Carta Academica – Reconnaissance du bouddhisme: Où en est-on concrètement d’un point de vue juridique?
Tous les samedis, « Le Soir » publie la chronique d’un ou plusieurs membres de Carta Academica. Cette semaine : Mi-mars 2023, la plupart des quotidiens annonçaient l’adoption par le Conseil des ministres d’un avant-projet de reconnaissance du bouddhisme. L’occasion de clarifier la situation d’un point de vue juridique et de revenir sur le parcours de cette philosophie qui demande sa reconnaissance depuis plusieurs années déjà, ainsi que sur l’impact d’une telle reconnaissance et sur les difficultés que pose actuellement la procédure de reconnaissance des cultes en Belgique.

Les points de vue exprimés dans les chroniques de Carta Academica sont ceux de leur(s) auteur(s) et/ou autrice(s) ; ils n’engagent en rien les membres de Carta Academica, qui, entre eux d’ailleurs, ne pensent pas forcément la même chose. En parrainant la publication de ces chroniques, Carta Academica considère qu’elles contribuent à des débats sociétaux utiles. Des chroniques pourraient dès lors être publiées en réponse à d’autres. Carta Academica veille essentiellement à ce que les chroniques éditées reposent sur une démarche scientifique.
Par Stéphanie Wattier, professeure à la Faculté de droit de l’Université de Namur et directrice adjointe du Centre Vulnérabilités et Sociétés
L’adoption d’un avant-projet de loi est, certes, une étape importante. Pour rendre la reconnaissance effective, il faut toutefois que le texte devienne une loi, c’est-à-dire qu’il soit voté par la majorité des députés à la Chambre des représentants. Rappelons à cet égard que ce n’est pas la première fois que le bouddhisme est aux portes de la reconnaissance en Belgique.
C’est en 1961 que la première demande de reconnaissance a été introduite par les bouddhistes. À l’époque, la reconnaissance leur a été refusée en raison de leur trop petit nombre d’adhérents. Avec le temps, le nombre de bouddhistes s’est accru et une nouvelle demande de reconnaissance a été introduite le 20 mars 2006, soit il y a 17 ans presque jour pour jour. À l’époque, la demande de reconnaissance n’a pas été purement et simplement acceptée ou refusée, mais le Gouvernement fédéral a, à partir de 2008, attribué chaque année un crédit de fonctionnement à l’Union bouddhique belge aux fins de sa structuration. Les choses ont semblé s’accélérer lorsque Koen Geens était ministre de la Justice. En effet, un avant-projet de loi a été rédigé en juillet 2018 et envoyé aux Régions pour avis. Beaucoup attendaient donc une reconnaissance avant les élections fédérales de 2019. Entre-temps, en décembre 2018, le Gouvernement Michel a démissionné, est tombé en affaires courantes et le dossier du bouddhisme a été reporté sine die. Après les élections de mai 2019 et une longue période de négociations en vue de la formation du Gouvernement, l’Accord de Gouvernement De Croo adopté en septembre 2020 a indiqué que « [le] gouvernement, en concertation avec les entités fédérées, reconnaîtra l’Union bouddhiste belge comme une organisation qui fournit une assistance morale dans une perspective philosophique non confessionnelle »[1]. L’avant-projet sur la table serait-il cette fois « le bon » ? Rappelons aussi qu’avant le vote par la Chambre, le texte doit impérativement passer par la section de législation du Conseil d’État pour qu’elle en examine la constitutionnalité. Même si son avis est non contraignant, peut-être aura-t-elle des remarques à formuler qui emporteront le souhait de revoir le texte, et occasionneront dès lors encore un report ou, à tout le moins, un allongement du processus de reconnaissance.
Une deuxième organisation philosophique non confessionnelle reconnue ?
