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Josep Borrell: «Comment traiter avec la Chine»

Josep Borrell, le Haut représentant de l’UE pour les Affaires étrangères, évoque dans une carte blanche publiée par « Le Soir » les relations entre l’Union européenne et la Chine.

Carte blanche - Temps de lecture: 5 min

Les relations avec la Chine sont une question politique majeure pour l’UE, plus complexe que celle de ses relations avec la Russie. Les systèmes politiques et économiques de l’UE présentent de profondes différences avec ceux de la Russie et de la Chine. Mais contrairement à la Russie, la Chine est, elle, un véritable acteur systémique, qui représente près de 20 % de l’économie mondiale et continue de croître, alors que la Russie en représente environ 2 % et que cette part décroît.

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L’influence économique, politique et financière de la Chine est considérable et sa puissance militaire ne cesse d’augmenter. Son ambition est clairement de construire un nouvel ordre mondial, avec la Chine placée au centre, et de devenir d’ici le milieu du siècle la première puissance mondiale.

L’UE doit être consciente que de nombreux pays considèrent l’influence géopolitique de la Chine comme un contrepoids à l’Occident et donc à l’Europe. Et dans un monde de plus en plus fragmenté et multipolaire, la plupart des pays émergents deviennent des « traders », renforçant leur marge de manœuvre sans prendre parti.

Dans ce contexte, l’UE doit recalibrer sa politique à l’égard de la Chine pour au moins trois raisons : les changements intervenus en Chine avec la montée du nationalisme et de l’idéologie, le durcissement de la concurrence stratégique entre les Etats-Unis et la Chine et la montée en puissance de la Chine en tant qu’acteur clé dans les questions régionales et mondiales.

Cette situation exerce une pression croissante sur l’UE et suscite parfois des dilemmes inconfortables. L’Europe s’est construite sur l’idée d’une prospérité partagée et elle est aujourd’hui une puissance de paix. Nous ne voulons donc en aucune façon bloquer l’essor des nations émergentes, qu’il s’agisse de la Chine, de l’Inde ou d’autres pays. Mais logiquement, nous voulons nous assurer que cet essor ne nuit pas à nos intérêts, ne menace pas nos valeurs et ne met pas en péril l’ordre international fondé sur des règles.

La semaine dernière, nous avons discuté des relations UE-Chine avec les ministres des Affaires étrangères de l’UE et nous avons convenu qu’il n’y avait pas d’alternative viable au triptyque consistant à traiter simultanément la Chine comme un partenaire, un concurrent et un rival systémique, en fonction des sujets. Mais il est nécessaire d’ajuster le poids relatif de ces trois éléments. Cet ajustement dépend en grande partie du comportement de la Chine et de la question concernée. Les ministres de l’UE ont souligné que nous devions continuer à dialoguer avec la Chine dans la mesure du possible, tout en réduisant les risques stratégiques et nos vulnérabilités en rééquilibrant notre position sur trois groupes de questions : les valeurs, la sécurité économique et la sécurité stratégique.

En ce qui concerne les valeurs, nos divergences s’accentuent. Dans toutes les enceintes internationales, la Chine a construit un discours subordonnant les droits fondamentaux au droit au développement. L’UE doit contrer ce discours et défendre l’universalité des droits de l’homme.

Malgré ces différences substantielles, les sociétés européennes et chinoises doivent mieux se connaître. Les obstacles à la libre circulation des idées et à la présence des Européens en Chine doivent être levés. Sinon, la Chine et l’Europe deviendront de plus en plus étrangères l’une à l’autre.

En ce qui concerne la sécurité économique, il est clair que nos relations commerciales sont déséquilibrées. Avec plus de 400 milliards d’euros par an, le déficit commercial de l’UE atteint un niveau inacceptable. Cette situation n’est pas due à un manque de compétitivité de l’UE, mais aux politiques et aux choix délibérés de la Chine. Les entreprises européennes sont confrontées à des obstacles persistants et à des pratiques discriminatoires. En outre, l’UE est confrontée à un risque croissant de dépendance excessive en ce qui concerne certains produits et de certaines matières premières essentielles.

D’où l’importance de réduire les risques et de renforcer la résilience de notre économie, également pour des raisons de sécurité nationale. Cela nécessitera de diversifier et de reconfigurer les chaînes de valeur de l’UE, de se doter d’un système de contrôle des exportations plus efficace, de contrôler les investissements entrants et éventuellement des investissements sortants, et d’utiliser intelligemment nos instruments de lutte contre la coercition. Mais nos partenaires internationaux peuvent être assurés que toutes les mesures que nous prendrons resteront conformes aux règles de l’OMC. Le système multilatéral doit être revitalisé et non abandonné.

Le troisième groupe de questions concerne essentiellement Taïwan et la position de la Chine sur la guerre lancée par la Russie contre l’Ukraine. En ce qui concerne Taïwan, la position de l’UE reste constante et fondée sur sa « politique d’une seule Chine ». Toute modification unilatérale du statu quo et tout recours à la force auraient des conséquences économiques, politiques et sécuritaires considérables. L’UE doit se préparer à tous les scénarios et discuter avec la Chine pour maintenir le statu quo et œuvrer à la désescalade des tensions.

En ce qui concerne l’Ukraine, notre message est clair : les relations entre l’UE et la Chine n’ont aucune chance de se développer si la Chine ne pousse pas la Russie à se retirer de ce pays. Face à un conflit impliquant l’intégrité territoriale et la souveraineté d’un Etat indépendant, toute soi-disant neutralité revient en réalité à se ranger du côté de l’agresseur. Nous saluons les initiatives positives de la Chine visant à trouver une solution pour contribuer à une paix juste en Ukraine.

La semaine dernière, le message des 27 ministres des Affaires étrangères était clair : la meilleure façon d’influencer les choix de la Chine est de discuter fermement avec elle tout en réduisant les risques stratégiques.

 

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