Ceta: comment Juncker évite le clash avec les capitales

L’effet du Brexit serait-il passé par là ? Le collège des commissaires européens a en tout cas plié ! La Commission a finalement accepté d’impliquer les parlements nationaux dans le processus d’approbation du Ceta, l’accord de libre-échange avec le Canada (« Comprehensive Economic and Trade Agreement », Ceta). L’équipe Juncker était confrontée à la bronca d’une large frange d’Etats membres. Ceux-là réclamaient ce détour démocratique pour valider l’accord négocié par la Commission au nom des Vingt-Huit et conclu fin 2013, déjà, avec le gouvernement canadien. Mais la Commission n’en démord pas : sur le plan juridique, cet accord relève clairement de la compétence exclusive de l’Union européenne, répète-t-elle – et ne devait pas passer par la case des parlements nationaux. Politiquement, la Commission a donc préféré ne pas engager de bras de fer avec les capitales. Etant donné la sensibilité politique de ces accords « libre-échangistes », il était risqué de donner l’impression que le « deal » pouvait être simplement conclu à la majorité qualifiée au Conseil des ministres européens, sans passer par les parlements… Risque de ralentissement L’accord sera donc présenté à la signature des Etats membres comme « mixte », avec des dispositions qui ressortent des compétences des Etats, impliquant les parlements nationaux. Le texte devra être accepté à l’unanimité. Quoi qu’il en soit, la Commission prévoit l’entrée en vigueur provisoire de l’essentiel des dispositions du Ceta, dès qu’il sera voté par le Parlement européen, donc sans attendre les ratifications parlementaires nationales, comme l’autorisent les traités européens. L’implication des parlements nationaux et, dans le cas de la Belgique notamment, d’assemblées des entités fédérées, risque en effet de sérieusement ralentir la procédure, sinon de la bloquer – puisque la ratification par tous les pays est requise. Un accord de libre-échange noué avec l’Ukraine est ainsi momentanément paralysé par la non-ratification par les Pays-Bas, où une consultation populaire organisée en avril dernier a donné le « non » largement vainqueur (fût-ce avec un faible taux de participation à ce référendum). Fin mai, les ministres du Commerce avaient tous confirmé qu’ils « soutenaient l’accord ». Mais une écrasante majorité des Etats membres réclamait déjà la mixité. S’il s’est incliné, le président de la Commission Jean-Claude Juncker juge tout de même que des « calculs politiques » motivent cette volonté farouche de plusieurs Etats membres. Et que cela met en péril la « crédibilité » de l’UE à négocier des accords commerciaux, au moment où un sommet avec le Canada est déjà planifié le 27 octobre prochain pour signer le Ceta. Pour les services juridiques de la Commission européenne, les matières couvertes par l’accord relevaient de la compétence exclusive de l’UE. La Cour de Justice européenne a été saisie d’une affaire similaire, en 2014, à propos d’un accord noué avec Singapour, mais celle-ci n’est toujours pas tranchée. En cas de confirmation par la Cour du point de vue de la Commission, la « mixité » du Ceta pourrait bien voler en éclat… Le sort réservé au Ceta sera en tout cas très vraisemblablement appliqué à l’autre accord de libre-échange en projet, le fameux TTIP négocié avec les Etats-Unis. Un virage notable Entre-temps, le virage opéré par la Commission est notable. La semaine dernière, Jean-Claude Juncker avait fait savoir, lors de la conférence de presse donnée au premier jour du sommet européen, qu’il avait « briefé » les chefs d’Etat ou de gouvernement sur le caractère « européen exclusif » du Ceta. Mais il avait noté aussi l’opposition de « la plupart » des Etats membres à ce point de vue, ce qui méritait d’être « médité », avait-il dit. Le lendemain, Juncker s’était montré plus mordant à l’égard des partisans de l’accord mixte.« J’ai toujours estimé – mais c’est peut-être une façon vieux jeu de voir les choses – que nous (l’Europe) sommes un système basé sur les règles ». Le président de l’exécutif européen voulait voir « la preuve, via une évaluation juridique sans ambiguïté, que ce ne serait pas un accord exclusivement UE ». Mais Juncker avait aussi lâché qu’il ne « mourrait pas sur l’autel des questions légales »… Tout en demandant de ne pas confondre les questions juridiques avec le débat politique. « C’est un débat artificiel », avait-il encore asséné, aucun des leaders réunis au sommet européen n’ayant soulevé d’objection sur le « contenu de l’accord », « le meilleur deal commercial jamais conclu par l’UE ». Pour la Commission, le Ceta offre de nouvelles opportunités aux exportateurs européens tout en préservant les normes européennes. La Commission jugeait aussi que l’onction démocratique était suffisante même sans ratification des parlements nationaux. L’accord doit de toute manière être voté par le Parlement européen. Et les gouvernements sont soumis au contrôle de leurs parlements et devaient convaincre ceux-ci de la nécessité d’aller signer l’accord. La fronde s’est notamment exprimée en Allemagne, en France ou au Luxembourg, qui exigeaient la ratification parlementaire.« En France c’est le Parlement qui aura le dernier mot sur cette affaire et qui aura à se prononcer par un vote sur la ratification ou non de cet accord. Et ce n’est pas négociable », a ainsi déclaré mardi, avant la décision de la Commission, le secrétaire d’Etat français au Commerce extérieur Matthias Fekl, dans un entretien à l’AFP. Il aurait fallu l’unanimité du Conseil pour renverser la position de la Commission, si celle-ci s’était arc-boutée sur l’idée d’un accord « exclusivement UE ». L’Italie avait déjà fait savoir qu’elle soutiendrait la position de l’exécutif européen dans cette affaire. Au sommet de la semaine dernière, Juncker avait d’ailleurs remercié « Matteo (Renzi, le chef du gouvernement italien, qui) a parfaitement compris l’importance de ce dossier ». La Belgique n’avait pas encore officiellement fait connaître sa position. Interrogé à la Chambre à la mi-juin, le vice-Premier ministre en charge du Commerce Didier Reynders avait prudemment expliqué qu’il se concerterait avec les Régions et Communautés, une fois que la Commission européenne aurait avancé sa proposition de décision. Maintenant que la Commission elle-même accepte d’inviter les parlements dans la discussion, les parlements francophones ne manqueront pas de redire au gouvernement fédéral leur opposition au Ceta « en l’état ».

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