Les espèces exotiques envahissantes sur une liste noire

Elles sont 37. Et désormais sur une liste noire. La Commission européenne vient de publier la première liste d’espèces exotiques envahissantes dont l’impact sur l’environnement est jugé inacceptable. On y trouve des espèces encore inconnues en Belgique comme l’ibis sacré, le goujon de l’Amour, l’écureuil fauve. Mais la liste comprend 21 espèces déjà bien implantées dans contrées comme l’écureuil de Corée, la grenouille taureau ou le raton laveur. Onze, estiment les experts, pourraient débarquer chez nous comme le frelon asiatique ou l’écureuil gris. Objectif de cette liste : atténuer les effets néfastes des espèces concernées et éventuellement les prévenir pour celles qui ne sont pas encore apparues dans les pays Européens. Restriction : pour figurer dans le lot, une espèce doit être exotique à l’ensemble de l’Europe et se « naturaliser » dans plusieurs pays. Et étrangement la liste ne concerne que des animaux ou des plantes qui ont un impact négatif important sur l’environnement ; pas sur la santé humaine. Ainsi, explique Etienne Branquart, expert à la Région wallonne et auteur d’un livre qui vient de paraître sur le sujet, « l’ambroisie à feuilles d’armoise qui cause des problèmes d’allergies ou le moustique tigre vecteur potentiel du virus du Zika ou du Chikungunya, ne sont pas concernés ». « Reste que la liste en question est un premier pas, insiste-t-il. Elle est dynamique et sera révisée chaque année. Le règlement sur lequel elle se base sera lui-même réétudié régulièrement ». Des ajouts sont déjà prévus pour la fin 2016. On y trouvera sans doute la berce du Caucase et le rat musqué. Le homard américain, le chien viverrin ? L’inscription du premier déplaît à l’ambassade du Canada ; celle du second mobilise déjà les éleveurs à fourrure. La balsamine de l’Himalaya, la renouée du Japon ? Elles occupent déjà la quasi-totalité de leur aire de distribution potentielle. Elles ne devraient pas aller plus loin. Des mesures supplémentaires ne changeraient rien. Pour gagner le droit de figurer parmi les bannis, chaque espèce doit avoir fait l’objet d’une analyse de risque. Une fois la liste publiée, il est interdit d’importer, de vendre, de détenir, d’élever, d’introduire dans la nature les espèces concernées. Les Etats européens doivent surveiller et contrôler les populations déjà implantées chez eux, voire en éradiquer certaines. Que reproche-t-on à ces écrevisses de Louisiane, fausses camomilles, jussies à grandes fleurs, ragondins et autre érismature rousse ? En s’implantant chez nous, souvent après avoir été introduites par l’homme de manière volontaire ou non, elles concurrencent les espèces indigènes. Les espèces exotiques envahissantes profitent des perturbations des milieux qui déséquilibrent la chaîne alimentaire. Par exemple les retombées d’azote de l’industrie et de l’agriculture ou la disparition de certains prédateurs. Les nouvelles venues sont plus agressives, plus costaudes, plus voraces. Résultat : « Dans les années qui ont suivi l’installation de coccinelle asiatique, on a par exemple assisté à l’effondrement des coccinelles indigènes, indique Branquart. La coccinelle à deux points quasiment disparu ». Et si elles ne sont pas concurrentes, les exotiques sont parfois porteuses « saines » de maladies qui s’avèrent dévastatrices pour leurs cousines européennes. Ainsi, l’écureuil roux a quasiment disparu d’Angleterre après l’apparition de l’écureuil gris venu d’Amérique porteur du poxvirus. C’est aussi le cas de la grenouille taureau qui transporte un champignon pathogène redoutable pour les autres espèces de batraciens. Que faire ? Inutile de rêver d’éradiquer une espèce, sauf si l’on peut agir dès qu’elle a mis la première patte ou racine chez nous. Généralement, quand elles sont repérées, il est trop tard. On peut cependant contrôler les populations. Et surtout, insiste Branquart, « au-delà de l’action de lutte, il faut renforcer la résistance des écosystèmes. On peut rétablir les