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La mondialisation a bel et bien contribué à réduire la pauvreté dans le monde

Réplique à la chronique économique de notre journaliste Dominique Berns, parue sur notre site le 20 février.

Carte blanche - Temps de lecture: 5 min

Dans sa chronique économique parue sur le site du Soir le 20 février dernier, Dominique Berns interroge les conséquences de l’augmentation du commerce international au cours de ces trente dernières années. Sa chronique s’intitule «<UN>La mondialisation a-t-elle réduit la pauvreté dans le monde ?<UN>». Sa chronique argumente que la diminution de pauvreté observée sur la période dépend fortement du seuil de pauvreté choisi, qu’elle ne reflète pas une tendance générale mais plutôt une évolution propre à la Chine, et ce faisant, jette le doute sur l’impact que la mondialisation a pu avoir sur la pauvreté dans le monde. Dans les paragraphes qui suivent, j’explique que si sa chronique présente fidèlement quelques statistiques clefs sur l’évolution de la pauvreté mondiale, ses interprétations sont hautement discutables et ses conclusions ne tiennent pas.

La Banque Mondiale mesure la pauvreté sur base du seuil extrême fixé à 2,15 dollars par jour et par personne. Ce montant est exprimé en dollars constants de 2017 et le pouvoir d’achat qui définit ce seuil est maintenu fixe à travers les années et les pays. Clairement, il s’agit d’un seuil très frugal. Ce seuil n’en reste pas moins pertinent dans le sens où la Banque Mondiale estime que, en 2019, près de 650 millions de personnes à travers le monde vivent encore avec moins que 2.15 dollars (1). Cela dit, il y a trente ans, en 1990, c’était le cas de près de 2 milliards d’individus. Autrement dit, le nombre de personnes sous le seuil de pauvreté extrême a été divisé par trois sur la période. C’est un progrès très conséquent.

Un progrès indéniable

La chronique de Dominique Berns remet en doute la réalité de ce progrès, en argumentant que ce progrès disparaît lorsqu’on change le seuil utilisé. Il fait remarquer que le seuil extrême ne correspond pas une conception raisonnable d’une vie digne, ce en quoi il n’a pas tort s’il fait référence aux conceptions en cours dans les pays riches. Selon la Banque Mondiale, un seuil de pauvreté typique des pays riches est de 20 dollars par jour par personne. Observant que le nombre de personnes vivant sous ce seuil de 20 dollars a augmenté au cours des trente dernières années, Dominique Berns conclut que la pauvreté mondiale n’a pas vraiment diminué. Cette conclusion est problématique. En effet, cette augmentation du nombre de personne vivant avec moins que 20 dollars reflète l’augmentation de la population mondiale et non pas une diminution des revenus autour de ce seuil de 20 dollars. En effet, la fraction de la population mondiale vivant sous ce seuil a diminué de 83 % en 1990 à 77 % en 2019. Une manière plus convaincante d’illustrer ce progrès consiste à considérer l’écart moyen entre le seuil de 20 dollars et le revenu des gens. Pour un individu vivant avec 5 dollars, cet écart est de 15 dollars. Pour un individu vivant avec plus de 20 dollars, cet écart est nul par définition. En 1990, l’écart moyen au seuil de 20 dollars était estimé à 14 dollars. En 2019, cet écart moyen est tombé à 10 dollars. On le voit, un véritable progrès a été réalisé, même lorsqu’on utilise un seuil reflétant une conception de la pauvreté en cours dans les pays riches.

De manière plus générale, quel que soit le seuil utilisé, on constatera une diminution de la pauvreté mondiale ces trente dernières années. La raison est que, sur la période, les revenus à tous les percentiles de la distribution mondiale ont augmenté (2).

Une croissance des revenus favorable aux pauvres

Contrairement à ce que la chronique laisse entendre, ce ne sont pas seulement les revenus dans les pays riches ou les revenus des élites des pays en développement qui ont augmenté. De manière intéressante, la croissance des revenus a même été favorable aux pauvres dans le sens où elle a été particulièrement forte dans le bas de la distribution mondiale, comme illustré par la courbe « en éléphant » de croissance des revenus mise en lumière par les chercheurs Christoph Lakner et Branko Milanovic (3). Au passage, notons que si la Chine fait partie des pays ayant réalisé les plus grands progrès en termes de réduction de la pauvreté, la conclusion ne change pas si on refaisait l’exercice en excluant la Chine. En fait, la pauvreté a diminué dans toutes les régions du monde, même en Afrique subsaharienne.

Il y a un large consensus sur le fait que la mondialisation a contribué à réduire la pauvreté dans le monde ces dernières décennies, en particulier la pauvreté extrême (4). La Chine est un des pays qui a le plus bénéficié de la mondialisation. En effet, la diminution des barrières au commerce international lui a permis de se développer en écoulant ses produits sur des marchés en dehors de Chine. Mais la Chine n’est pas une exception dans le sens où une longue liste d’autres pays ont aussi vu leurs revenus augmenter avec la mondialisation, bien que, souvent, dans une moindre mesure que la Chine. Cela dit, tous les individus n’ont pas profité de la même manière de la mondialisation. En particulier, la délocalisation de certaines industries vers des pays en développement a pu contribuer à la stagnation des revenus des travailleurs peu qualifiés vivant dans certains pays riches, comme par exemple aux Etats-Unis. Comme le pointe très justement Dominique Berns, les gouvernements de ces pays doivent trouver des solutions afin que ces travailleurs ne soient pas les victimes collatérales de ce qui par ailleurs constitue un indéniable progrès au niveau mondial.

(1) Source : World Bank (2023), Poverty and Inequality Platform.

(2) World Bank. (2022). Poverty and Shared Prosperity 2020 : Reversal of Fortune. The World Bank.

(3) Lakner, Christoph and Branko Milanovic (2013), « Global income distribution : from the fall of thecBerlin Wall to the Great Recession », World Bank Policy Research Working Paper No. 6719, December.

(4) Bergh, A., & Nilsson, T. (2014). « Is globalization reducing absolute poverty ? », World Development, 62, 42-61.

 

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1 Commentaire

  • Posté par Nemo Schmidt, jeudi 9 mars 2023, 23:05

    Mwouia! 20$ pour les riches c'est vraiment pas grand chose ! 2.5$ où que cela soit , c'est terrifiant , criminel . Benoit Decerf cite de nombreux chiffres qui sont très incomplets pour mesurer le recul de la pauvreté car ils ne mettent pas en parallèle les inflations , les dégradations environnementales , la dégradation climatique , les crises alimentaires , l'accès à l’eau potable et tous ces paramètres négatifs qui au total n'ont pas réussi , globalement , à faire reculer la pauvreté . Si ton revenu augmente mais que les charges augmentent plus et plus vite , tu n'est pas moins pauvre , au contraire . Benoit Decerf , un économiste toxique amoureux des chiffres mais aveugle à l'humain ?

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