Athlétisme: Gatlin, plus il vieillit, plus il va vite

Et ça continue ! Moins d’un mois après avoir battu son record personnel sur 100 m à Doha en 9.74 (et moins d’une semaine après avoir égalé celui du 200 m en 19.68 à Eugene), Justin Gatlin a presque remis ça, jeudi soir, à Rome. Avec une facilité déconcertante, l’Américain a remporté le 100 m du Golden Gala de Rome, quatrième manche de la Diamond League, en 9.75.

Ses performances à répétition depuis plus d’un an (la saison dernière, il était resté invaincu tant sur 100 que sur 200 m) n’en finissent plus de susciter la suspicion. Voici pourquoi.

Justin Gatlin est un ancien dopé

A deux reprises, déjà, l’Américain a été contrôlé positif. La première fois, en 2001, aux amphétamines. A l’époque, âgé de 19 ans, il avait réussi à prouver qu’il prenait, depuis son enfance, des médicaments pour soigner son hyperactivité et n’avait écopé que d’un an de suspension au lieu des deux qui constituaient le tarif habituel. La seconde fois, en 2006, à la testostérone. Initialement suspendu 8 ans, il avait vu sa peine réduite de moitié et était resté sur la touche de 2006 à 2010. Entraîné alors par Trevor Graham, « tombé » pour parjure lors du scandale Balco avec Marion Jones et Tim Montgomery, il a toujours prétendu avoir été piégé par son masseur de l’époque, Chris Whetstine, qui lui aurait appliqué une crème contenant de la testostérone à l’insu de son plein gré. Au-delà de ces deux contrôles, Gatlin n’a peut-être pas fait le choix le plus judicieux en termes d’entraîneur puisqu’il est actuellement coaché par son compatriote Dennis Mitchell, qui a, lui aussi, été suspendu pour contrôle positif à la testostérone de 1998 à 2000. Son explication à l’époque ? Il avait passé la nuit précédant le contrôle à boire de la bière et à avoir des relations sexuelles…

Justin Gatlin va plus vite que lors de son titre olympique

Gatlin, c’est une évidence, défie les lois de la nature. Alors que des études démontrent qu’il est extrêmement rare qu’un sprinter s’améliore après 30 ans (sauf l’exception Linford Christie, qui, lui aussi, ancien dopé, a réussi son meilleur temps à 33 ans) et qu’il atteint généralement son pic de forme vers 24-25 ans, voire plus tôt, Gatlin prouve le contraire. Champion olympique à Athènes en 2004 avec un chrono de 9.85, il n’a cessé de s’améliorer, depuis son retour de suspension, en 2010, sauf en 2013. Son chrono de 9.74 réussi en mai, à Doha, en a fait le cinquième homme le plus rapide de tous les temps derrière Usain Bolt (9.58), Tyson, Gay (9.69), Yohan Blake (9.69) et Asafa Powell (9.72). A 33 ans. De quoi se demander ce qu’il a fait pendant son absence des stades. Certains disent cependant que sa suspension lui a permis de préserver son corps et qu’il est plus fort techniquement qu’avant sa suspension, ceci expliquant cela. Sans oublier qu’il est aussi considéré comme un athlète extrêmement doué.

Justin Gatlin pourrait encore bénéficier de son dopage passé

Une étude publiée en octobre 2013 par deux chercheurs de l’Université d’Oslo laisse entendre qu’un dopage pourrait produire des effets à long terme, bien au-delà de la période de suspension de deux ans qui est le tarif actuel pour une première infraction aux produits les plus graves comme les stéroïdes, en raison de la « mémoire musculaire ». Effectuée sur des souris, leur enquête démontre que les noyaux cellulaires acquis grâce au dopage ne disparaissent jamais, même quand la fibre musculaire se réduit, une théorie soutenue par plusieurs experts. Il reste bien sûr à voir si on peut transposer aux humains des tests de ce type effectués sur des rongeurs. L’Agence mondiale antidopage (AMA) travaillerait sur cette hypothèse avec une autre équipe scandinave mais il faudra sans doute plusieurs années pour la certifier. Interrogé sur le sujet à Eugene, Justin Gatlin a répliqué sèchement : « Comment pouvez-vous extrapoler, rapprocher une souris de laboratoire d’un être humain ? Ça n’a pas de sens pour moi(…) Je pense que c’est ridicule. Cela s’est passé en 2006, il y a près de dix ans. »

Justin Gatlin refuse de se repentir

Pour les Américains, on connaît la valeur des excuses publiques. Un acte de contrition bien senti renvoie souvent les vilains dans le camp des gentils. Gatlin aurait sans doute bénéficié de ce traitement s’il avait reconnu son erreur. Mais, au contraire de Tyson Gay, il ne l’a jamais fait, continuant à rejeter la faute sur son masseur. Cela n’arrange pas son image.

Justin Gatlin peut battre Usain Bolt

C’est aujourd’hui une évidence. S’il veut réussir le triplé 100-200-4 x 100 m comme aux Jeux de 2008 et 2012 et aux Mondiaux de 2009 et 2013, Usain Bolt devra battre Justin Gatlin, ce qui, à l’heure actuelle, semble improbable. Comme d’habitude, le Jamaïquain a démarré la saison de manière poussive, avec des chronos très moyens pour lui de 10.12 sur 100 m à Rio et de 20.20 et 20.13 sur 200 m à Kingston et Ostrava. Très loin, donc de ses records du monde de 2009 fixés à 9.58 et 19.19. L’homme a du pain sur la planche. Gatlin, lui, semble impatient d’en découdre avec lui, même s’il faudra sans doute attendre les Mondiaux de Pékin (22 au 30 août) pour qu’ils se retrouvent enfin côte à côte. Ce sera, pour le Jamaïquain, le plus grand défi de sa carrière. « J’amène un peu de compétition, et tout ce que j’amène le rendra plus affûté, dit Gatlin de Bolt. Je regarde ses courses, je suis fan ! J’aime le voir courir, c’est un grand athlète. Il donne beaucoup de plaisir quand il court, comme Asafa (Powell). Si je perds (contre lui), ce sera avec dignité, si je gagne aussi. Moi, je serre la main de tout le monde. » Bolt, lui, semble être moins fou de son rival. Quand on lui a demandé, récemment, comment il avait réagi à ses 9.74 de Doha, il a eu cette réponse lapidaire et cinglante : « Comme tout le monde, j’imagine… »