Accueil Opinions Cartes blanches

Réduire l’impôt sur le travail en augmentant la TVA: une idée bien meilleure qu’elle en a l’air

Le Ministre des Finances propose de financer la baisse de la fiscalité sur le travail notamment par une révision des taux réduits de l’ordre d’un milliard d’euros.

Carte blanche - Temps de lecture: 5 min

La Belgique figure parmi les pays européens qui taxent relativement peu la consommation alors qu’elle est championne en matière de fiscalité sur le travail. La mesure semble donc s’imposer d’elle-même. Elle n’en est pas moins audacieuse alors que nous sortons d’une période de très forte inflation et que le pouvoir d’achat des consommateurs a été fragilisé. Il n’est dès lors pas surprenant que des critiques aient été émises à l’égard de cette mesure – particulièrement du côté francophone – laissant sous-entendre qu’il s’agissait d’une mesure « anti-sociale ».

Même si elles ne sont pas surprenantes, ces critiques se basent sur une mauvaise compréhension du fonctionnement de la TVA et traduisent une conception de la politique économique héritée d’une époque révolue.De nombreuses études ont démontré que les taux réduits de TVA ne sont pas des instruments adéquats pour faciliter l’accès à des biens et des services dits « de première nécessité ». Comme le rappelait récemment l’économiste Gert Peersman dans le Standaard, une baisse des taux de TVA profite en grande partie aux producteurs, non pas aux consommateurs. Inversement, une augmentation des taux ne se répercute pas intégralement dans les prix, mais est partiellement absorbée dans la marge bénéficiaire des entreprises. De plus, les taux réduits de TVA profitent davantage aux ménages aisés, plus gros consommateurs, ce qui peut être vu comme un gaspillage de ressources.

Par ailleurs, privilégier la consommation sur le travail en s’opposant à la réforme reflète un modèle économique hérité du siècle passé, où le rôle de l’État n’est pas de contribuer à la création d’emplois nombreux et de qualité, mais de faciliter l’achat de biens et de services à bas prix. Dans ce modèle, la réalisation personnelle était supposée passer par la possibilité de consommer toujours plus durant ses heures de loisirs plutôt que par l’accomplissement d’une activité contribuant au bien-être commun.

Si l’augmentation de la productivité et la robotisation progressive ont pu faire rêver d’une société libérée du travail, celle-ci apparaît aujourd’hui comme une illusion. La robotisation ne fait pas disparaître les emplois, mais les transforme. La lutte contre le dérèglement climatique et le contexte géopolitique provoquent un enchérissement de l’énergie et appellent une relocalisation au moins partielle de l’industrie et une transformation des modes de production synonyme d’une plus grande intensité en main-d’œuvre, notamment dans la production alimentaire. Le travail humain est d’ailleurs la première énergie renouvelable. Le vieillissement de la population signifie une réduction de la proportion des personnes en âge de travailler au sein de la population, mais aussi une explosion de la demande de soins et de services aux personnes. Le défi n’est plus de partager les derniers emplois disponibles, mais de trouver les travailleurs nécessaires pour rencontrer les besoins et attentes de la société, en particulier dans des métiers orientés vers les services aux personnes plutôt que la production de biens de consommation.

De nombreux secteurs cruciaux sont d’ores et déjà en pénurie. Un professeur absent n’est que rarement remplacé. Des lits doivent être fermés dans les hôpitaux faute de personnel soignant en suffisance. Le secteur du bâtiment ne parvient plus à recruter. Ce sont pourtant des activités à haute valeur sociétale et dont l’importance ne fera que croître dans les prochaines années. Comment former nos enfants à la société du numérique et de la connaissance si l’école est l’arrêt ? Comment assurer une vie de qualité à nos aînés si les hôpitaux ferment ? Comment isoler nos logements si les ouvriers manquent ? Autant hier consommer signifiait faire tourner l’économie et nourrir la croissance, autant désormais consommer veut dire importer et augmenter son empreinte écologique. Notre fiscalité doit dès lors inciter à adopter une consommation plus sobre et plus responsable et favoriser les différentes formes de contributions au bien-être commun et à l’amélioration de la qualité de vie de chacun, notamment en diminuant les pièges à l’emploi et en améliorant la formation et l’employabilité dans des métiers utiles pour la société.

