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L’athénée de Koekelberg a donné rendez-vous à Bruel

Le chanteur français a passé plus de deux heures avec les élèves bruxellois. Une rencontre autour de la musique, de la lecture mais aussi du harcèlement scolaire.

Reportage - Temps de lecture: 5 min

Il est tout pile 15 h et l’excitation est à son comble. Mais Patrick Bruel est un poil en retard. Des élèves : « Elle est où, sa limousine ? Il est sûrement venu à vélo. » Un prof : « Il est coincé dans le tunnel Anny Cordy. »

Dans l’escalier principal de l’athénée royal de Koekelberg, les mômes sont sur leur 31. Leur bouquin préféré dans une main, c’est l’un des thèmes du jour et, dans l’autre, les paroles de Qui a le droit. Un des tubes du chanteur français repris à l’unisson par les 300 étudiants présents ce jeudi après-midi. De quoi visiblement toucher l’artiste. « Qui ne serait pas touché ? C’est juste bouleversant », reconnaît-il. Une star de passage dans l’établissement à l’initiative de l’association « Une étoile un destin » qui lutte contre le décrochage et l’échec scolaires (lire plus bas).

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Invité à rejoindre la salle de gym transformée pour l’occasion en plateau télé dans une version alliant chansons et débats avec les élèves. Durant plus de deux heures, Patrick Bruel va ainsi se prêter au jeu de l’écoute et du dialogue avec les  kets de Bruxelles. Mais pourquoi cette visite ? « Je parcours quelques écoles en France depuis quelques semaines, j’avais envie de prolonger cela ici », explique l’intéressé qui signe sur son dernier album une chanson intitulée L’instit en hommage à sa mère. Et à la profession. « Tout est parti de là, je mets en avant le rôle de l’instituteur et l’importance du livre. Ce qui me permet de partir à la rencontre d’enseignants mais aussi d’élèves pour discuter de leur rapport à l’enseignement et à la lecture. » Avec beaucoup de plaisir à la clé. « C’est très enrichissant et surprenant de voir à quel point il existe une appétence pour la lecture et l’apprentissage. Tout cela dépend bien sûr de la force de transmission des instituteurs et des institutrices qui doivent être motivés et donc valorisés. Ils sont les premières clés pour permettre à nos enfants d’entrer dans la société. »

Tell me. Par et pour les élèves 

Une société pas toujours tendre avec eux et ce, parfois même au sein de l’école. Un des principaux thèmes que les jeunes avaient décidé d’aborder est d’ailleurs celui du harcèlement scolaire contre lequel l’athénée s’organise via le programme « Tell me » mis en place à l’initiative d’un ancien élève, Junior : « Mon petit-cousin, qui est issu d’une famille dont tous les autres enfants sont autistes, a été victime de harcèlement à l’école. » Plutôt que d’aller régler le problème à coups de poing, Junior choisit une autre voie. « J’ai préféré essayer de comprendre pourquoi ce gars avait fait cela pour le raisonner et mettre des mots sur ce qui pouvait être un mal-être intérieur. On ne devient pas harceleur par choix, il y a souvent un problème derrière. »

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En 2020, avec l’aide de ses profs, Junior va mettre en place une cellule d’écoute qui compte aujourd’hui une dizaine de représentants. « On écoute tout le monde peu importe le problème, qu’il s’agisse de difficultés scolaires ou de soucis familiaux, mais le harcèlement est vraiment un gros problème à l’école surtout avec les réseaux sociaux. Si un enfant n’a pas les plus belles chaussures, on va se moquer de lui et aujourd’hui, tout va très vite. Tous les enfants n’ont pas la possibilité de parler de leurs problèmes avec leurs parents ou leurs professeurs qui n’ont pas forcément conscience de la situation. Ce projet est donc très important pour leur permettre de s’exprimer et je me réjouis qu’il se poursuive. » Et le coordinateur actuel d’ajouter : « Cette cellule a été créée par les élèves pour écouter les élèves. On a suivi des formations de médiation et nous avons reçu des outils pour nous entraîner et être au top. »

De quoi encore interpeller Patrick Bruel qui évoque notamment le cyber-harcèlement dans la chanson Maux d’enfants ou, plus récemment avec Louise dénonçant le jeu du foulard. « Vous avez raison de ne pas avoir peur de parler du harcèlement. Ce qui me touche, c’est votre manière d’être solidaires, de vous soutenir les uns les autres. Vous faites au mieux pour vous serrer les coudes et c’est très fort de voir cela, bravo. Une école qui ouvre sa porte et son cœur ouvre aussi la possibilité du vivre ensemble. »

