Vincent Dujardin: «Le rôle du roi a fortement changé sous son règne, son pouvoir a diminué»

Baudouin fut-il un grand roi ? Nous avons posé la question à Vincent Dujardin, professeur d’histoire à l’UCL. Comment qualifieriez-vous le règne de Baudouin ? Un dessin de Plantu dans Le Monde en août 1993 illustre deux grandes files devant le palais royal. L’une pour les Flamands, l’autre pour les francophones, alors qu’à la sortie, cette file devient unifiée, tous, Flamands et Wallons pleurant ensemble leur roi. Signe que le prestige du roi Baudouin est aussi grand à l’étranger, 44 chefs d’Etat ou de gouvernement, des représentants venus de 94 pays assistent à ses funérailles. L’image du « roi d’union » est mise en avant par la presse. Il est vrai que le long règne du roi Baudouin s’est achevé sur une autre Belgique que celle de 1951 qui débute dans les circonstances très difficiles qu’évoque Le Soir en « Une » en espérant comme les Belges « une ère nouvelle ». En 1993, la Belgique est devenue un Etat fédéral. 40.000 personnes manifestent en avril contre le séparatisme. Baudouin craignait le fédéralisme avant de s’y rallier en défendant l’idée du « fédéralisme d’union ». Le Congo est devenu indépendant en 1960, alors que c’est Baudouin qui avait lâché le premier, en 1959, le mot « indépendance », posant sans doute là l’acte politique le plus important de son règne. La Belgique accueille depuis 1958 le siège des institutions européennes. Mais c’est aussi un règne qui a vu le rôle du roi changer sensiblement, avec un « pouvoir » qui a diminué. On n’a par exemple pas de trace d’une intervention de sa part dans la nomination d’un ministre après 1977, sauf dans le choix de certains Premiers ministres, comme celui de Wilfried Martens en 1988 à la place de Jean-Luc Dehaene qui était pourtant à la manœuvre durant la plus longue crise politique (148 jours) qu’avait connue la Belgique jusque-là. De même, le processus d’intégration européenne qu’il soutiendra de plus en plus après 1960 et la fédéralisation de l’Etat au gré des réformes constitutionnelles affaiblissent sa capacité d’action. Par contre, la magistrature d’influence exercée par Baudouin a augmenté à la faveur d’un long règne qui le voyait parfois rencontrer les enfants de ministres qui étaient aux affaires au début de son règne. Quel genre d’homme était-il ? Un homme d’écoute certainement, donnant à son interlocuteur l’impression qu’il est seul au monde, en pouvant d’ailleurs le transpercer du regard jusqu’au fond de son cœur. La presse le qualifie aussi de « roi-conscience », dès 1951. C’était un homme qui a connu la souffrance et se trouvait sensible à celle des autres, des moins favorisés aussi. Un roi de devoir, parfois jusqu’au volontarisme, voire à l’inquiétude. Mais il est évident qu’il a beaucoup changé au cours de son règne. Il a 19 ans lorsqu’il prête serment en 1950 en tant que prince royal. Il se montre volontairement triste et déclare peu après « ne pas aimer ce métier » se sentant l’usurpateur du trône de son père. Sa fidélité à ce dernier le conduit même à gaffer en ne se rendant par exemple pas aux funérailles du roi Georges VI en 1952. Après son mariage en 1960, c’est un autre roi qui devient souriant comme il l’avait parfois été en dehors de la Belgique au Congo lors de son voyage triomphal de 1955 ou aux Etats-Unis en 1959. En quelque sorte, le mariage avec Fabiola permet de montrer le vrai roi Baudouin au peuple belge. Quelle place a-t-il laissée dans l’Histoire ? C’est d’abord le règne de la réconciliation autour de sa personne après six années de question royale. La monarchie redevient populaire. La « Une » du Soir de juillet 1951 est déjà très soutenante, lui reconnaissant le souci de bien faire. Au-delà de ce que j’ai déjà évoqué, il est clair qu’il était très impliqué dans le dossier africain. Il tient au Congo – dont il tombe amoureux en 1955 –, comme à la prunelle de ses yeux. C’est face à la débande congolaise en 1960 qu’il échoue à faire démissionner le Premier ministre Gaston Eyskens. La fonction royale connaît alors un tournant. Plus jamais un roi ne pourra faire démissionner un gouvernement. Plus tard, il tentera d’influencer Mobutu, jusqu’à la rupture avec celui-ci. Il s’engage aussi dans le dossier rwandais au début et à la fin de son règne. Sur le plan intérieur, le roi est parvenu à rester au-dessus des partis et des groupes linguistiques, à de rares exceptions près comme la poignée de main à Happart en 1979 ou la convocation de Luc Vanden Brande au Palais en 1993 alors ministre-président flamand, le jour de son plaidoyer en faveur du confédéralisme. On retiendra aussi qu’en 1990, il prend la décision de ne pas sanctionner la loi sur l’avortement pour des raisons de conscience, même s’il redoutait de lourdes conséquences, y compris pour lui, se disant d’ailleurs prêt à abdiquer. La plupart de ses plus proches conseillers lui avaient conseillé de la signer. Enfin, il est clair que l’immense émotion populaire au moment de sa mort a marqué. Ce qui fit écrire à son ancien chef de cabinet, André Molitor, en août 1993 : « En mourant, [Baudouin] a rendu, si je puis dire, un dernier service à son pays. »

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