Le salut des survivants aux descendants des «Justes»

Il y a une semaine à peine, personne n’aurait pu imaginer que le château de Beloeil figurait à l’avant-plan de l’actualité israélienne. C’est pourtant ce qui s’est passé mercredi lorsque le président de l’Etat hébreu a reçu dans sa résidence les nombreux descendants du prince Eugène de Ligne et de la princesse Philippine qui ont, pendant la Deuxième Guerre mondiale, sauvé au moins quarante-quatre enfants juifs des griffes des nazis. Après la guerre, Eugène de Ligne a poursuivi une longue carrière d’ambassadeur de Belgique en Inde et en Espagne. Mais l’un des titres dont il était le plus fier était sans conteste celui de « Juste parmi les nations » qui lui fut décerné ainsi qu’à son épouse en 1975 par Yad Vashem, l’institut créé à Jérusalem en 1953 pour perpétuer la mémoire de l’Holocauste. Mercredi, l’arrivée d’une quarantaine de membres de la famille de Ligne venus de plusieurs pays d’Europe était d’autant plus émouvante que plusieurs des enfants cachés dans le domaine de Beloeil les y attendaient. Avec la larme à l’œil, pour certains. « Votre grand-père m’a sauvé la vie. Je dois tout à vos grands-parents ! », s’est exclamé Ephraïm Alkishen (80 ans) en empoignant le prince Michel de Ligne pour l’embrasser et lui donner une accolade soutenue. « Depuis la guerre, il n’y a pas un jour où je ne pense pas à vos grands-parents. Je déborde de gratitude envers eux », a-t-il lâché avec une voix étranglée par l’émotion. A côté d’eux, l’ambassadeur de Belgique, qui a eu besoin de plusieurs mois pour organiser cette réunion, a aussi les yeux rouges. Figure du monde ultraorthodoxe de Jérusalem, Alkishen est l’un des piliers de la « yeshiva » (école talmudique) de Mir, la plus importante d’Israël et du monde avec huit mille élèves à Jérusalem. Mais en 1943-44, il n’était qu’un gamin de sept ans apeuré par la guerre et caché sous la fausse identité de « François Damien ». « Dans l’état où vous me voyez aujourd’hui, cela peut sembler étrange – il porte la redingote noire des « haredim » (craignant Dieu) et une longue barbe blanche – mais à Beloeil, j’ai eu droit à un faux certificat de baptême. J’ai même fait ma communion mais c’était bidon », raconte-t-il. « Dans mes rêves, je revois parfois le prince Eugène descendre de ses appartements pour manger la soupe avec nous dans l’orangerie transformée en réfectoire. Son calme nous impressionnait et nous rassurait. » Pendant l’occupation nazie, tout un système clandestin s’était mis en place pour cacher des enfants. Outre les réseaux de résistance et l’Association des juifs en Belgique (AJB), une organisation créée en 1941 sur ordre des nazis, ainsi que le Comité de défense des juifs (CDJ) animé par les sympathisants communistes Yvonne et Hertz Jospa. A Beloeil, le prince et la princesse de Ligne accueillaient les protégés de ces organisations sans poser de question. Ils les intégraient dans les centaines de pupilles de la Fondation Léopold III créée au début de la guerre pour aider les enfants défavorisés. Certains de ceux qui devaient être cachés ont d’ailleurs parfois tourné entre les différents centres animés par la fondation afin de brouiller les pistes. « Le secret devait être absolu. A Beloeil, seules trois personnes étaient au courant », raconte Antoine Lamoral de Ligne. « Aujourd’hui, des chercheurs et des historiens nous demandent souvent des photos de l’époque ainsi que celles des enfants cachés, mais nous n’en avons pas. Pourquoi ? Parce qu’il fallait qu’ils se fondent dans la masse, qu’ils n’apparaissent nulle part. » La plupart des jeunes Juifs « planqués » à Beloeil gardaient vaille que vaille un contact avec leurs parents. Du moins, avec ceux qui n’avaient pas été déportés. Certains ont émigré en Israël quelques mois à peine après la création de ce pays en 1948. C’est le cas d’Abraham Kapotka, un petit Bruxellois d’origine polonaise protégé par la famille de Ligne sous le nom de « Jean Collet ». « Au début, c’était difficile au domaine. Vous savez, pour un gamin, c’est dur de se retrouver dans un milieu inconnu avec une nouvelle identité en craignant de ne plus revoir ses parents », dit-il. « Mais aujourd’hui, je ne garde que de bons souvenirs de Beloeil. J’étais nourri, logé, et j’y ai poursuivi des études. Je me sentais protégé malgré les descentes effectuées par les nazis qui obligeaient le personnel à cacher certains d’entre nous dans des planques spécialement aménagées. Septante ans plus tard, je ne trouve toujours pas les mots pour remercier nos sauveurs. » Cette reconnaissance n’est pas feinte. Outre la rencontre avec le président Rivlin, les descendants d’Eugène et de Philippine de Ligne ont été reçus à Yad Vashem avec les honneurs. Un arbre du souvenir a également été planté en présence du grand rabbin de Bruxelles Albert Guigui dans la forêt des Belges, l’un des poumons verts de Jérusalem. En cette journée du 13 juillet particulièrement chargé en actualité, les informations de Kol Israël, la radio publique de l’Etat hébreu, ont consacré une large place à l’événement en soulignant que « ce qui s’est passé à Beloeil était un rayon de lumière dans la nuit noire ».

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