Dupriez: «Face au terrorisme, le sécuritaire n’est pas tout»

Pour Patrick Dupriez, co-président d’Ecolo, la réponse apportée à la menace terroriste ne prend pas assez en compte le terreau dans lequel elle prend ses racines. Il déplore une logique sécuritaire contre-productive, et une absence de vision à long-terme. A côté des mesures sécuritaires, il faut, dit-il, par un renforcement des dispositifs de prévention et de proximité. « Quand la politique n’est pas lisible pour les gens, cela introduit le chaos, les ferments de la décohésion sociale » C’est le politologue Joseph Henrotin qui tenait ces propos dans Le Soir ce mardi. La réponse du gouvernement au terrorisme est-elle lisible pour la population, est-elle à la hauteur de la situation selon vous ? Je suis frappé par le fait qu’un grand nombre de réponses politiques aujourd’hui consacre une forme de défaite de la pensée. On tient des propos qui de toute évidence ne sont pas appropriés à la situation. A quels propos faites-vous référence ? La plupart des terroristes sont nés ou habitent dans les pays où ils ont agi. Et la réponse est : il faut fermer les frontières, interdire le voile, bombarder la Syrie. Cela ne répond en rien à la problématique. Je ne dis pas qu’il ne faut pas agir là-bas, sur le terrain, mais alors dans le cadre d’une stratégie internationale pour rétablir la paix au Moyen-Orient... La réponse politique apportée actuellement est, au mieux, à côté de la plaque, au pire, contre-productive, car elle génère ce que Daesh souhaite : la peur et la division. On se focalise trop sur la réponse sécuritaire ? Il faut marcher sur deux pieds. Ras-le-bol de l’opposition entre prévention et sécuritaire. Dans les deux cas, on contribue à la sécurité ! Quand vous avez une tumeur, il faut évidemment l’enlever. Mais si vous continuez à avoir des habitudes de vie toxiques, cela va se reproduire… Les attentats sont particulièrement compliqués à prévenir, on l’a vu avec celui de Nice. Que peuvent dès lors faire les responsables politiques, qui doivent répondre à l’inquiétude de la population ? Il faut réagir, expliquer. Mais éviter l’agitation. La mise en scène de Daesh est extrêmement puissante et bien rodée. La théâtralisation politique ne génère pas de la sécurité, mais l’illusion que l’on sécurise, dans une perspective électorale. Les politiques doivent avoir l’humilité de reconnaître qu’on n’éradiquera pas le risque terroriste par quelques actions fortes. L’enjeu de la lucidité et de la compréhension est fondamental. Valls a dit l’une des choses les plus pitoyables de ces derniers mois : “Comprendre, c’est déjà excuser”. C’est exactement l’inverse ! Comment lutter efficacement contre un phénomène complexe, qui s’inscrit dans une histoire, si l’on ne comprend pas ce qui nous arrive ? Vous craignez qu’alors des pans de notre société entrent en conflit ? Le risque terroriste fait des dizaines de morts, il est réel. Mais il ne met pas en danger notre Etat. Si nous apprenons à le gérer et que nous évitons de provoquer nous-mêmes davantage de divisions, d’érosion démocratique. En France, par exemple, la surenchère sécuritaire ne va pas résoudre le sentiment de délitement de la société, l’apartheid social qui la frappe. L’islamophobie est l’un des danger qui nous guette. C’est cette idée développée par l’historien Yuval Noah Harari que le terrorisme est comme une mouche qui pour détruire un magasin de porcelaine entre dans l’oreille d’un éléphant, qui se charge lui-même de le détruire ? Exactement. Cette métaphore est très puissante. Les terroristes n’ont pas une puissance telle qu’ils peuvent menacer nos Etats. Mais si en provoquant de la peur, ils provoquent des réactions disproportionnées, le risque est énorme que notre démocratie soit menacée par nos propres comportements. D’où l’importance de prendre le temps de l’analyse, de ne pas foncer bille en tête. C’est ce ce qui se produit pourtant aujourd’hui au niveau politique, pour être vu, sans prouver que cela amène plus de sécurité. Il faut prendre le temps du débat démocratique. Une grande part de l’action politique efficace se fait dans la discrétion. Exemples : pour lutter contre le terrorisme, il faut d’une part améliorer l’action du renseignement ; il faut aussi lutter contre la criminalité financière. On ne peut pas dire que ces deux outils ont été véritablement renforcés ces dernières années. C’est pourtant plus fondamental que de mettre des militaires dans les rues ou d’envoyer des F-16 bombarder en Syrie. En quoi contribuer à augmenter le nombre de morts dans ces pays-là améliore-t-il la cohésion sociale ici ? Au contraire… Les militaires dans la rue, cela contribue à la sécurité ? C’est comme l’état d’urgence : nous