Des fleurs du bien, pour sourire cet été

Une journée sans rire est une journée perdue, dirait-on pour paraphraser la sentence plus sérieuse de Titus. D’abord parce qu’il est le plus souvent convivial : on rit ensemble, et ça fait du bien. Ensuite parce qu’il permet un pas de côté, une distance prise vis-à-vis des autres et du réel, un recul sur ce qu’on vit et qui n’est pas toujours franchement drôle. « Le rire est un acquiescement à la vie », dit Franck Médioni dans Le goût de l’humour. Et c’est donc une défense contre le malheur, contre la mort. « L’humour est une arme défensive et le rire est souvent le signe d’une tristesse qui ne dit pas son nom », dit encore Médioni. « L’humour est la politesse du désespoir », c’est Georges Duhamel, le créateur de la Série noire, qui l’aurait dit. Et Pierre Desproges d’ajouter : « Ça fait moins mal quand on a ri. » Jean-Loup Chiflet, anthologiste du Bouquin de l’humour, surenchérit : « L’humour est une politesse contre la vulgarité du réel, une bulle de savon face à la crasse qui nous souille, un sourire pour des dysfonctionnements, un refus de subir le destin, et une affirmation de penser, voir, sentir autrement. » L’humour libère de la pesanteur, du réel. « C’est l’arme blanche des hommes désarmés », lançait Romain Gary. C’est le principe même de l’humour juif. « Il n’y a pas d’humour heureux, écrivait Eugène Ionesco. En fin de compte, l’humoriste est un moraliste amer, un pessimiste qui supporte la désolation avec gaîté. » Roboratif Et puis, le rire est le propre de l’homme, pour en revenir à Rabelais. Il n’y a pas de comique en dehors de ce qui est proprement humain, disait Henri Bergson, le philosophe qui a étudié ce phénomène. Ainsi, un paysage n’est jamais risible. Et un animal n’est risible que lorsque l’on surprend chez lui une attitude ou une expression humaine. Quoi qu’il en soit, sans jouer les Freud, l’humour est roboratif. Il donne confiance, il donne envie de continuer malgré tout, de noyer dans le rire et les larmes les éventuelles vicissitudes du quotidien. Même si, c’est vrai, il se nourrit souvent du malheur des autres. Quoi de plus drôle que de voir un type qui va prendre son bain glisser sur le savon, ou le seau du laveur de vitre tomber sur un passant ? Tout le slapstick du cinéma muet repose sur ce principe. Et le rire surgit parce que ça ne nous arrive pas, à nous. En termes plus sophistiqués, c’est ce que dit Bergson : « Le comique naîtra, semble-t-il, quand des hommes réunis en groupe dirigeront tous leur attention sur un d’entre eux, faisant taire leur sensibilité et exerçant leur seule intelligence. » Parce que l’humour s’adresse d’abord au cerveau, évidemment. D’où les calembours, les mots d’esprit, les jeux de mots, les paradoxes, les oxymores, les contrepèteries, les situations qui émaillent les blagues, les maximes, les bonnes répliques à la Audiard. Même s’il ne faut pas exclure les blagues sexuelles et scatologiques qui ressortent d’une autre partie de notre individu. Il y en a plein dans les livres qu’on vous propose ici. Si ça ne vous fait pas nécessairement rire à gueule déployée, au moins ça vous fera sourire. Et c’est déjà une fenêtre ouverte sur le ciel, le soleil et les oiseaux qui chantent. Et une fenêtre fermée sur la laideur, la méchanceté et la mort. Comme dirait Alphonse Allais, le plus cynique sans doute des humoristes, « la mort est un manque de savoir-vivre ». « Judas, par exemple » « On peut rire de tout, disait Pierre Desproges. Mais pas avec n’importe qui. » N’hésitez en tout cas pas à le faire avec Alphonse Allais et Jean-Pierre Delaune, Nikolaas Sintobin et l’humour jésuite, Jean-Moundir et ses jeux de mots potaches mais amusants, Jean-Loup Chiflet et son amour de Marx (les frères), d’Alexandre Vialatte et de Woody Allen, avec Antoine de Baecque et les péteurs, les fruits des fendus de Patrick Boutin, les aphorismes pour l’autobus & le métro de François Bott, le florilège de Franck Médioni, les trous du cul du monde étranges et drolatiques de Tristan Savin, les savoureux sympas d’Alain Schifres et les sentences édifiantes d’Henri de Régnier et Bernard Quiriny. Des centaines de pages à s’amuser. Des fleurs du bien, comme dit Chiflet en opposition à Baudelaire, qui n’ont d’autre but que de vous faire sourire. Et réfléchir aussi. Parce que l’humour n’est jamais gratuit. « Marx est mort, Dieu est mort, et moi-même je ne me sens pas très bien », dit Woody Allen, ce qui est loin de n’être qu’une boutade. Et j’adore cet aphorisme de Paul Verlaine : « Il ne faut jamais juger les gens sur leurs fréquentations : Judas, par exemple, avait des amis irréprochables. » Amusez-vous. [scald=1691325:sdl_editor_representation] Le bouquin de l’humour ★★★ JEAN-LOUP CHIFLET, Robert Laffont Bouquins, 980 p., 29€ [scald=1691318:sdl_editor_representation] Le livre le plus drôle du monde (après celui de Valérie Trierweiler) ★ JEAN-MOUNDIR, Flammarion, 128 p., 9,9 € [scald=1691319:sdl_editor_representation] L’égoïste est celui qui ne pense pas à moi ★★★ HENRI DE RÉGNIER, GF, 184 p., 7 € [scald=1691322:sdl_editor_representation] Aphorismes pour l’autobus & le métro ★★★ FRANÇOIS BOTT, La petite vermillon, 176 p., 7,10 € [scald=1691328:sdl_editor_representation] Le goût de l’humour ★★Textes présentés par Franck Médioni, Mercure de France, 140 p., 8 € [scald=1691324:sdl_editor_representation] Le fruit des fendus ★★ PATRICK BOUTIN, Cactus, Inébranlable, 84 p., 7 € [scald=1691327:sdl_editor_representation] Le club des péteurs ★★, Édition établie par Antoine de Baecque, Payot, 216 p., 12 € [scald=1691323:sdl_editor_representation] Sympa ★★ ALAIN SCHIFRES, Le Dilettante, 176 p., 17 € [scald=1691321:sdl_editor_representation] On ne badine pas avec l’humour d’Allais ★★★ JEAN-PIERRE DELAUNE, Omnibus, 576 p., 21 €, ebook 14,99 € [scald=1691326:sdl_editor_representation] Moquez-vous des jésuites... ★ NIKOLAAS SINTOBIN, Editions Jésuites, 100 p., 11,50 € [scald=1691320:sdl_editor_representation] Les trous du cul du monde ★TRISTAN SAVIN, Arthaud, 240 p., 15 €, ebook 11,99 €

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