Les voisins de Mohamed Lahouaiej Bouhlel: «C’est qui ce type?»

Sur la sonnette, des bouts de feuilles découpées et scotchés à la hâte sont venus masquer les noms de certains résidents. Il ne fait pas bon voisiner le nom de Mohamed Lahouaiej Bouhlel. Depuis vendredi, les médias internationaux se relaient devant la dernière résidence du tueur au camion pour essayer de comprendre un profil hors-norme. Et faire de l’image. Désormais, une voiture de police est postée devant.« Vos collègues étaient un peu, hum, intrusifs. » Depuis, on se regarde en chien de faïence du trottoir aux balcons. Ambiance. L’immeuble, ça ne s’invente pas, fait face aux anciens Abattoirs « Chantier sang neuf » situés à l’est la ville. Ici, c’est le quartier Pasteur. Enfin, pas loin. Un petit bloc d’immeubles plus ou moins récents coincés entre une voie rapide et les trains. « Ce n’est pas un quartier, c’est une route », résume Houssain, un employé de la boucherie halal. Si les quelques commerces tournent, c’est parce que la voie est fréquentée et facile d’accès. Pas grâce aux gens d’ici. D’ailleurs, le visage photocopié diffusé par la presse ne parle à personne. Mohamed Lahouaiej Bouhlel ? « Il est peut-être venu ici, mais probablement pas souvent. » « Ma tante vit juste à côté, elle le croisait tous les jours, raconte Joyce 17 ans. Ça lui a fait un choc. Pour elle c’était quelqu’un de normal, pas agressif. Il volait bien des vélos pour les revendre à des jeunes mais bon, qui n’a pas fait ça ? » Elle se reprend. « Je veux dire : dans le coin ce n’est pas quelque chose d’extraordinaire. » Le quartier est sans histoire, estime un policier en civil, rien à voir avec les cités Bon-voyage et 328, situées un peu plus haut sur l’artère. C’est sur les terrains de foot de Bon-Voyage qu’œuvrait le recruteur islamiste niçois Omar Diaby, dont le nom semble apparaître dans l’entourage indirect de Mohamed Lahouaiej Bouhlel, selon Le Monde. « On pensait qu’on nous apprendrait qu’il venait d’un des quartiers chauds : Bon-voyage, Ariane, Moulins », explique Joyce. Là, ça ne colle pas. En fait, le Tunisien n’habitait le premier étage de cet immeuble jaune que depuis sa séparation avec femme, il y a environ un an et demi. « Pas vraiment d’ici » Mais dans la cité-dortoir de Nice-nord, où résident encore sa femme et ses trois jeunes enfants, l’annonce a étonné presque tout autant : « C’est qui ce type ? » Alors que les voisins de palier ont décrit un homme amateur de drogues et violent avec son épouse, hors d’une sphère assez restreinte, on n’arrive pas à se souvenir. « Nice-nord, c’est quelques barres d’immeuble, on connaît à peu près tout le monde », explique Mohamed, 27 ans. Le garçon a repris un petit local associatif aux pieds des tours, où il a monté un café/snack. « Je connais bien la belle-famille, des gens bien. Mais le type devait peu sortir de chez lui. » Le même constat revient chez les « historiques » du quartier : « Pas vraiment d’ici. » « Je l’ai croisé quelques fois, mais en Tunisie », note (un autre) Mohamed. Le trentenaire est originaire de Msaken comme Lahouaiej. « Son frère est un garçon adorable. » Le quartier, vu de la côte, a mauvaise réputation – « n’y allez surtout pas seule, c’est dangereux » – mais sur les hauteurs, au terminus du tram, à part un commerce de haschisch bien rodé (« comme dans toutes les cités »), rien à signaler. Les immeubles sont dans une sorte de cul-de-sac : aucune raison de venir, sauf à y habiter. « Alors les gens se font des idées », observe Tatiana, une petite fille à ses côtés, l’autre sur le dos. « Dans mon immeuble 80 % des gens sont propriétaire, ce n’est pas une cité HLM ou un repère d’assistés. » La puéricultrice habite depuis dix ans le quartier, mais difficile d’en parler : « honnêtement il n’y a pas grand-chose à y faire ». Les projecteurs se braquent désormais sur les tours. Et les échanges avec les journalistes ont vite créé des tensions. Ce 14 juillet, c’est la double peine. « Non seulement on n’a rien à voir avec ce gars mais beaucoup de familles sont en deuil ici », s’agace Casimir, 18 ans. Le jeune livreur habite juste en face de l’immeuble « Bretagne » où résidait Mohamed Lahouaiej Bouhlel. « Mes voisins ont perdu leur fils sur la Promenade. Sa sœur est dans le coma. Je suis allé voir les parents à l’hôpital : un des journalistes essayait de rentrer dans une chambre avec une caméra ! » Alternant révoltes sincères et blagues sur les journalistes, l’ado cherche la formule. Il trouve : « C’est pas Molenbèèk ici ! »

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