David Lagercrantz :«J’aurais aimé inventer Lisbeth Salander»

Comment est née l’idée de ce roman ? Je venais d’écrire la biographie de Zlatan Ibrahimovic, qui a connu un très grand succès en Suède, y compris en comparaison des livres de Stieg Larsson. Toute une génération s’est mise à lire. Ma vie a changé. J’ai beaucoup voyagé. J’ai aussi reçu beaucoup de propositions, mais rien ne m’intéressait vraiment. Et puis, j’ai changé d’agente. Magdalena Hedlund représente aussi la société, contrôlée par le père et le frère de Stieg Larsson, qui gère les droits de ses livres. J’écrivais un roman. Mais je n’étais pas satisfait. Je pense que je ne suis pas aussi bon, quand j’essaie de creuser en moi. Les personnages sont aussi névrotiques que moi. Ma femme les trouve trop déprimants. Par contre, quand je me saisis de la vie de quelqu’un d’autre, je suis un bien meilleur écrivain. Il se passe quelque chose. Magdalena Hedlund a lancé l’idée d’un quatrième tome, que j’écrirais. Comment a réagi l’éditeur ? Il faut rendre hommage à la maison d’édition Norstedts. Elle a reçu des milliers de propositions, du monde entier. Et elle a toujours dit non. Mais quand mon agente leur en a parlé, ils ont accepté. Peut-être parce que j’écris des livres dans différents genres, que j’aime prêter ma voix à d’autres. J’ai toujours aimé jouer des rôles. Je suis un peu comme un caméléon. Je change en permanence. Vous n’avez pas hésité ? Au début, j’ai trouvé que c’était une idée complètement folle. Mais assez rapidement, j’ai réalisé qu’il y avait quelque chose qui fonctionnait. Je vis dans le quartier où Mikael Blomkvist habite. Il est journaliste et travaille dans la presse écrite, ce que j’ai fait aussi. Je pouvais me voir en lui. Et surtout, il y a Lisbeth Salander : le genre de personnage qui m’a intéressé depuis toujours. Allan Turin, Zlatan Ibrahimovic… C’est facile d’être fasciné par ces gens super-doués, qui pensent différemment et se situent hors de leur époque. J’aurais aimé avoir suffisamment de talent pour pouvoir inventer Lisbeth Salander. Comment s’est passée l’écriture ? J’en avais marre des vieux trucs : les tueurs en série, les pédophiles… Par contre, j’ai repensé à ce garçon autiste de huit ans que j’ai rencontré un jour, qui a été capable de reproduire un feu de la circulation dans le moindre détail, sans jamais avoir appris à dessiner. Je me suis demandé ce qui se passerait s’il était témoin d’un meurtre. Une idée m’est venue. Je l’ai présenté à l’éditrice, qui m’a demandé d’écrire un synopsis. Il a ensuite été traduit en anglais. Et puis, j’ai eu le feu vert. J’ai écrit pendant un an. Les conditions de la rédaction du livre étaient très spéciales ? J’ai dû écrire sur un ordinateur non-connecté à internet, pour éviter les risques de piratage par une vraie Lisbeth Salander… Nous n’utilisons pas non plus les mails. Le manuscrit a été transmis par livreur, aux traducteurs. Personne n’a pu voir le texte. Aucun journaliste. C’est la décision qui a été prise par l’éditeur. Je ne sais pas si c’était nécessaire. Mais nous ne savions pas comment le projet du livre serait accueilli. Très vite, cela a pris une ampleur énorme. Le livre a été acheté par les éditeurs dans le monde entier. Et la sécurité a été renforcée. La pression n’a pas été trop forte ? C’était un peu compliqué au début. Je sentais que les exigences étaient énormes. C’est une icône nationale. Il fallait que ce soit bon. J’ai compris que je ne pouvais pas rendre quelque chose de mauvais, autrement couic (il fait le geste d’un couteau qui lui trancher la gorge). Mais la pression me fait du bien. Je me levais le matin et j’écrivais, parce que je n’avais pas le droit à l’erreur. « Je trouve que toute discussion est bonne » La compagne de Stieg Larsson, Eva Gabrielsson, s’est opposée très vivement à la sortie de ce livre, estimant que la démarche était « grotesque ». J’ai la plus grande sympathie pour elle et ce qu’elle a traversé. La dispute avec la famille m’attriste. C’est le seul point noir dans tout ce processus, qui a été