Souviens-toi l’été dernier: le 13 juillet 2010, Roman Polanski est un homme libre

Le principe de notre série estivale « Souviens-toi l’été dernier » (dont le titre est emprunté au film d’horreur de Jim Gillepsie, sorti en 1997 sous le titre « I Know What You Did Last Summer ») : chaque jour, à partir de ce vendredi 8 juillet, on se replonge dans l’actualité de l’année précédente, selon un schéma tout simple. Un jour de plus, une année en moins. Ou plus on avance dans l’été, plus on recule dans le temps. Depuis ce lundi 13 juillet, Roman Polanski est à nouveau un homme libre. La Suisse n’extradera finalement pas le cinéaste franco-polonais aux Etats-Unis, a annoncé lundi Eveline Widmer-Schlumpf. La ministre suisse de la Justice a ainsi refermé un dossier qui aura duré près de dix mois et qui a valu à la Suisse les protestations des autorités françaises, mais un soutien certain au sein de l’opinion publique. L’examen du dossier n’a pas permis de lever tous les doutes sur la régularité de la demande américaine d’extradition, a justifié la cheffe du Département fédéral de justice et police (DFJP). Au-delà, les règles de la bonne foi, qui font également partie du droit international, imposent à la Suisse de prendre en considération le fait que Roman Polanski a séjourné régulièrement et au su de tous dans son chalet de Gstaad sans que les Etats-Unis ne réclament son arrestation. Il ne se serait pas rendu en Suisse, en septembre dernier, s’il avait pu craindre d’y être interpellé. Le refus de l’extradition est irrévocable, les Etats-Unis ne disposant d’aucun moyen de recours. Poursuivi à Los Angeles pour des actes sexuels commis sur une mineure de 13 ans en 1977, il avait été arrêté à la demande des Etats-Unis lors de sa venue à Zurich, le 26 septembre 2009, alors qu’il se rendait à une invitation du Festival du film de la ville. « Il ne s’agissait pas d’apprécier les faits reprochés à Roman Polanski ni de se prononcer sur sa culpabilité ou son innocence, mais uniquement de statuer sur son extradition », a pris la précaution de souligner la ministre. Eveline Widmer-Schlumpf a informé ses collègues lundi d’une décision qu’elle a prise seule, a-t-elle ajouté, précisant qu’elle avait toujours refusé d’établir un lien entre trois dossiers sensibles dans les relations entre la Suisse et les Etats-Unis : l’accueil des détenus de Guantanamo, l’affaire UBS, qui s’est terminée avec l’approbation de l’accord par les Chambres le mois dernier, et l’affaire Polanski. La ministre a également annoncé la nouvelle aux ambassadeurs américain, français et polonais. Le premier a regretté la décision mais a manifesté de la compréhension pour les raisons qui l’ont dictée, selon la responsable du DFJP. Pas une surprise totale La décision n’est pas une surprise totale. Plusieurs éléments laissaient penser ces derniers temps qu’Eveline Widmer-Schlumpf cherchait une porte de sortie – à commencer par la longueur inexpliquée de la procédure, mais aussi l’engagement tout à fait inhabituel de la ministre de la Justice dans un dossier qui relève d’ordinaire du seul Office fédéral de la justice. Il fait peu de doutes pour les observateurs que la cheffe du département n’était pas sur la même longueur d’ondes que ses services, du moins dans la phase finale, et que si elle n’était pas intervenue dans le dossier – ce que la loi lui permet de faire –, la décision aurait pu être très différente. Eveline Widmer-Schlumpf, qui a cherché d’abord, mais en vain, l’appui du Conseil fédéral avant d’assumer seule la décision, a manifestement pesé de tout son poids sur l’issue de la procédure. Pour justifier une conclusion qui, juridiquement, était loin d’aller de soi, elle a mis en avant le fait que le dossier ne permettait pas d’exclure que la demande d’extradition était affectée d’un vice grave, précisant que les renseignements demandés aux autorités américaines n’avaient pas permis de lever tous les doutes à ce sujet. C’est ainsi que le Département américain de la justice a refusé, le 13 juin, de communiquer à la Suisse