équilibres de la chaîne alimentaire en diminuant la pollution ». Il faut, dit l’expert, « renaturer les processus de production ». Que ce soit en sylviculture, en agriculture (agroécologie et agroforesterie) afin d’augmenter la résistance de ces milieux aux invasions biologiques. On sait ainsi que les épicéas sont beaucoup plus vulnérables aux dommages de scolytes lorsqu’ils sont plantés en peuplements « purs ». Il y a aussi des coups de chance. Une espèce exotique s’avère être le prédateur d’une autre déjà installée : dans la Meuse le gobie arrivé du Danube apprécie la moule zébrée. Ou des coups intelligents : l’introduction de poissons carnivores indigènes dans des étangs en Flandre a permis de limiter les populations de grenouille taureau. Certains étudient enfin la possibilité d’importer chez nous les prédateurs naturels des espèces exotiques, une pratique courante en Afrique du Sud, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Au Cabi, à Délémont (Suisse) on a identifié un charançon (coléoptère) qui consomme l’azolla, une plante aquatique envahissante, et un psylle (insecte) permettant de combattre la renouée du Japon. Combattre un exotique envahissant par un autre ? Pour l’instant l’Europe reste prudente. Mais l’idée fait son chemin. Trois espèces 1 Jussie à grandes fleurs Cette plante aquatique a été introduite dans nos bassins pour la beauté de ses fleurs. Mais la belle s’est échappée et a commencé à coloniser l’environnement depuis le milieu XIXe siècle. Ceux qui l’ont importée vers 1830 avaient oublié de prendre avec elle l’insecte herbivore qui aurait pu réguler la plante. Depuis, elle s’est répandue, étouffant toute concurrence, modifiant la qualité de l’eau, comblant les mares, les pièces d’eau faiblement courant, les zones marécageuses et les prairies humides où elle s’est implantée. 2 Frelon asiatique Il n’a pas encore pointé le bout de ses antennes chez nous, mais les apiculteurs le redoutent. Introduit accidentellement dans le sud-ouest de la France, il est descendu vers le Portugal et l’Espagne et remonte irrésistiblement vers le Nord. Il y a quelques mois on a cru l’apercevoir dans le Hainaut. Le frelon n’est pas dangereux pour l’homme (même s’il peut attaquer lorsqu’on s’approche du nid), mais attaque les abeilles domestiques qu’il guette à la sortie de la ruche, affaiblissant ainsi les colonies d’abeilles. 3 Ecrevisse de Louisiane Importée pour la première fois en Europe au début des années 70, pour l’aquariophilie ou pour servir de nourriture aux poissons, l’écrevisse de Louisiane est une costaude : elle supporte aussi bien la chaleur que le gel. On a la trouve dans les canaux, les étangs et les lacs peu profonds. Elle est porteuse saine de la peste de l’écrevisse, une maladie qui décime littéralement les populations indigènes. Elle fouille le fond de l’eau et en accroît la turbidité. En creusant de profonds terriers, elle menace la stabilité des berges et des digues. En chiffres 1.500 Près de 1.500 nuisibles Environ 12.000 espèces exotiques ont été observées dans l’Union européenne. De 10 à 15 % d’entre elles sont considérées comme envahissantes et susceptibles d’occasionner des dommages à l’environnement (perte de biodiversité), à la santé humaine (maladies, allergies…) et à l’économie (pertes de récoltes, dégâts aux infrastructures…) 1 Et un accord de coopération, un ! Une fois la liste des exotique envahissante publiée, les Etats européens doivent se doter d’un plan d’action. La Belgique est concernée. Les compétences étant partagées (contrôles aux frontières, interdiction d’importation, transport, pêche, jardineries…), l’élaboration du plan passera par la conclusion d’un accord de coopération entre le fédéral et les Régions avec « des objectifs coordonnés » et un rapportage commun au niveau européen. L’environnement n’est pas un domaine dans lequel nos entités brillent par la qualité de leur entente, mais on assure que l’accord est « finalisé sur le plan technique ».

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