L’affaire bpost, des « scandales » au débat de fond

Que soupçonne-t-on ? Un arrangement entre concurrents pour se partager le marché de la distribution des journaux. S’il est avéré, ce fait serait évidemment illégal.
La surfacturation des coûts n’est pas établie. Elle n’a d’ailleurs guère de sens en cas d’appel d’offres : une fois le marché accordé au fournisseur sélectionné, l’ampleur de sa marge est de son seul ressort. C’est par exemple le cas des plaques d’immatriculation, contrat que bpost a remporté au départ contre la concurrence suite à un appel d’offres du ministère des communications. Personne ne peut dans ce cas reprocher au fournisseur choisi de maximiser sa marge au prix accepté par l’acheteur.
Le problème du coût raisonnable ne se pose qu’en cas d’allocation d’une mission de service public sans mise en concurrence. Et il n’est pas aisé à résoudre : si l’on demande à trois experts de déterminer le coût d’une activité spécifique d’un opérateur, ils risquent de revenir avec trois estimations différentes, tant est difficile de déterminer quelle part des coûts indirects peut être allouée à ladite activité. La meilleure façon d’évaluer si un prix est raisonnable, c’est de le comparer avec ceux de prestations semblables. Ainsi, la distribution d’un journal ne devrait pas être plus coûteuse pour l’Etat que celle d’un colis pour un acteur de l’e-commerce.
Le détachement d’experts d’organisations publiques dans les cabinets est une pratique à remettre en question – j’y reviens – mais très répandue et pas illégale. La question immédiate est l’usage que l’on en a fait pour éviter les conflits d’intérêts.
Ensuite, il n’y a rien de répréhensible – au contraire – que le management d’une entreprise, privée ou publique, rencontre des responsables publics pour partager ses enjeux stratégiques.
Derrière la succession de titres ravageurs, il est donc utile de distinguer l’inacceptable – l’accord entre concurrents s’il est avéré – , le discutable – la surfacturation, à vérifier –, le réformable – le détachement dans les cabinets – et l’acceptable, les contacts avec le monde politique, à condition qu’ils portent bien sur la stratégie de l’entreprise. Mais cet emballement médiatique et politique donne l’occasion de poser de vrais problèmes.
Revoir la gouvernance
Les deux aspects du statut particulier de bpost, entreprise publique cotée en Bourse, peuvent en effet s’avérer difficiles à concilier, en particulier lorsqu’il s’agit de s’entendre sur la facture des prestations de l’opérateur en faveur des pouvoirs publics – et des contribuables qu’ils représentent. Il convient à tout le moins de renforcer les compétences à la disposition des décideurs politiques. Les experts détachés de bpost ne peuvent évidemment constituer la solution.
Deux autres candidats sont l’administration et l’IBPT. L’histoire plaide en faveur de la première citée. L’IBPT est en effet un organisme indépendant, ce qui entraîne paradoxalement deux inconvénients : d’une part, cet organisme ne peut en principe travailler en fonction des demandes du politique ; et, d’autre part, il peut prendre des décisions affectant durablement l’opérateur postal en toute indépendance, donc sans aucun contrôle. Bpost l’a vécu à ses dépens, à l’époque où l’Institut était compétent en matière de régulation de sa tarification. Sous prétexte d’abus de position dominante, l’IBPT l’a forcé à revoir complètement les prix de ses grands clients et il lui a infligé une lourde sanction financière. Cette somme, l’Etat a dû la lui rembourser par la suite, lorsqu’il s’est avéré – grâce au recours aux juridictions européennes – que les critiques de l’IBPT étaient complètement infondées. Cet épisode douloureux – en particulier pour les clients de bpost – aurait pu être évité si l’Institut n’avait pas été indépendant, car peu de juristes partageaient son analyse.
Renforcer l’administration s’impose donc, de manière à donner au gouvernement une plus grande force de frappe dans les négociations avec l’opérateur et un soutien utile en cas de question sur le financement des missions de service public. Le débat sur bpost donne l’occasion de poser la question de l’opportunité de cabinets pléthoriques : ne vaut-il pas mieux, comme dans nombreux pays, disposer d’une administration forte plutôt que d’en détacher certains des meilleurs éléments dans la garde rapprochée du ministre ?
Voulez-vous privatiser la poste comme la Grèce l’a fait avec les chemins de fer ?
Une autre question – plus fondamentale – porte sur le maintien de bpost dans la sphère publique. Pendant des années, elle a été mise de côté des débats parce qu’il apparaissait clairement que les dividendes versés par l’entreprise publique à l’Etat – comme ceux de Proximus – étaient largement supérieurs à la baisse des charges d’intérêt qui résulterait de la diminution de la dette publique provenant de sa vente. Ce n’est probablement plus le cas aujourd’hui.
La prudence s’impose toutefois. Très peu d’Etats ont privatisé leur opérateur postal, et ce n’est pas à cause de leurs dividendes, mais plus probablement pour garantir le maintien le plus qualitatif possible de sa mission première, la distribution de courrier et de colis partout dans le pays aux mêmes conditions tarifaires. Un opérateur 100 % privé ne voudra plus que couvrir les zones denses, rentables, et abandonnera les zones les moins denses, qui lui coûtent plus que ce qu’elles lui rapportent.
Ne pas jeter l’enfant avec l’eau du bain
Les opérateurs postaux font face à des défis titanesques : leur métier de base s’érode à grande vitesse : le volume de courrier diminue de 9 % par an. Et celui des colis fait face à une concurrence avantagée à double titre : elle peut se concentrer sur les zones les plus rentables et elle utilise de « faux indépendants » au coût bien plus faible.
Aussi, le débat sur le futur du statut – public ou privé – de bpost ne peut pas faire l’économie de celui sur les conditions de la concurrence. Idéalement, on devrait imposer aux distributeurs de colis couvrant les particuliers le même type d’obligation qu’aux opérateurs de mobilophonie : une couverture minimale du territoire. Et l’on devrait les amener à faire appel à des salariés avec des conditions de travail acceptables. Le coût de la distribution augmenterait quelque peu, mais ce serait à la fois plus juste pour bpost et pour les travailleurs concernés. Proximus se trouve dans une situation beaucoup plus favorable : ses concurrents travaillent également avec des employés et doivent couvrir la même portion du territoire – proche de 100 %.
Le débat va donc bien au-delà de la privatisation de bpost. Ne pas le mener dans sa totalité risque d’entraîner la fin de la couverture de tout le territoire, non seulement des lettres, mais aussi des colis.
De même, le contrat de distribution des journaux a permis aux éditeurs d’attirer davantage d’abonnés et de survivre dans une période difficile de transition vers le numérique ; comme celui, portant sur la distribution des plaques minéralogiques, de les acheminer généralement dans les 24h de la demande, ce qui tranche avec les délais du passé, lorsque l’acheteur attendait régulièrement une semaine que sa plaque rejoigne la voiture qui l’attendait chez son vendeur.
Ne jetons donc pas le bébé avec l’eau du bain. Bpost est l’un des meilleurs opérateurs postaux, ce qui est tout à l’honneur de son personnel. Trouvons les moyens de sauvegarder sa qualité de service, en commençant par lui trouver un excellent patron !
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