fantastique. Mais il y a des millions de lecteurs qui souhaitent lire la suite de Millénium. Il faut aussi les prendre en considération. En réaction, des écrivains se sont opposés ouvertement à ce qu’un de leur collègue poursuive leur œuvre après leur mort. Je comprends qu’il y ait un débat. Mais je ne comprends pas toujours les arguments qui sont présentés. Il y a des personnages qui restent. Des caractères de la mythologie grecque, des superhéros de science-fiction… On continue de parler d’eux, d’écrire des livres, de faire des films, parce qu’ils touchent les gens. Les critiques ne vous dérangent pas ? J’ai horreur des conflits. Mais je trouve que toute discussion est bonne. Il y a des livres qui sortent en permanence et ne reçoivent aucune critique. On n’en parle pas. Cette fois, les débats ont lieu avant même la publication. Cela montre l’intérêt. Ce qui serait grave, bien sûr, c’est que j’ai écrit un mauvais livre. Dans ces cas-là, il pourrait nuire à Stieg Larsson. Mais pour le moment, les discussions contribuent surtout à un regain d’intérêt pour Millénium. Ce que je ne supporte pas, par contre, ce sont les gens qui m’accusent de vouloir gagner de l’argent : le livre de Zlatan m’en a rapporté suffisamment. « Je voulais développer son monde, tester ses limite » Qu’est-ce qui vous plaisait dans la trilogie ? J’avais lu Millénium, comme tout le monde. Mais je suis un peu un snob en matière de littérature. Je l’avais lu rapidement, sans faire attention aux détails. Quand j’ai relu les livres, j’ai découvert certaines choses. Si ce n’est peut-être pas fantastique, littérairement parlant, la série me rappelle un peu les grands auteurs russes, que je lisais petit. Il y a une grande histoire, beaucoup de voix. J’aime aussi le contraste entre Mikael Blomkvist, qui est quand même assez politiquement correct, et Lisbeth Salander, qui est formidablement bizarre, asociale et géniale. Et puis, c’est une façon incroyable de parler de la société. J’aime la colère, qui transparaît. C’est vraiment le polar à son meilleur niveau, quand il éclaire tout ce qui va mal dans la société. Comment se saisir de l’univers d’un autre ? Pour connaître un écrivain, il faut lire son œuvre. Mais je voulais aussi développer son monde, tester ses limites. Je ne peux pas être juste un copycat. Ce serait idiot. Il fallait que je respecte les personnages. Mais c’est mon livre, mon histoire. Je n’ai jamais vraiment compris pourquoi toutes les filles tombaient devant Mikael Blomkvist. Cela ne m’est jamais arrivé en tout cas. J’ai essayé de lui donner un peu de tempérament. Quant à Lisbeth Salander, beaucoup de questions sont restées sans réponse dans les trois premiers livres. J’ai essayé d’y répondre. Vous reprenez la plume d’un écrivain disparu, avec lequel vous n’avez que peu de points communs. N’est ce pas une difficulté ? On parle beaucoup de nos origines différentes. Mais nous appartenons à la même génération, qui éprouve une colère contre les dysfonctionnements de la société. Je suis peut-être issu de la classe supérieure. Mais mon père était un intellectuel de gauche, très engagé. Je n’ai donc pas senti un choc des mondes. Je partage son indignation contre l’avarice, la violence contre les femmes, les mauvais traitements infligés aux minorités. Dans les trois premiers tomes de la série, l’engagement de l’écrivain contre le racisme et pour la cause des femmes est perceptible. Comment l’avez-vous abordé ? Je ne trouve pas que ce soit si perceptible. Mais c’est vrai qu’il était engagé. Quand il a commencé à parler d’eux, les néonazis ne formaient qu’un petit groupe d’idiots. Aujourd’hui, l’extrême droite domine la scène politique suédoise. Il était un pionnier. Pour ce qui est du féminisme, je partage ses principes. J’ai une femme qui fait carrière, deux filles et je vis en Suède. C’est quelque chose que je vis au quotidien. C’est aussi une des raisons pour lesquelles il était important que le livre reste en Suède. [scald=35622:sdl_editor_representation]

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