Flexibilité, salaires: Pieter Timmermans recale les projets de loi de Kris Peeters

Pieter Timmermans cite Giuseppe Tomasi di Lampedusa, auteur du Guépard, publié en 1958 et adapté au cinéma en 1963 par Luchino Visconti : « Il faut que tout change pour rien ne change. » Par là, l’administrateur délégué de la FEB (la Fédération des entreprises de Belgique) vise rien moins que des deux grands projets portés par Kris Peeters au sein du gouvernement fédéral, le premier ayant trait à la flexibilité du travail, le second à la révision de la loi de 1996 sur la formation des salaires en Belgique. [scald=1745225:sdl_editor_representation] Le patron des patrons est « déçu », et pas tendre pour le vice-Premier et ministre de l’Emploi chrétien-démocrate (CD&V). On résume en substance : de bonnes idées au départ, plus grand-chose à l’arrivée… Et c’est grave à l’entendre : « Si on suit les projets tels qu’ils sont rédigés aujourd’hui, les textes que nous venons de recevoir, cela aura des résultats négatifs sur l’économie et sur l’emploi. » Plus politique : « Cela ruinera les réformes et les efforts réalisés depuis deux ans, je pense par exemple au tax shift, et l’on verra les coûts salariaux, ainsi que le chômage, repartir à la hausse pour la fin de législature, en 2018 et 2019 ». Charles Michel est prévenu… Les préventions Quel est l’objet de ce courroux ? Pour ce qui concerne le projet de loi sur la flexibilité, Pieter Timmermans a « au moins » quatre préventions. 1 – « Vous savez qu’il est question d’annualisation de la durée du travail, donc de calculer à l’avenir la semaine de travail sur une base annuelle. C’est bien. Sauf que les textes du gouvernement prévoient une période de douze mois calendrier, de janvier à décembre, ce qui est absurde ! Il faut de la souplesse, et permettre aux entreprises de compter douze mois à partir de n’importe quel moment dans l’année, selon leurs besoins. Par exemple : certaines d’entre elles ont besoin de tourner davantage en été, moins en hiver, il est logique d’adapter la période de douze mois en fonction, je l’ai dit, de leurs besoins. » 2 – Le projet de loi veut accentuer la formation en entreprise, ce dont se réjouit Pieter Timmermans, sauf que : « Le “congé-éducation payé”, qui existe déjà et qui est un droit à la formation individuelle, ne sera pas pris en compte pour calculer les jours de formation que doit organiser une entreprise, ce qui n’est pas logique. Expliquez ça à un directeur en ressources humaines ! » 3 – « Kris Peeters veut rétablir le système du pointage dans les entreprises, alors qu’au même moment, son collègue Steven Vandeput, ministre de la Fonction publique, veut le supprimer pour les fonctionnaires. C’est incohérent ! » 4 – Le projet de loi organise le « télétravail occasionnel », un progrès là encore pour le patron de la FEB, mais seulement en apparence, car : « Dans le texte, on lit qu’employeurs et représentants des travailleurs doivent s’accorder sur “l’éventuelle accessibilité du travailleur pendant le télétravail occasionnel”… Nous disons : quoi, c’est travail ou vacances ? Pourquoi cette “éventuelle” accessibilité ? Même chose : le texte indique qu’il ne peut y avoir de télétravail pendant les périodes de grève ! Où est la logique ? Si quelqu’un veut travailler, il travaille, c’est tout ! » Conclusion : « J’ai vraiment le sentiment qu’en introduisant ces modalités dans les textes, on fait en sorte d’annuler l’impact de la réforme ! Il y a de sérieuses corrections à apporter afin que la loi retrouve tout son sens. Prenez l’e-commerce : le secteur perd énormément d’emplois précisément parce que nous n’avons pas la flexibilité requise. Si on n’agit pas, notre économie en souffrira. C’est le contraire de l’objectif que s’est fixé le gouvernement au début de la législature. Moi, je veux que l’on maintienne cet objectif, et que l’on s’en donne les moyens. » Les anomalies Et ce n’est pas tout. Pieter Timmermans plombe aussi les projets Peeters voués à revisiter-moderniser la loi de 1996 qui encadre les mécanismes de formation des salaires, et dont les partenaires sociaux doivent tenir compte lorsqu’ils négocient leurs accords interprofessionnels. En particulier, il s’agit d’établir la « norme salariale » afin de baliser les augmentations de salaires et réduire l’« écart » avec nos voisins de référence, soit l’Allemagne, la France et les Pays-Bas. L’administrateur délégué de la FEB, qui veut, dit-il, préserver la compétitivité de nos entreprises, pointe « au moins » quatre anomalies… 1 – « Pour effectuer les calculs relatifs à l’évolution des salaires en Belgique et l’écart avec nos voisins de référence, le vice-Premier et ministre de l’Emploi maintient l’utilisation des projections chiffrées fournies par l’OCDE. Or, elles sont toujours trop élevées, elles ne rendent pas compte de la réalité. Il faut revenir à des bases plus prudentes, par exemple en reprenant les données moyennes livrées par la Banque nationale, la Commission européenne, entre autres institutions. » 2 – « Même chose pour l’évaluation du taux d’inflation : quels chiffres prend-on ? Le projet de Kris Peeters ne nous satisfait pas. » 3 – Le projet du ministre de l’Emploi prévoit des « sanctions » en cas de non-respect de la norme salariale, « ce qui est compréhensible en principe, mais beaucoup moins quand on sait qu’elles toucheront uniquement l’employeur, pas les organisations syndicales, alors que tout accord est le fait les deux partenaires… » 4 – « Kris Peeters appelle à revoir la loi de 1996, mais il ne tient pas compte du handicap salarial, avec nos pays voisins de référence, qui s’était creusé avant cela ! C’est ce que l’on appelle le “handicap historique”. Il est évalué à 10 % : un travailleur coûte en moyenne 43 euros chez nous, 39 euros dans ces trois pays. Que fait-on avec cela ? On oublie ? On liquide le passé ? Ce n’est pas acceptable. » Re-conclusion : « Si on maintient les textes en l’état, l’écart salarial, résorbé ces dernières années grâce aux politiques mises en œuvre par le gouvernement, va se creuser à nouveau à partir de 2018, notre compétitivité sera affectée, et l’emploi en paiera les conséquences. » Soumis au Groupe des Dix, qui réunit les interlocuteurs sociaux, les textes signés Kris Peeters feront l’objet de discussions et négociations dans la deuxième quinzaine d’août. Notamment en vue de la conclusion d’un accord interprofessionnel fin 2016. Si les partenaires ne s’entendent pas ? « Attention aux tensions sociales. L’échec signifierait moins de compétitivité, plus de chômage, et marquerait gravement la fin de cette législature. »

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