Le bagayou, une affaire d’homme

C omment tu vas, mon vieux bagayou ?» me lance mon interlocuteur kanak. Même si je ne doute pas de la cordialité de cette adresse, mieux vaut en vérifier le sens exact. Bagayou ? C’est un pote, un copain sur qui on peut compter. Me voilà rassuré. Jusqu’au jour où j’entends un gars interpeller son copain (son bagayou , donc…) : « Tu ferais mieux de cacher ton bagayou !» J’ai tôt fait d’apprendre que le bagayou est aussi le nom du sexe masculin. Soit un rapport entre le tout et la partie. Poursuivant ma quête, je découvre que ledit bagayou a d’abord désigné un étui pénien, encore porté par les Kanaks lors de danses traditionnelles. Soit un rapport entre le contenu et le contenant. De synecdoque en métonymie, le bagayou se fait fleur de rhétorique… Postscriptum 1 [scald=1583935:sdl_editor_representation] La Nouvelle-Calédonie est un archipel de l’océan Pacifique, dont l’île la plus importante, Grande-Terre, abrite la capitale Nouméa. Habitée depuis 3.000 ans par des Mélanésiens, elle est découverte en 1774 par James Cook, qui la baptise New Caledonia (en référence à l’Écosse). Lorsque l’île passe sous le contrôle de la France en 1853, celle-ci y installe une colonie pénitentiaire. Les relations entre les autochtones kanaks et les colons seront conflictuelles dès le départ ; la situation ne s’améliorera guère par la suite, de graves affrontements opposant jusqu’à aujourd’hui les partisans et les adversaires de l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie. Les quelque 260.000 habitants de la Nouvelle-Calédonie présentent une moyenne d’âge nettement inférieure à celle de la France métropolitaine : un tiers d’entre eux a moins de 20 ans. Cette population se répartit en deux composantes principales : les autochtones descendant des Mélanésiens, appelés Kanaks (40 %), et les Européens (30 %). Ces derniers peuvent être d’immigration ancienne – ils sont alors appelés «Caldoches» – ou récente. Cette diversité ethnique explique la situation linguistique de la Nouvelle-Calédonie : le français y est langue officielle, mais il coexiste avec une trentaine de langues mélanésiennes. Postscriptum 2 Le nom masculin bagayou est issu d’une de ces langues mélanésiennes, le iaai, qui a fourni la base baga «homme» (Christine Pauleau, Le français de Nouvelle-Calédonie, 1995). Le sens originel («étui pénien») fait référence, non à un palliatif pour l’incontinence urinaire, mais à une protection portée naguère par des groupes ethniques en Afrique, en Amérique du Sud et en Océanie, devenue aujourd’hui une parure dans certaines cérémonies folkloriques. Le rapport entre l’étui pénien et l’attribut viril est de l’ordre de la métonymie : le passage du contenant au contenu. Comme lorsque vous vous régalez d’une boîte de haricots… qui est évidemment le «contenu d’une boîte de haricots». Quant à l’évolution qui mène de l’attribut viril à celui qui en est porteur, elle relève de la synecdoque : la partie pour le tout. Comme cette fine gâchette qui en vient à désigner un «fin tireur». Enfin, le rapport entre la dénomination du membre viril et le pote qui en est pourvu ne surprendra personne. Surtout depuis un certain «Salut, ma couille !» prêté à Gérard Depardieu par les Guignols de l’Info. On retrouve ce procédé dans d’autres langues. Notamment en wallon, où l’on interpelle volontiers un «camarade» par l’apostrophe : «Hê ! mi coye !» La boucle est bouclée avec cet emploi récent du mot, signalé par la Base de données lexicographiques panfrancophone : une firme calédonienne commercialise, sous le nom de bagayou, une marque de… préservatifs ! Forum Vous connaissez d’autres mots savoureux du français de Nouvelle-Calédonie ? N’hésitez pas à les diffuser sur ce site. La semaine prochaine… Je vous emmène au Cameroun, à la découverte du makalapati.

Votre compte

Le bagayou, une affaire d’homme

Découvrez la suite, 1€ pour 1 mois (sans engagement)

Avec cette offre, profitez de :

Le fil info

0 Commentaire

Aussi en Vous avez de ces mots...

Chronique «Vous avez de ces mots»: L’{anglicisation} du français: la lose des élites?

Chronique «Vous avez de ces mots»: L’{anglicisation} du français: honi soit qui mal y pense

Chronique «Vous avez de ces mots»: Le {todibonisme} du {je-m’en-foutiste}

Chronique Vous avez de ces mots: les langues se cachent-elles pour mourir?

Chronique «Vous avez de ces mots»: Espèces d’{anacoluthes}

Allez au-delà de l'actualité

À la Une

Bouchez et Nollet ne veulent pas la peau de la Vivaldi

Variole du singe en Belgique: les propos rassurants de Frank Vandenbroucke

Risques, contagion, traitement… tout ce qu’il faut savoir sur la variole du singe

France: le nouveau ministre Damien Abad accusé de viols

La belle mobilisation des amis et proches de Natacha, disparue au Pérou (photos)

Décodage Comment la Russie continue d’acheminer son pétrole dans le monde entier

« Nos collaborateurs sont des empereurs, les clients sont rois »

6 Belges sur 10 sont de plus en plus sensibles à la politique climatique de leur emploi

« Nous donnons de la valeur aux idées et encourageons à les transformer en projets concrets »

Les sections du site

Les services

Groupe Rossel