Crise de l’accueil: l’incroyable leçon de dignité des laissés-pour-compte du Petit Château
Il existe d’autres manières d’aborder la problématique des demandeurs d’asile, fait valoir l’avocate Marie Doutrepont en fustigeant la politique mise en place par le gouvernement De Croo.

La semaine passée, j’ai rencontré un nouveau client. Il portait une veste propre et bien ajustée et m’a apporté une orchidée. Il m’a présenté une série de documents, soigneusement rangés dans des chemises en plastique.
La semaine passée, j’ai aussi revu un autre client, lors d’une réunion. Nous étions trop nombreux pour les chaises prévues. Il a insisté à plusieurs reprises pour me céder sa place ; j’ai fini par me ranger à ses instances et il est resté debout. Au terme de la réunion, il m’a proposé de porter mon sac.
Ces deux clients sont des hommes afghans demandeurs d’asile et je suis leur avocate. Ils dorment tous deux à la rue depuis plus de cinq mois.
J’aurais pu dire d’eux, aussi, qu’ils ont froid, qu’ils ne mangent pas à leur faim, qu’ils souffrent de maladies infectieuses qui peuvent aisément être prévenues par une hygiène correcte, que lorsqu’ils souhaitent prendre une douche, ils doivent marcher un kilomètre et demi jusqu’aux bains de Bruxelles et faire la file pour recevoir un jeton. Que leurs visages sont marqués par le manque de sommeil et l’angoisse. Qu’ils semblent dix ans de plus que leurs âges.
Pourtant, ce qui m’a frappée, ce qui m’a émue aux larmes, ce que je voudrais dire d’eux, c’est cette magnifique dignité qui les habite. Au milieu de la déchéance à laquelle les condamne notre gouvernement, ils tiennent, avant tout, à rester des hommes. A se présenter lavés et habillés de frais à leurs rendez-vous, à se montrer attentifs aux autres. Courtois. Avenants.
En contrepoint de cette attitude, il y a nos politiciens et nos politiciennes. Un bourgmestre qui pousse des cris d’orfraie parce qu’on ose héberger quelques-uns de ces hommes dans un lit en Flandre plutôt que de les laisser dormir à la rue à Bruxelles. Une secrétaire d’Etat qui piétine ses promesses d’offrir un hébergement à tous les résidents de la rue des Palais, qui ont attendu en vain pendant 48 heures dans le froid, lors de l’évacuation du squat, qu’elle les honore. Un gouvernement qui n’a pas pris la moindre mesure, par la suite, pour soulager leur détresse, ne fût-ce qu’en leur distribuant une couverture ou une tasse de café. Et qui ose exposer qu’il relogera en priorité les demandeurs d’asile hébergés à l’hôtel à Ruisbroeck plutôt que ceux qu’il a abandonnés sans un mot d’explication sur le pont devant le Petit Château. L’humanité la plus essentielle ne tient manifestement pas face à la crainte de la N-VA.
Il y a six ans, je suis partie comme avocate bénévole à Moria, un camp de transit pour migrants situé sur l’île de Lesbos, en Grèce. J’en suis revenue hébétée, abasourdie de ce que la politique européenne fait subir à ces femmes, ces hommes et ces enfants qui viennent demander chez nous asile et protection. Incrédule, surtout, qu’il soit possible, en Europe, d’organiser, de manière institutionnelle, tant de violation des droits fondamentaux de tant d’autres êtres humains.
Depuis plusieurs mois, j’ai souvent, à Bruxelles, des impressions de Moria.
Comme à Moria, j’ai souvent pleuré, ces derniers mois, de désespoir et d’impuissance. De devoir raccompagner à la porte de mon cabinet des hommes qui n’ont nulle part que la rue où aller et demandent s’ils peuvent passer la nuit dans ma salle d’attente. De n’avoir rien à répondre à leurs messages désespérés, me suppliant de leur trouver une place dans un centre. Rien à opposer aux photos de leurs jambes et de leurs bras couverts de plaies causées par la gale. D’incompréhension, aussi. Comment nos décideurs et nos décideuses, hommes et femmes comme nous, peuvent-ils et elles laisser subsister une telle situation pendant autant de mois, et embrasser leurs enfants le soir, et se regarder dans le miroir le matin ?