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La prévention de la violence et du harcèlement scolaire figure parmi les priorités de l’établissement. « L’idée est qu’un enfant qui est bien dans son école apprend beaucoup mieux », pointe Claudine Snaps, la préfète de l’athénée. « La cellule Tell me est née durant le covid, avec cette question : “Notre vie, qui l’entend ?” Cela permet une vraie libération de la parole. Les élèves ont non seulement appris à être à l’écoute, mais aussi à relayer les problèmes vers les adultes. Aujourd’hui, beaucoup osent me parler, ce qui n’était pas le cas avant. » Même travail au niveau de la lecture. « Nous avons une population dont le français n’est pas toujours parlé à la maison, nous mettons donc un focus sur la lecture, de la maternelle à la rhéto. »

Au sortir de cette rencontre, la préfète ne cache pas son émotion. « Je suis tellement contente pour les enfants. J’étais tétanisée, mais tous les sourires que j’ai vus autour de moi me donnent un formidable entrain pour la suite. C’est re-boostant pour les enseignants. »

 

Décrochage scolaire: «Il faut stopper l’hémorragie»

Journaliste service Bruxelles Temps de lecture: 3 min

Expert en prévention contre le décrochage scolaire et social depuis plus de vingt ans, le Bruxellois Nader Rekik répond à nos questions.

Quel constat dressez-vous aujourd’hui quant au décrochage scolaire ?

On avait l’habitude d’avoir des jeunes de 14, 15, 16 ou 17 ans qui décrochaient par démotivation, manque de confiance en soi ou d’intérêt pour l’école mais aujourd’hui on se retrouve avec des enfants qui décrochent et il faut stopper cette hémorragie. Pas un jour sans qu’un papa, une maman ou le secteur associatif ne nous sollicitent pour raccrocher les gamins de 8/10 ans ou des ados à l’école.

Pourquoi ?

Les causes sont multiples. Au niveau générationnel, il y a des petits frères et sœurs qui nous disent que leurs aînés ont fait l’école voire l’université et pourtant ils sont chauffeurs Uber ou sans emploi. L’accès à l’emploi pour beaucoup est très difficile. Les problèmes liés à la discrimination sont là et il faut pouvoir les entendre. Par ailleurs, certains, particulièrement chez les plus petits, sont en décrochage car ils sont dans un écosystème dans lequel les enfants sont très violents les uns à l’égard des autres. Le harcèlement scolaire n’est pas un mythe. Pour un gamin parce qu’il est trop gros, qu’il n’a pas la bonne paire de chaussures ou parce qu’il est en minorité dans son école, la violence des mots est telle qu’il y a un mal-être qui se traduit souvent par un “maman, papa, j’ai mal au ventre je ne veux pas aller à l’école”. La plupart des jeunes en décrochage sont aussi très actifs sur les réseaux sociaux et particulièrement via les jeux vidéo. Beaucoup ont des avatars. Dans le monde virtuel, ils incarnent des héros ou des chefs de guerre. Ils sont quelqu’un dans un lieu où ils peuvent cartonner alors que, dans la vie de tous les jours, ils sont sous-estimés et sous-valorisés. Si, à côté de cela, l’école ou un parent lui jette en pleine figure un mauvais bulletin en lui disant qu’il est un âne, ça ne va pas.

Quelles seraient les pistes de solution ?

Beaucoup, parce qu’ils ne sont pas bons en maths ou en néerlandais se voient bloquer le passage à l’année supérieure ou réorientés. Mais ce n’est pas parce qu’on est nul en maths qu’on ne peut pas devenir un excellent réalisateur, prof ou journaliste. Il faut arrêter de faire un focus sur ce qu’ils ne savent pas faire mais axer sur ce qu’ils savent et aiment faire. On sent une volonté des autorités scolaires d’aller vers plus d’inclusion et une égalité d’accès à la réussite pour tous. C’est une bonne chose mais cela doit être structuré et généralisé. On n’est pas enseignant par hasard et on peut faire confiance aux équipes éducatives mais il faut les alléger de tous ces processus administratifs chronophages et énergivores. Qu’on les laisse faire preuve de créativité pour accrocher leurs élèves. Les parents doivent aussi être au cœur du processus, c’est essentiel. Il faut arrêter d’être des parents démissionnaires. Nous bossons au carrefour des quartiers populaires, à Molenbeek, la Ville ou Anderlecht et lorsque nous recevons les mamans et les papas, ils sont parfois démunis ou en manque d’information mais pas démissionnaires. Lorsqu’ils sont inclus dans nos programmes, cela fonctionne !

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