La particularité de la demande de reconnaissance de l’Union bouddhique belge réside dans le fait qu’elle souhaite être reconnue comme organisation philosophique non confessionnelle, au même titre que la laïcité organisée, et non pas comme un culte. À cet égard, notons que la question de savoir si le bouddhisme se définit en tant que religion ou philosophie varie d’un pays à l’autre et qu’une telle définition relève de l’appréciation de la religion ou de la philosophie elle-même en vertu du principe de l’autonomie organisationnelle. En Belgique, l’Union bouddhique estime constituer une « spiritualité non théiste »[2].
L’impact de la reconnaissance
Si l’Union bouddhique belge est reconnue, cela emportera une série de conséquences, notamment du point de vue du financement public. En effet, l’article 181, § 1er, de la Constitution prévoit que le financement des traitements et pensions des ministres des cultes est à la charge de l’État et l’article 181, § 2, met identiquement à sa charge le financement des traitements et pensions des délégués des organisations philosophiques non confessionnelles. Outre le financement public des « délégués bouddhistes », la reconnaissance aura, en principe, pour conséquence l’organisation, au sein des écoles de l’enseignement officiel, de cours de bouddhisme. En principe car le libellé de l’article 24, § 1er, al. 4, de la Constitution pose question en ce qu’il dispose que « [l]es écoles organisées par les pouvoirs publics offrent, jusqu’à la fin de l’obligation scolaire, le choix entre l’enseignement d’une des religions reconnues et celui de la morale non confessionnelle ». Cette dernière périphrase, qui vise les cours de morale se rattachant à la laïcité organisée, pourrait-elle s’appliquer à l’Union bouddhique qui dispenserait alors des cours de « morale non confessionnelle bouddhique » ? Des clarifications juridiques semblent nécessaires sur ce point et la section de législation du Conseil d’État risque d’attirer l’attention sur ce sujet.
Le régime de reconnaissance est discriminatoire
Actuellement, six cultes et une organisation philosophique non confessionnelle sont reconnus et financés en Belgique. Il s’agit des cultes catholique, protestant, israélite, anglican, musulman et orthodoxe ainsi que de la laïcité organisée. Les sept ont été reconnus par le biais d’une loi fédérale, et ce, même si la procédure et les critères de reconnaissance ne sont inscrits dans aucun instrument juridique contraignant. Les reconnaissances ont toujours été le fruit d’une sorte de « pratique administrative » assez informelle entre le SPF Justice et les cultes et organisations non confessionnelles. C’est d’ailleurs cette absence de formalisme qui explique en partie la lenteur du processus de reconnaissance du bouddhisme. Il n’y a, par exemple, aucun délai dans lequel le culte ou la philosophie doit se voir notifier de réponse à sa demande de reconnaissance, ni aucun critère clairement défini à remplir, même si certaines réponses à des questions parlementaires donnent de premières pistes à ce sujet [3].
Cette manière de procéder a d’ailleurs été récemment – le 5 avril 2022 – condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, qui estime que le système belge de reconnaissance est discriminatoire en ce que « la procédure relative à la reconnaissance des cultes n’est pas davantage encadrée par un texte, qu’il soit législatif ou même réglementaire », qu’il en résulte un « risque d’arbitraire », un manque de « garanties minimales d’équité » et d’« appréciation objective » des demandes de reconnaissance [4].
Indépendamment de la question de la reconnaissance du bouddhisme, il découle de cette condamnation que la réforme du régime de reconnaissance – et donc de financement – des cultes et des organisations philosophiques non confessionnelles pourrait (devrait ?) être placée à l’agenda du prochain gouvernement fédéral qui sera formé à l’issue des élections de mai 2024.
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[1] Accord de gouvernement 30 septembre 2020, p. 76.
[2] A.R. du 20 novembre 2008 portant réglementation relative à l’octroi de subsides à l’association sans but lucratif « Union Bouddhique belge », M.B., 5 décembre 2008.
[3] Pour davantage de développements, voy. : S. Wattier, Le financement public des cultes et des organisations philosophiques non confessionnelles. Analyse de constitutionnalité et de conventionnalité, Bruxelles, Bruylant, 2016, 990 p.
[4] Cour eur. D.H., arrêt Témoins de Jéhovah d’Anderlecht et autres c. Belgique du 5 avril 2022.
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