ne voyons pas en quoi cela contribue à la sécurité. Cela n’a pas empêché les attentats. Cela pose une série de problèmes, tant en termes d’efficacité et de coût qu’en termes d’Etat de droit. Plutôt que des mesures spectaculaires, osons des mesures plus discrètes, avec l’idée qu’à chaque euro dépensé dans le sécuritaire corresponde un euro dépensé à créer de la cohésion sociale. La situation est très complexe. Comment expliquer clairement au grand public quand on est politique et que l’agenda est essentiellement électoral ? Il y a trois éléments. Un : géopolitique, les guerres au Moyen-Orient ont généré un sentiment d’humiliation. Deux : l’histoire sociale et identitaire propre à notre société. Une partie de la population a l’impression d’être reléguée, n’a pas de perspectives, de pouvoir vivre avec son identité, ses origines, dans notre société. C’est un chantier énorme pour que ces personnes se disent : “je n’ai pas besoin de partir en Syrie pour exister, ma place est ici, je n’ai pas besoin de diminuer mon identité belge parce que je suis musulman ni de diminuer mon identité musulmane parce que je suis belge”. Cela nous concerne tous. Enfin, trois : les trajectoires individuelles : dans le même contexte social, certaines personnes basculent dans la violence, pourquoi ? Il faut comprendre, en termes de santé mentale : on voit bien que la plupart des terroristes ont une histoire de maltraitance pendant leur enfance, par exemple, que beaucoup étaient sous médicaments aussi. Si l’on ne prend pas en compte cette réalité complexe, on s’empêche d’assécher les causes de la barbarie. On doit être capable de raconter une nouvelle histoire, positive. Le récit de Daesh est terriblement attirant pour certains. Qu’offre-t-on en face ? Les grands défis de notre époque que sont la justice sociale et environnementale pourraient être formidablement mobilisateurs. Ce n’est pas le cas, l’actualité les relègue un peu plus à l’arrière-plan… C’est vrai. On est tellement dans la peur, la désunion, qu’on peine à dire : “Allons ensemble vers quelque chose de positif”. C’est pourtant par ce biais-là qu’on pourra en sortir. J’aurais aimé avoir un Premier ministre qui aille dans les quartiers et qui dise aux jeunes : “C’est avec vous tous, votre énergie, vos idées, que l’on va construire le XXIe siècle”. Un discours à la Justin Trudeau, au Canada, au-dessus de la mêlée. Une partie de la classe politique et de la population reste dans le déni et pense que la situation va se régler toute seule, voire qu’on va pouvoir revenir à la situation antérieure. C’est une erreur. Ces communautés musulmanes sont composées de personnes nées en Belgique. Elles ne vont pas partir. La structure institutionnellement n’aide pas à « marcher sur deux pieds », le sécuritaire étant du ressort du fédéral, la prévention plutôt des entités fédérées… Ça ne facilite pas la tâche. Mais aucun problème institutionnel ne peut justifier qu’on n’arrive pas à tenir un discours qui favorise l’union et la résilience. Mais sur les politiques à mener, c’est vrai que chacun se refile un peu la patate chaude. Jan Jambon a jeté un million d’euros en l’air pour Bruxelles. C’est du one shot. Que fait-on avec ça ? Rudi Vervoort a « donné » 60 emplois ACS pour la prévention, sans appel à projet, sans concertation avec les communes. Le fait du prince… Que proposez-vous ? Si l’on veut éviter d’avoir affaire au terrorisme pendant 20 ans, il faut déjà s’occuper des enfants qui naissent aujourd’hui ! Pour diminuer le risque terroriste, déraciner le radicalisme, construire la paix sociale... Il ne faut pas compter que sur l'Etat mais aussi sur la société civile, les associations, les familles, les citoyens. Les solutions ne viendront pas uniquement des parlements et des institutions. Les politiques doivent compter sur la société et soutenir les actions de terrain qui créent de la cohésion et donnent du sens... Il faut donc renforcer significativement l’action de proximité dans les quartiers. Educateurs, associations, font de la vraie prévention, avec les publics les plus éloignés de l’Etat. On ne résoudra pas le problème du radicalisme musulman, sans les musulmans. Ensuite, travailler sur l’école, qui est trop inégalitaire. Or, c’est l’outil premier de la cohésion sociale. Enfin il faut accepter que l’Etat ne détient qu’une partie de la solution : la cohésion sociale part aussi de la société civile, et cela, l’Etat ne peut le décréter. Mais sa responsabilité est énorme de tenir un discours qui construit la sécurité, la paix sociale, plutôt qu’attiser la division en disant par exemple qu’“une partie significative des musulmans a dansé après les attentats”.

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