie réelle. Cinq euros resteront toujours cinq euros. » Une philosophie de vie qui correspond trait pour trait au portrait que beaucoup ont dressé du bonhomme. Dont le Soulier d’Or 1991, Marc Degryse : « Un trentenaire de son temps, très bien ancré et très proche de la jeunesse qui l’entoure. Mais avec des principes qui traduisent une éducation qu’il a eu la lucidité de ne jamais renier. Un signe de grande intelligence qui n’est pas donné à tout le monde dans le milieu du foot. »

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