le procès-verbal d’une audition sous serment du procureur en poste à l’époque des faits à Los Angeles, Roger Gunson. Selon les avocats de Roman Polanski, cette déclaration démontrait clairement qu’un accord avait été passé à l’époque entre l’accusation et la défense – ce que le droit américain autorise –, et que les 47 jours passés par le cinéaste en détention représentaient la totalité de la peine à purger. « On ne saurait exclure avec toute la certitude voulue que Roman Polanski ait déjà exécuté la peine prononcée autrefois à son encontre et que la demande d’extradition souffre d’un vice grave », a expliqué Eveline Widmer-Schlumpf, précisant que pour elle, cet aspect avait immédiatement été déterminant. Sur ce point, les déclarations de la ministre contredisent les affirmations fournies au printemps par l’Office fédéral de la justice lui-même. Son porte-parole déclarait ainsi que le document en question n’était pas pertinent pour l’issue de la procédure d’extradition, celle-ci devant être tranchée en fonction des faits tels qu’ils sont présentés dans la demande, sans qu’il incombe à la Suisse de procéder à des investigations. Des artistes pour et des artistes contre Dès l’arrestation de Roman Polanski, fin septembre 2009, les réactions fusent de toutes parts. De grands noms du cinéma réclament sa remise en liberté immédiate. En France, la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) dénonce «un traquenard policier» et lance une pétition. Parmi les premiers signataires figurent notamment Costa-Gavras, Wong Kar-wai, Fanny Ardant, Ettore Scola, Marco Bellocchio, Giuseppe Tornatore, Monica Bellucci, Abderrahmane Sissako, Tony Gatlif, Pierre Jolivet, Jean-Jacques Beineix, Paolo Sorrentino, Michele Placido, Barbet Schroeder, Gilles Jacob et Bertrand Tavernier. Une centaine d’artistes et intellectuels parmi lesquels Alain Tanner et Ursula Meier signent également une pétition lancée en Suisse romande francophone. L’actrice américaine Debra Winger, présidente du jury du Festival de Zurich, où se rendait Polanski quand il a été arrêté, a affiché son soutien au cinéaste. Face à cette levée de boucliers des personnalités du cinéma du monde entier, Luc Besson prend le contre-pied : « J’ai beaucoup d’affection pour Polanski. C’est un homme que je connais un petit peu. Mais il y a une justice, c’est la même pour tout le monde. Je n’y connais rien dans cette affaire mais je pense que, quand on ne se présente pas à un procès, on se met en faute. » A la veille du Festival de Cannes, Bernard-Henri Lévy lance une nouvelle pétition de soutien au cinéaste franco-polonais via son site officiel « La règle du jeu ». Cette initiative menée par le philosophe trouve de solides partenaires parmi des cinéastes en sélection officielle tels Jean-Luc Godard, Mathieu Amalric, Olivier Assayas, Agnès Varda ou encore Bertrand Tavernier et amène « l’affaire » sur la Croisette. Mais l’accueil n’est pas celui escompté. « Il y a le cinéaste et le citoyen. Le cinéaste est un immense cinéaste. Il y a le citoyen. Personne n’est à l’abri des lois», déclarera le président du Festival, Gilles Jacob. Polanski divise Cannes. Tim Burton, président du jury, botte en touche avec un « Je suis pour la liberté d’expression » quand on lui demande s’il soutient Polanski. Michael Douglas, qui refuse de signer la pétition, déclare à RTL : « Je crois que ce ne serait pas juste pour moi en tant qu’Américain de signer une pétition pour quelqu’un qui a violé la loi…» De son côté, Woody Allen estime que « toute cette histoire est idiote, ça ne rime à rien, c’est arrivé il y a de nombreuses années, il en a souffert (…) Il a passé du temps en prison, pas beaucoup mais quand même. Il a payé son dû.» En conférence de presse de Hors-la-loi, Jamel Debbouze, lui, ose la plaisanterie bien lourde : « Moi aussi, j’ai été violé par Roman Polanski quand j’avais 16 ans. Pour plus d’informations, voyez avec mon avocat, Momo Debbouze. » Suite de notre série demain, le 14 jullet 2009...

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