Pour une identité et une fédération européenne
Le parlement européen qui sera formé après les élections de 2024 devra se mettre en ordre de marche pour établir une Constitution fondée sur les principes de la souveraineté partagée, de la primauté du droit européen et d’une démocratie supranationale européenne.

Le soutien à une nouvelle structure politique européenne est faible. Pourtant, l’évolution interne de l’Union avec 27 États membres et des élargissements envisagés ainsi que la situation géopolitique tendue (cf. Russie sur le plan militaire mais aussi Chine et États-Unis d’un point de vue industriel et commercial) exigent un système politique européen novateur, voir disruptif afin d’assurer d’un côté la légitimité démocratique et de l’autre l’efficacité de l’ensemble européen.
La structure institutionnelle européenne est fondée sur l’équilibre entre grands et petits États, entre pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, entre compétences exclusives de l’Union, partagées et nationales. Si le statu quo permet de « survivre », ce système ne permet pas de prendre des initiatives européennes d’envergure ou de répondre rapidement aux situations de crise. Bref, à l’ère de la globalisation, des réseaux sociaux omniprésents et du règne de l’immédiateté, la gouvernance de l’UE demande un sérieux aggiornamento afin de mieux répondre à l’intérêt général européen tout en préservant la « glorieuse individualité » des États membres, pour paraphraser Victor Hugo.
Si les citoyens de l’Union se plaignent souvent des lenteurs, de la bureaucratie, de la technicité et des compromis européens, les solutions viennent certainement plus souvent d’une plus grande intégration européenne que d’un retour à une malsaine nostalgie nationale. Le cas du Royaume-Uni post Brexit est là pour le démontrer.
Exploiter le thème de l’identité non exclusive
Les Fédéralistes européens sont convaincus qu’il faut un nouveau récit européen enthousiasmant qui doit, afin de rassembler la jeunesse européenne, dépasser aujourd’hui la « paix » et « l’unité dans la diversité ». Si tous les peuples des 27 ne sont pas prêts à avancer, il faut lancer une avant-garde, un vivier fertile d’États membres qui souhaitent avancer dans l’intégration et l’approfondissement européen, par exemple partir avec les six États membres fondateurs ou avec les Vingt membres de la zone euro.
Un thème aussi porteur que délicat pour relancer nouvel élan d’engouement européen pourrait être celui de l’identité. Différente de la nationalité (lien avec un État et un territoire) et de la citoyenneté (participation active des individus dans la société), l’identité se réfère à une prise de conscience de soi, à une idée d’appartenance, à des traits caractéristiques.
Amartya Sen (Identity and Violence) et Amin Maalouf (Les identités meurtrières) ont justement relevé les dangers de l’identité qui serait enfermée dans une seule appartenance, une attitude égocentrique, sectaire, intolérante ; une identité exclusive qui diviserait le monde entre « nous » et « les autres ».
En Europe, trop souvent les différences prévalent sur les points communs. Après plus de 70 ans d’histoire communautaire, essayons de mettre en exergue quelques domaines sur lesquels repose l’identité européenne :
L’héritage grec, romain, chrétien et celui des Lumières. Selon le poète Paul Valéry, « partout où les noms d’Aristote, de Platon et d’Euclide, partout où les noms de César, de Gaius, de Trajan et de Virgile, partout où les noms de Moïse et de Saint Paul, ont eu une signification et une autorité simultanées, là est l’Europe ». Selon l’humaniste et fédéraliste européen Denis de Rougemont, « notre civilisation européenne est celle du dialogue, des débats, des contestations ».
Pour le diplomate Salvador de Madariaga, la liberté de la pensée et le respect de la personne humaine sont consubstantiels de l’Europe : « L’Europe cesse d’exister là où l’on enfreint l’un ou l’autre » écrivait-il.
L’ancien ministre polonais des Affaires étrangères et député européen, Bronislaw Geremek, aimait rappeler que « la solidarité sociale est une des valeurs fondamentales de l’Union européenne ».
« Le commerce, c’est l’exportation de nos normes sociales et environnementales, et de nos normes en matière de protection des données ou de sécurité alimentaire » aimait évoquer Jean-Claude Juncker, l’ancien président de la Commission européenne.
Selon le précurseur italien de la pensée complexe, Giambattista Vico, « l’art et la science sont les plus hautes expressions de l’esprit humain ». Et José Ortega y Gasset, auteur de la Rébellion des Masses rappelait que si nous faisions le bilan de notre contenu mental – les opinions, les normes, les désirs et les présomptions – nous noterions que la plus grande partie de cela ne vient pas au Français de sa France, ni à l’Espagnol de son Espagne mais du « fonds commun européen ».
Une conscience collective forgée dans un substrat commun
Si aujourd’hui nous accordons une valeur particulière à la vie humaine (pas de peine de mort), à la paix (entre tous les États du monde), à la résolution pacifique des conflits (par le droit et l’arbitrage), à la prise en compte des biens publics comme l’eau ou l’air, c’est parce que nous avons forgé notre conscience collective dans ce substrat commun.
L’état de droit, la démocratie, la séparation des pouvoirs, le respect des minorités, le droit des consommateurs, la citoyenneté européenne, la libre circulation sont le fruit de cet équilibre entre les différents aspects de notre appartenance commune.
Cette identité européenne se définit plus par la juxtaposition (et-et) de nos histoires que par le remplacement ou l’exclusion (ou-ou). L’identité européenne est multiple et difficile à cerner. Mais ces différents aspects définissent notre appartenance, notre Europe-continent, notre Europe-construction, notre Europe-civilisation, notre Europe-espoir et notre Europe-avenir.
Afin de mettre en avant cette identité européenne, les Fédéralistes demandent que le prochain Parlement européen issu des élections de mai 2024 s’autoproclame « constituant » et qu’il élabore une Constitution fondée sur les principes de la souveraineté partagée, de la primauté du droit européen et d’une démocratie supranationale européenne. Seulement de cette façon pourra éclore une opinion publique et une identité européenne.
*Cosignataires : Michele Ciavarini Azzi, Paul Frix, Nezka Figelj, Jean Marsia, François Mennerat, Pier Virgilio Dastoli, Christian Gossiaux, Eric Verhoestraete et Giorgio Clarotti.
Pour poster un commentaire, merci de vous abonner.
S'abonnerQuelques règles de bonne conduite avant de réagir2 Commentaires
Allez au diable
"Identité multiple", un oxymore.