Comme à Moria, je reçois cependant aussi une incroyable leçon de vie, de ces hommes qui balaient tous les jours le trottoir devant leurs tentes, ramassent les ordures qui s’y accumulent, font trois kilomètres à pied pour aller se laver. Offrent des chaises et des orchidées. S’organisent pour venir en aide aux plus fragiles d’entre eux, pour limiter les conflits, pour s’entraider. Pour travailler : mes deux clients (comme tous les autres) m’ont demandé instamment de les y aider (ce qui est impossible actuellement : faute d’avoir une adresse, ils n’ont pas accès à la carte de séjour temporaire, à laquelle ils ont pourtant droit, et qui leur permettrait de travailler).
Mais aussi de toutes celles et tous ceux qui, comme moi, n’en croient pas leurs oreilles et leurs yeux. Qui se sont mobilisés en quelques heures pour rassembler des sacs de couchage et des tentes pour que les abandonnés de la rue des Palais ne dorment pas directement sur le trottoir. Qui leur distribuent chaque jour à manger, pour qu’ils ne meurent pas de faim, qui ont été dormir avec eux à plusieurs reprises déjà, pour qu’ils ne crèvent pas de désespoir. Des journalistes qui se démènent pour couvrir cette incroyable tragédie qui se déroule au cœur de notre capitale européenne, qui devrait déjà avoir fait tomber ce gouvernement cent fois, et qui se retrouve trop souvent reléguée dans les dernières pages du journal ou qui se délite dans des discussions politiciennes oiseuses.
Mme De Moor, M. De Croo, nous vous avions déjà invités à venir visiter la rue des Palais. Vous n’aviez pas souhaité donner suite à cette proposition. Nous vous invitons à venir passer une nuit – une seule ! – au milieu de ces hommes que vous abandonnez à la rue depuis des mois. Rassurez-vous, vous serez bien reçus, nous vous fournirons une tente confortable et un bon sac de couchage. Et, j’en suis sûre, vous aurez sûrement une chaise pour vous asseoir. Vous recevrez peut-être même des fleurs.
*Avocate au Barreau de Bruxelles, elle a rejoint Progress Lawyers Network en 2014. Elle pratique surtout en droit des étrangers, en droit pénal et en droit civil en général.
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Posté par Monnier Philip, jeudi 23 février 2023, 22:25
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Posté par D L, samedi 25 février 2023, 18:54
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Posté par collin liliane, vendredi 24 février 2023, 10:18
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Posté par Raurif Michel, jeudi 23 février 2023, 14:01
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Posté par collin liliane, jeudi 23 février 2023, 0:02
Plus de commentairesVous confondez tout. Une personne qui a déposé une demande d'asile doit bénéficier d'une aide minimale le temps que sa demande soit traitée. Aide minimale = hébergement dans un centre Fedasil, nourriture et soins médicaux. C'est exactement ce qui est prévu par la loi belge et les conventions internationales.
Tout à fait d'accord cet article 3 de la Convention des Droits de l'Homme doit être revu et des centres fermés de transit avec logement simple, nourriture saine et soins médicaux doivent être mis en place entre le moment de la demande et la décision sans droit de sortir de l'enceinte du centre fermé. En cas d'OQT, il doit être exécuté avec tact, mais fermeté.
C'est bien pour cela qu'il faut changer la loi.
Nous n’avons aucune, mais alors aucune OBLIGATION envers les sans papiers d’aide ni aucune OBLIGATION de droit envers eux. Ils ont justes le droit de se taire et d’obéir aux Lois du Peuples belge, c’est-à-dire quitter le pays le plus rapidement possible !! Si la Belgique était un peu moins large financièrement envers eux, ils y en auraient beaucoup , beaucoup moins !! Pour les étrangers tout, pour les belges rien !!
Ce qu'il faut impérativement, c'est modifier les lois découlant de la Convention de Genève sur les réfugiés devenue totalement obsolète et qui, en l'état, nous contraint juridiquement à accepter tous les Afghans, les Syriens, les Erythréens, etc, etc ... . qui en feraient la demande. Il n'y a pas trop peu de places, il y a beaucoup trop de demandeurs.