De ce point de vue, la réforme fiscale proposée va dans le bon sens mais demeure insuffisante. Un shift fiscal du travail vers la consommation pourrait être d’une bien plus grande ampleur. Taxer la consommation à un niveau similaire à la Suède permettrait en effet de réduire de près de 10 milliards supplémentaires la taxation du travail, tout en restant loin des pays ayant les taux de TVA les plus élevés, tandis que la hausse des prix éventuelle serait compensée pour les citoyens par une hausse de leurs revenus nets. Une hausse de la quotité exonérée pourrait en effet se substituer à une indexation de manière avantageuse pour les revenus modestes puisque le gain serait identique pour chacun plutôt que proportionnel aux revenus. Aller plus loin dans cette direction demanderait toutefois de prévoir des mesures d’accompagnement – déjà manquantes dans la réforme sur la table du gouvernement – pour les personnes dont les revenus sont inférieurs au montant exonéré, comme une hausse des allocations ou une transformation en crédits d’impôts des réductions d’impôts pour personnes à charge. De plus, une baisse de la fiscalité sur le travail permettrait alors de faire davantage reposer le financement de l’Etat et de la sécurité sociale sur les importations et les biens matériels tout en favorisant la production plus locale et l’accessibilité des services aux personnes. Cela améliorerait la compétitivité de notre économie et contribuerait à une conception du développement centrée sur l’amélioration de la qualité de vie plutôt que de la quantité de biens consommés.

 

À lire aussi Et si on nommait un climatologue administrateur public de BNP Paribas? À lire aussi Un appel contre les arrêts de la Cour constitutionnelle? Une vraie mauvaise idée

Le fil info

La Une Tous

Voir tout le Fil info

9 Commentaires

  • Posté par Deroubaix Jean-Claude, lundi 27 mars 2023, 0:59

    "en améliorant la formation et l’employabilité dans des métiers utiles pour la société." Supprimons dès lors les emplois qui n'apportent rien à la société que des justifications à l'appauvrissement dus travailleurs : envoyons nos "amis économistes et professeurs à l'université" goûter un aux pièges à l'emploi. Nous nous porterons mieux, vraiment. Et on bourrera moins le crâne de nos enfants petits enfants.

  • Posté par collet Josée, dimanche 26 mars 2023, 10:59

    Excellente idée mais devant s accompagner d une baisse des dépenses notamment d un assistanat qui n a pas lieu d exister surtout a Bruxelles ou tant d emploi sont en pénurie et ou on paye des gens qui ne sont pas candidats à un emploi soit parce que ce sont des femmes qui préfèrent élever leurs enfants soit parce qu il y a travail au noir soit parce qu ils ne vivent pas sur le territoire. J en connais et ce n est pas anecdotique. La solution n est pas dans la perpétuelle augmentation de la taxation

  • Posté par collet Josée, dimanche 26 mars 2023, 10:59

    Excellente idée mais devant s accompagner d une baisse des dépenses notamment d un assistanat qui n a pas lieu d exister surtout a Bruxelles ou tant d emploi sont en pénurie et ou on paye des gens qui ne sont pas candidats à un emploi soit parce que ce sont des femmes qui préfèrent élever leurs enfants soit parce qu il y a travail au noir soit parce qu ils ne vivent pas sur le territoire. J en connais et ce n est pas anecdotique. La solution n est pas dans la perpétuelle augmentation de la taxation

  • Posté par Krier Serge, samedi 25 mars 2023, 11:00

    Cela améliorait surtout le chiffre d'affaire des grandes surfaces étrangères qui se feront un plaisir d'accueillir les belges et qu'est-ce qu il m'empêcherait par exemple de réserver un voyage dans une agence de voyage française?

  • Posté par Moritz Montanez, samedi 25 mars 2023, 19:39

    La TVA applicable est celle du pays de l'acheteur. Il suffit de passer une commande sur Amazon France ou Allemagne pour en faire la (douloureuse) expérience.

Plus de commentaires

Aussi en Cartes blanches

Le prix humain de la surpêche en Gambie

Depuis près d’une dizaine d’années, les acteurs de la pêche se sont multipliés en Gambie, notamment au large du village de Sanyang. Ce foisonnement entraîne des conséquences lourdes pour des habitants des villages de pêcheurs. Une situation qui contribue également à un épuisement des ressources marines, sans que l’Etat n’agisse en conséquence.
Voir plus d'articles

Le meilleur de l’actu

Inscrivez-vous aux newsletters

Je m'inscris

À la Une